Incorrigibles rampantes

Ça, c’est un drageon de prunellier ! (Le titre de cette photo aurait aussi pu être : ça, c’est un wwoofeur valeureux !)

La reproduction sexuée, on peut s’en passer. Surtout quand on est une plante. Pour cela, il suffit de trouver une manière de produire des clones. Et ça, la plante, elle sait bien faire : n’importe quel bourgeon est un clone en puissance. La preuve, il suffit bien souvent de prélever une branche et de la mettre en terre pour qu’elle fasse des racines ! C’est le principe de la bouture. Certaines plantes, plus malignes que d’autres, émettent une tige au ras du sol, dépourvue de feuilles et de fleurs, mais formant de nouveaux bourgeons de proche en proche. Bourgeons qui se développent et s’enracinent dès qu’on a le dos tourné. C’est ce qu’on appelle un stolon. C’est comme ça que les fraisiers se multiplient, d’ailleurs. Toutes ces plantes qui ont cette capacité de couvrir le sol autour d’elles avec des clones sont dites rampantes. Deux exemples bien connus des jardiniers : la renoncule rampante et la potentille rampante. Et si le stolon est sous-terrain, alors, on appelle ça un drageon ou un rhizome. Ainsi le chiendent se fraie-t-il un chemin à travers les prairies et les champs… Ce petit coquin.

Sous les bords d’une bâche d’occultation longue, on trouve des stolons (ici de renoncule rampante) qui se faufilent…

Ces plantes rampantes constituent une source majeure de préoccupation pour le maraîcher en MSV. L’absence de travail du sol rend leur progression inexorable et elles s’invitent joyeusement dans nos planches, faisant fie de nos paillages. Seule manière de les limiter : l’occultation. On les prive de lumière suffisamment longtemps et on est tranquilles. Oui, mais… Oui, mais, attention, les stolons sont capables de se développer et de survivre dans des zones même faiblement éclairées. Lorsqu’on lève une bâche d’occultation, les zones proches des bords sont souvent encore colonisées de stolon de potentilles ou de renoncules, fraîchement enracinés. C’est pour cela qu’il est préférable d’occulter une large zone du champ, plutôt que des planches isolées. C’est pour cela aussi qu’ici, aux Grivauds, on commence à entourer nos planches de serre de toile tissée, pour éviter d’avoir sans cesse à désherber les rampantes qui s’installent sans cesse sur nos entrées de serre.

Autour de la serre 7, des toiles tissées de 50 cm empêchent les potentilles de revenir s’installer sur les planches de culture

La grande haie qui longe la route est principalement composée de prunelliers, arbustes garnis d’épines qui ont le bon goût de drageonner joyeusement. Évidemment, on retrouve des drageons jusque dans nos planches de culture, et en particulier dans les futures planches de fraises. Alors on prend notre courage et nos drageons à deux mains et on tire sur toutes ces insolentes pousses de prunellier. Non mais. Notre wwoofeur du moment, Nicolas, participe vaillamment à l’opération et en est quitte pour quelques suées et quelques piqûres fourbes. Il était venu pour apprendre la permaculture, on commence d’emblée par lui faire arracher des arbustes à mains nues. Bienvenue aux Grivauds, Nicolas. Dis-toi qui si on a de belles fraises à l’avenir, ce sera grâce à toi. Voilà voilà…

À la semaine prochaine !

C’est mieux avec de la lumière

Pourtant, c’est beau la lumière rasante d’un soleil d’hiver…

Il y a un truc qui est vraiment nul avec la pluie, c’est que ça rend le jardin moins photogénique. Et en plus, ça mouille. Et après, on patauge dans les chemins. Et ça, ça nous fait râler encore plus qu’en temps normal. Bon mais, sérieusement, c’est fou comme j’ai du mal à prendre de belles photos du jardin en ce moment : il fait toujours gris et pluvieux. Du coup, dès qu’il y a une troué dans les nuées, je me précipite sur mon appareil et je capture l’instant. J’exagère à peine, depuis plus d’un mois, on a l’impression de ne plus voir le soleil que de façon très ponctuelle : un petit jour par-ci par-là. Nous, ça ne nous convient pas du tout ! Et pas seulement pour des histoires de photos ou même de moral. Mais aussi, parce que, figurez-vous que les cultures elles-aussi adorent la lumière. Bêtement pour la photosynthèse tout d’abord : sans soleil, le laboratoire chimique des feuilles est à l’arrêt… Ensuite parce que la lumière fait chauffer nos serres et que cette chaleur est aussi un facteur de croissance des végétaux. Enfin, parce que le soleil améliore l’évaporation et évite que l’eau stagne sur les feuilles. Ce séchage est très important parce qu’il permet d’éviter que les champignons (genre mildiou) ne se développent. De fait, les attaques fongiques sont nombreuses en cette fin d’automne : dans les salades et les épinards notamment. Rien à faire, c’est vraiment une année difficile jusqu’au bout !

Et je ne vous parle pas des levers de soleil…

Jour de pluie = jour de bureau. On s’enferme dans notre antre et on fait avancer les travaux administratifs du moment. Pour Fabrice, ça veut dire s’occuper de la comptabilité. Pour moi, ça tourne beaucoup autour de Qrop : planification des cultures 2022 et assolement. En passant, on lance une commande groupée pour du plant de poireau. Et on se dirige tout droit vers la commande de graines de l’année… Qui sera pour la semaine prochaine, si tout va bien.

Manon, perdue dans les épinards

N’empêche, on arrive quand même à avancer sur nos différents chantiers du moment. On prépare les futures planches de mâches (d’ailleurs, pour la prochaine, on va essayer une culture sur bâche) et de radis. Et on désherbe des épinards et des mâches. On est plutôt fiers de notre gestion de l’herbe sous serre cette année, d’ailleurs : tout est géré à un stade très précoce et les planches les plus problématiques (comme celles de serre 2 et 3) ont été bâchées. Moralité : c’est plutôt propre ! Profitons-en pour remercier Manon, qui termine là sa deuxième semaine de wwoofing dans notre ÉcoJardin et que le froid et l’humidité ont parfois mise à rude épreuve… On lui souhaite bonne route pour la suite de son périple.

À la semaine prochaine !

Un champ bleu et vert

Une photo qui montre à la fois qu’on a été sérieux question occultation et qu’on a vraiment un temps tout pourri

Nous, on aime bien l’herbe. Toutes les herbes. Les graminées, les annuelles de tout poil, les vivaces joyeusement rampantes, les pissenlits inamovibles et les fiers rumex. Mais on n’est pas naïfs non plus : on ne fait pas pousser des salades dans un champ d’herbe. Alors, avant toute mis en culture, on fait comme tous les jardiniers du monde : on désherbe. Mais nous, vous l’avez compris, il faut qu’on réussisse à éliminer les plantes spontanées sans retourner notre sol[1]1er principe du MSV : ton sol tu ne travailleras point. Pour cela, on a une arme ultime : le glyphosate. Ah non, pardon, je recommence. Pour cela, on a une arme ultime : l’occultation. Concrètement, ça consiste à poser une bâche sur son sol et à attendre suffisamment longtemps. La végétation sous la bâche s’épuise, voire brûle et finit par abdiquer. Pour venir à bout d’une graminée, trois mois suffisent. Pour une potentille, c’est minimum six mois. Or, nous, des potentilles, on en a de jolies quantités… Si on veut un sol propre au printemps, il faut bâcher avant que les sols ne se soient trop refroidis (septembre, c’est parfait). Pour l’été, il suffit de bâcher en hiver. Le plus tôt est le mieux évidemment. Là, c’est presque un peu tard pour nos besoins de l’année à venir mais il a fallu faire avec les urgences automnales (dont les plantations d’épinards et de mâches).

Aux Grivauds, pour occulter, on utilise de la toile tissée (de couleur bleue et verte, d’où le titre de cet article, légèrement tiré par les cheveux, certes). C’est plus résistant que de la bâche d’ensilage. Et ça laisse passer l’air et l’eau, ce qui n’est pas à négliger. Par contre, c’est moins efficace. En jardin, on peut aussi utiliser du carton (à condition qu’il ne soit pas traité). Ou alors, on peut s’allonger sur son gazon tout l’hiver. Au choix.

C’est ça de la toile tissée. En jardinerie, on appelle aussi ça de la «toile de paillage».

Dans notre champ, on va d’abord s’occuper des zones qui ont connu des cultures sur bâche en 2020 (dont les courges et les courgettes). On retire la bâche trouée avant que les graminées ne se soient trop installées dans les trous de culture et on la remplace par une bâche pleine. Sous ces bâches, il n’y a déjà presque plus d’herbe et on peut espérer que ce sera bien propre au printemps. Ensuite, on couvre quelques planches déjà récoltées (pommes de terre) et on occulte une nouvelle zone de prairie pour nos futures courges. Cette semaine, on a mis un gros coup d’accélérateur à ces chantiers en occultant pas moins de 8 planches de 100m. Du beau boulot ! Merci à Hélène et Manon (notre nouvelle wwoofeuse) pour avoir héroïquement œuvré dans la grisaille et la pluie. Oui, parce que, niveau climat, d’ailleurs, on aurait de quoi se plaindre. Mais c’est pas notre genre.

Pauvre Manon qui, pendant une semaine, a entendu parler jardinage jour et nuit…

Cette semaine, le travail ne s’est pas arrêté en passant la barrière du jardin : Hélène se prépare à prendre un poste de chef de culture au printemps prochain et la constitution de son premier plan de culture l’a obligée à se poser de nombres questions. Comment on construit une gamme ? Comment on choisit une date de semis, une densité, une variété ? «Non, Hélène, on ne trouve pas d’oignons blancs en bulbille.» – «Mars, c’est trop tôt pour un semis direct de betteraves !» C’est là que je me rends compte que notre métier est délicieusement technique, qu’il demande une grande quantité de connaissances variées, une bonne dose d’organisation et une petite pincée d’audace : «est-ce que je prends le risque de planter mes tomates mi-avril, sachant qu’elles risquent de geler ?». Et tout en répondant d’un ton docte à ces interrogations légitimes, je fais sauter la dernière chayotte de l’année pour la mettre en omelette. Non mais.

À la semaine prochaine !

References

References
1 1er principe du MSV : ton sol tu ne travailleras point

Immortels fraisiers

Ça y est, les fraisiers sont enfin plantés !

Les fraisiers, c’est des vivaces. C’est-à-dire que ce sont des plantes qui ne meurent pas d’une année sur l’autre et qui restent en place un certain temps sur la planche. Genre plusieurs années. Après, on les déplace. Pourquoi on fait ça ? Parce qu’ils ont besoin de voyager et de voir du pays ? Non, non, pas du tout. C’est juste qu’à force de produire des fruits, ils finissent par «épuiser» le sol et perdre en productivité. Alors, nous, plus malins que tout le monde, on s’est dit : «si on veut que nos fraisiers soient éternels, il suffit de leur donner constamment à manger». C’est à dire de les re-pailler tous les ans. Mais du coup, ça signifiait qu’on n’aurait pas la possibilité de les planter sur une bâche. Et donc, de contrôler l’enherbement par occultation. «Pas grave, qu’on s’est dit, il suffira de désherber rapidement la planche en hiver et le tour est joué». Sauf que… Sauf que l’enherbement des fraisiers, c’est de la potentille, du chien-dent, du liseron et du lierre terrestre. Et, tous les ans, c’est l’enfer de venir nettoyer cette planche ! On y a usé force stagiaires et wwoofeur·euses.

On a fini par s’y résoudre et on a enfin pris la décision de déplacer ces malheureux fraisiers sur une nouvelle planche, en les plantant cette fois-ci sur bâche. La préparation de la planche a été faite avec soin : compost, paille et BRF. Nos fraisiers sont comme des coqs en patte dans ce mulch généreux. On les plante en leur souhaitant tous nos vœux de prospérité et en attendant de voir ce qu’ils voudront bien nous offrir dans les années à venir…

Installation d’une couche de BRF avant installation de la toile tissée des fraisiers

En dehors de cette plantation tant attendue, d’autres chantiers ont avancé à grandes enjambées ces dernières semaines : des récoltes de betteraves, de patates douces et de céleris-raves pour la conservation et le re-bâchage des anciennes planches de courges. Un travail titanesque effectué de mains de maître par Adri·e (voir l’article de la semaine dernière) et Hélène (qu’on ne présente plus). Adri·e qui repart des Grivauds avec, notamment, quelques idées pour gérer mieux les limaces dans son jardin. Cadeau.

À la semaine prochaine !

Pierrefitte, ma douce Pierrefitte

Pierrefitte-sur-Loire, mon joli petit village

Novembre vêtu de gris. Novembre au froid tendre. Depuis quelques jours, alors que je regagne le bourg après ma journée de travail, je mets systématiquement pied à terre pour admirer le ballet des étourneaux. Un soir, je décide de pousser jusqu’au plan d’eau pour prendre quelques photos dans la lumière du couchant de ces nuages mouvants. Je répète l’expérience en haut du petit pont qui surplombe le canal et je regarde les oiseaux dessiner des formes énigmatiques au dessus du village. Mes yeux s’attardent sur les toits bien tendrement tassés les uns contre les autres, sur le clocher, sur les tours du château… Et soudain je réalise : décidément, je l’aime beaucoup mon village !

Vol d’étourneaux au dessus du canal

J’aime son élégance sobre, j’aime ses petites rues calmes. J’aime la proximité du canal, qui draine tant de voyageur·euses à nos portes et qui est le lieu privilégié de mes promenades. J’aime le vaste plan d’eau autour duquel je tourne paisiblement lorsque je dois passer de longs appels à de lointain·es ami·es et parent·es. J’aime le fait que la Loire soit si proche – j’y ai mes petits coins secrets pour de rafraîchissantes baignades d’été. Il manquerait une belle forêt autour du village pour que le tableau soit parfait mais il y a tout de même quelques bois accessibles d’un coup de pédale et c’est déjà ça. J’aime le fait que le bourg, en dépit de sa faible envergure (500 âmes, à tout casser), soit doté d’autant de services ! Il y a une Poste, deux supérettes, un bistrot, un restaurant et un camping. Il y a aussi un salon de coiffure, tenu par Adilia. Vous savez le genre d’endroit d’où on sort sans savoir pourquoi on est heureux, si c’est parce qu’on se trouve beaux·belles avec notre coupe toute fraîche ou si c’est pour la qualité de la conversation. Dans l’une des supérettes, on trouve du pain venant de la boulangerie de Diou. En particulier, il y a la Ribatte, sorte de grosse baguette torsadée, au levain. Au jardin, c’est le pain avec lequel on se donne un petit coup fouet à la pause de 10h30. On étale une bonne couche de beurre ou de purée de cacahuète, selon les goûts et ça nous sustente parfaitement, jusqu’au repas. C’est aussi à l’Épicerie du Paradis que j’achète la presse locale et que je peux faire tout un tas de petites emplettes complémentaires. Mentionnons aussi que le mardi soir, un certain Stéphane, pizzaiolo en tee-shirt à toutes saisons, gare son camion place de l’église et nous offre un rituel gourmand, auquel les petites mains des Grivauds n’échappent pas…

J’aime la façon dont on se sent rapidement accueilli ici. Je me souviens que lorsque je suis arrivé, alors que je ne connaissais encore pas grand monde, on me saluait déjà copieusement. On m’a aidé à trouver un très chouette logement, où je suis comme un coq en patte et où nos petites mains sont reçues quand il fait trop froid pour habiter la caravane. Il y a une certaine modestie et une certaine gentillesse chez le·la pierrefittois·e qui rend les échanges faciles et qui permet de repartir en toutes circonstances avec un sourire ou un encouragement. Oui, décidément, c’est bon d’habiter à Pierrefitte-sur-Loire. Heureusement qu’il y a cette chaleur humaine, d’ailleurs, parce que niveau climat, pardon, mais il y aurait à redire… C’est quand même souvent qu’on a le droit à des températures alsaciennes en plein hiver, que les gelées de printemps sont très tardives et que les étés sont extrêmement secs et chauds. Bon d’accord, pas cette année. Mais n’empêche, jardiner dans de telles conditions, c’est raide. Qu’on n’aille pas s’étonner que les Grivauds consomment autant de glaces et de sorbets de juin à septembre…

Adriel·le à la récolte des rutabagas

Comme on vous l’annonçait la semaine dernière, on a joué l’école buissonnière avec Vichy et on est restés à travailler au jardin. Grand bien nous en a pris : on avait un retard qu’on commence à rattraper. De fait, les épinards sont enfin tous en terre, ainsi qu’une grosse série de mâche et un peu de mesclun. Une nouvelle planche de tomates a été désinstallée et désherbée. En serre 6, une série de salades et de basilic peuvent d’ores et déjà être remplacés par des mâches. Bref, ça turbine ! Au milieu de toute cette fébrilité, il y a Adriel·le, le·la wwoofeur·euse de la semaine, avec qui on parle pêle-mêle de jardinage, de politique, de vie en collectivité, d’écologie et de non-binarité. Le temps passe vite dans ces conditions…

À la semaine prochaine !

Et si l’avenir du légume bio passait par le demi-gros ?

Ah, ça, au marché de Vichy, il y a de la place pour circuler ! Surtout depuis quelques mois… Et puis, on ne peut pas dire qu’on fasse longtemps la queue…

Et quand on parle du «demi-gros», on n’est pas en train d’évoquer un maraîcher des Grivauds qui aurait mangé trop de glace tout l’été. Non. Demi-gros, ça veut dire qu’on ne vend pas directement ses légumes au consommateur mais à un tiers qui se charge de les vendre pour nous. Par exemple à une épicerie bio. Ou à un autre collègue qui souhaite élargir sa gamme. À l’heure où tout le monde vante les mérites de la vente directe, tant d’un point de vue éthique que qualitatif, quel intérêt y aurait-il à s’intéresser encore au demi-gros ?

Depuis quelques semaines, nous sommes pris d’une vague inquiétude. Il semblerait que nos ventes, en Amap et sur le marché de Vichy, commencent à régresser. Nous avons vécu en 2020 une année un peu euphorique où le moindre légume était vendu avant d’être produit. En novembre, on enregistrait des ventes dépassant les 1200€ en une matinée avec plus de 145 clients. Cette année, c’est rare qu’on dépasse 850€ avec environ 120 clients. Pendant longtemps, on s’est dit que c’était du à la faiblesse de notre production 2021 : des tomates tardives, peu de haricots, peu de poireaux. Mais, maintenant qu’on tient des stands énormes mélangeant les tomates et les légumes d’hiver (dont les épinards et le mesclun), on est obligés de se rendre à l’évidence : on plafonne à Vichy… Il faudrait disposer de statistiques mais je pense qu’on peut facilement évoquer deux hypothèses. La première est évidente : on a de nouveaux collègues sur le marché. C’est un phénomène auquel il fallait s’attendre : il se forme en ce moment beaucoup de nouveaux maraîchers (on en voit défiler quelques uns comme stagiaires aux Grivauds d’ailleurs) et l’offre va donc logiquement augmenter. La deuxième est plus complexe à comprendre : il semblerait que la demande en légumes bio se contracte. Pas que en légumes bio, du reste : en légumes tout court. Voire même en produits alimentaires. Un article récent de la montagne en témoigne d’ailleurs : «De plus en plus de besoins et de moins en moins d’argent». La faute, sans doute, à l’explosion de la précarité et à la hausse du coût de la vie. Dès lors, il n’apparaît pas absurde pour un·e jeune maraicher·ère de diversifier ses débouchés et de se tourner d’emblée vers du demi-gros.

De belles patates locales pour la revente d’hiver : merci Auvabio !

En Auvergne, en 2018, quelques maraîchers ont décidé de se réunir et de monter une plateforme d’échange entre producteurs et revendeurs (magasins, collectivités, collègues). Ça s’appelle Auvabio et c’est déjà tout a fait fonctionnel. Tout est expliqué sur leur site internet. Nous, cette année, on a décidé de s’adresser à eux pour acheter nos pommes de terre d’hiver. Le seul hic, c’est que, pour le moment, il faut venir retirer la marchandise à Malintrat, dans le Puy-de-Dôme… Heureusement qu’on ne le fait qu’une fois par an et pour un gros volume parce que ça n’est pas la porte d’à côté…

La semaine prochaine, on sera absents du marché de Vichy. Non, pas parce qu’on boude, non. Mais parce qu’on a pris trop de retard dans nos plantations de légumes d’hiver (3ème série d’épinards, mâche, 3ème série de mesclun, salade, ail, fraisiers). Du coup, on s’autorise à consacrer les jours dévolus aux récoltes (jeudi et vendredi) et à la vente (samedi) pour mettre un gros coup d’accélérateur dans nos cultures.

À la semaine prochaine !

Liligumes : le réseau MSV de l’Allier s’étend

Recevoir des nouvelles de nos anciennes petites mains, nous, on adore ça ! Dans la même semaine, on reçoit une lettre de Thibaut (wwoofeur en 2021), on apprend que Nicolas (wwoofeur en 2020) a acheté une parcelle dans l’Yonne, que Mathilde et Roman (stagiaires en 2021) ont enfin trouvé un terrain à Ambert et que Maxime (wwoofeur 2019 et ouvrier 2020) se lance sur un terrain tout équipé au nord-est de Bourges. Dans le même temps, Marin (notre wwoofeur du moment, suivez un peu !) nous exprime son envie d’aller visiter les fermes du coin. Et au menu, il y a les Mangetouts de Saligny, la Brouette bleue de Saint-Aubin et… la toute jeune ferme Liligumes, montée par la pétulante Lili (stagiaire en 2020) avec Charles, son compagnon. La ferme est toute proche puisqu’elle est située au Pin, à 15 minutes des Grivauds.

«Là, il y aura une grande serre multi-chapelle» nous dit Lili. En attendant, le terrain est amendé avec du foin.

On sourit quand on voit les toiles tissées pour l’occultation, les paillages organique et … la potentille qui envahit les poireaux : on n’est pas dépaysés… Car Lili pratique elle aussi un maraîchage sans travail du sol (MSV), comme aux Grivauds. Pour une année d’installation, on est impressionnés par la quantité de légumes mis en œuvre et par la taille des choux. Quand on pense que Lili est maman depuis quelques mois, on se dit que cette ferme a vraiment du potentiel ! Pour le moment, Lili vend quelques paniers à la ferme et place le gros de sa production en demi-gros (notamment auprès des Comptoirs de la Bio à Digoin).

Des toiles tissées et des chats qui dorment dessus, on est presque aux Grivauds !

Sur la ferme, il y a un mélange savant de matériel acheté (les serres de production, flambantes neuves et les toiles tissées) et d’autoconstruction (les serres des semis et le drôle de circuit d’irrigation, perché sur de grandes piquets tout autour du champ et des serres). L’achat d’une grande serre-chapelle va contribuer à amplifier rapidement la production dès l’année prochaine. Mais, nous, avec Fabrice, ce qui nous enthousiasme le plus, c’est le potentiel de biodiversité du site ! Des grandes haies d’essences diversifiées, dans lesquels les fusains font leurs intéressants en se parant de capsules roses et de grandes espaces boisés viennent border des terrains en pente douce. Charles et Lili se sont amusés à creuser de nombreuses petites mares, histoire d’ajouter à l’écosystème quelques plantes et animaux aquatiques.

De retour aux Grivauds, on reprend la main sur les plantations d’automne : les scaroles et une partie de la troisième série de mesclun est en terre. On désinstalle nos tomates à tour de bras pour pouvoir planter nos mâches. La future planche des oignons de printemps est broyée et bâchée. Celle des carottes est désherbée. Avec un petit coup de broyeur, on sera même prêts à planter notre troisième série d’épinards. Dans le champ, le vaste chantier de remplacement des toiles tissées trouées (courges et courgettes) par des bâches pleines a commencé. On est sur tous les fronts, même si on commence à se sentir un peu dépassés…

À la semaine prochaine !

Ces livres qui transforment les jardins et les jardinier·ères

Comprendre son sol pour produire de beaux légumes, ça peut aussi passer par la lecture !

Le temps des plantes et le temps de la lecture sont très similaires. Il faut quelques mois pour faire pousser un légume, du semis à la récolte. Et quand on a des journées bien remplies, comme c’est le cas pour vos maraîchers préférés, il faut aussi quelques mois pour venir à bout d’un bouquin de taille moyenne. En quelques mois, le jardin change de physionomie du tout au tout : une saison cède la place à la suivante, les formes et les couleurs évoluent, certaines cultures sont désinstallées et remplacées par de jeunes plants prometteurs. Quelques mois de lecture suffisent aussi à faire tourner la tête du jardinier et à lui faire vivre une petite révolution intérieure, modifiant parfois en profondeur le regard qu’il porte sur son petit territoire. Ça a été le cas pour moi à chaque nouvel ouvrage de Marc-André Sélosse, par exemple. «Jamais seul» (2017) m’a subitement fait voir des bactéries et des champignons à l’œuvre au sein de chaque entité vivante (végétale ou animale). «Les goûts et les couleurs du monde» (2019) m’a permis de percevoir l’incroyable contrôle des végétaux sur leur environnement à travers le prisme des tannins. Et son dernier ouvrage, «L’origine du monde» (2021), m’emmène faire un voyage biologique, physique et chimique au sein du sol. Et le sol, c’est important. Surtout en MSV, Pour moi qui n’ait pas étudié la biologie, ces livres de vulgarisation sont extrêmement précieux !

La collection de livres à destination des petites-mains des Grivauds (cliquer pour zoomer)

Rapidement, j’ai ressenti le besoin de constituer une petite bibliothèque pour les stagiaires et les wwoofeur·euses. Alors, d’accord, même pour une petite-main très motivée, deux semaines de lecture, c’est un peu court pour venir à bout d’un livre. Mais ne soyez pas de mauvaise foi : il suffit d’acheter le livre et de le finir à la maison ! En bonne place dans cette petite collection, il y a évidemment l’excellent livre de Gilles Domenech : «Jardiner sur sol vivant». L’ouvrage débute par une visite du sol, vu à hauteur de collembole (un insecte minuscule vivant dans la litière), se poursuit avec une agronomie simplifiée des sols non-travaillés et se conclut avec différentes réflexions autour de la façon de gérer la fertilité durable des sols (grâce aux mulchs et aux engrais vert notamment). «Des vers de terre et des hommes» de Marcel Bouché trouve aussi ici une place logique. Je ne vais pas vous faire une présentation détaillée des autres livres, vous trouverez des synopsis sur internet.

T’es très mal caché, Marin.

Marin, notre wwoofeur du moment, est aussi du genre «lecteur». Et il lit du très très bon. Parce que figurez-vous que c’est quelqu’un qui a débarqué chez nous après avoir longtemps fréquenté … ce même blog que vous êtes en train de lire ! Du coup, si j’écris ici «coucou Marin, est-ce que tu as apprécié ta buttercup ?», je suis sûr d’avoir une réponse lundi. Marin, c’est un maraîcher sans terre, comme il se définit lui même. Il a déjà officié longuement comme salarié et a fait fonction de chef de culture. Ça se sent dans ses gestes très sûrs et dans son recul par rapport aux modèles de ferme qu’il a rencontrés. Avec lui, donc, on plante des épinards (tâche pharaonique car il faut ouvrir des centaines de trous dans de la toile tissée avec un matériel rudimentaire…), on récolte nos dernières courges et on désinstalle les haricots à ramer. De nouveau, la semaine passe extrêmement vite, notamment à cause des abondantes récoltes que nous faisons pour le marché, pour l’Amap et pour la conservation (dont les betteraves). Nous sentons que, pour la première fois cette année, nous allons prendre du retard dans notre planning de plantations…

À la semaine prochaine !

Chère toile tissée

Du plastique ? Où ça ? Puisqu’on vous dit que l’agriculture bio c’est rien que du naturel !…

De la toile tissée, on en utilise tout le temps aux Grivauds ! C’est vraiment le produit un peu magique qui permet de bien maîtriser ses adventices et de réchauffer son sol. On utilise des toiles tissées non-trouées pour occulter nos sols pendant l’hiver afin de nettoyer nos planches et accélérer l’absorption de la paille. En saison, la toile tissée trouée permet de mettre en place une culture sur un sol non-désherbé. Autant dire que ce genre de produit a constitué un de nos investissements principaux ces dernières années. Nos besoins étant encore très forts, on lance des demandes de devis en vue d’un gros achat pour les occultations d’hiver et le paillage des épinards. Surprise : là où on obtenait un rouleau de 100m à 85€ l’année dernière, on nous le facture à 114€ cette année. 34% d’augmentation, tout simplement. En cause : l’explosion des prix des matières premières, en particulier celles issues de l’industrie pétrochimique. Ah parce que, oui, désolé de vous l’apprendre, mais la production de légumes, ça a aussi un bilan carbone, hein ! Entre le gasoil du tracteur, les bâches de serres, les paillages, les godets, les clips à tomates (oui, Hélène, on sait que tu les adores mais … ils sont aussi en plastique…), nos tuyaux d’irrigation, nos asperseurs, on n’en finirait pas de constater notre propre dépendance à l’omnipotent pétrole.

Tellement décroissants aux Grivauds, qu’ils font porter leurs récoltes de courges par Salomé, la stagiaire du moment

Et pourtant, nous, on est plutôt du genre sobres énergétiquement. L’absence de mécanisation réduit énormément nos besoins en carburant. Vous vous en doutez : tirer un outil attelé (comme une charrue par exemple), c’est extrêmement énergivore ! Pour le moment, la crise semble relativement conjoncturelle, et s’expliquerait par la forte demande créée par la relance économique. Mais n’empêche, ça laisse songeur : que se passera-t-il lorsque la crise de l’énergie tant annoncée finira enfin par se produire ? Est-ce que les maraîchers s’en sortiront en augmentant les prix des légumes ? Qui alors achètera encore des légumes ? Les questions s’imbriquent les unes dans les autres dans un délicat kaléidoscope d’inquiétudes.

En attendant, nous, on continue notre bonhomme de chemin, fiers d’être autant décroissants dans un tel contexte. À la seule force de nos mains rugueuses, on désinstalle nos concombres, on prélève des stolons de fraisiers, on taille les poireaux (qui ont pris le mildiou) et on récolte encore et encore ! Et notre beau stand à Vichy chante la prodigalité de notre dur labeur. Chant du cygne, demanderiez-vous dans un demi-sourire narquois ? Oh que non, répondrions-nous, car nous n’avons pas dit notre dernier mot ! Et vous tournant le dos crânement, nous retournerions planter nos épinards. Non mais.

À la semaine prochaine !

Chercher et se chercher

Semis d’épinards en trois quart face, une technique inventée par Salomé

C’est le propre de chaque nouvelle génération de chercher sa place dans le monde tel qu’il a été construit. De le bousculer, de le contester et de rêver de jours heureux. Mais avoir vingt ou trente ans de nos jours, ça prend un tout autre sens. C’est être plongé·e d’emblée dans un monde en crise, dans lequel tout est à reconstruire, où toutes les problématiques sont urgentes – écologiques, sociales, sociétales, sanitaires -, où on est formé·e par la génération précédente, qui n’a su régler aucun problème mais qui aimerait que ça bouge le moins possible. C’est ainsi qu’on croise aux Grivauds quantité de wwoofeur·euses et de stagiaires plus ou moins en rupture avec leurs études, des doutes plein la tête, tiraillé·es entre des injonctions de normalité (finis tes études, valorise tes diplômes, entre dans l’emploi) et l’envie de faire un pas de côté. Faire un pas de côté, ça commence par aller voir ailleurs, par voyager, par aller à la rencontre de celleux qui ont déjà les mains dans le cambouis, en train d’essayer de réparer la planète à petits coups de permaculture, de bonne volonté et de sobriété. Et tant qu’on n’a pas trouvé de réponses face à l’éternelle question «que faire ?» on continue à vadrouiller, à poser ses valises de ferme en ferme, d’éco-lieu en éco-village. Salomé, notre stagiaire-wwoofeuse de la semaine en est à ce stade-là. Des études supérieures de socio, quelques expériences professionnelles à droite à gauche, elle sent que ça ne va pas être facile de se fixer sur un projet qui lui convient. Et elle est loin d’être la première à nous confier cette impression de ne pas avoir encore trouvé de sens à ce début d’existence erratique.

Les parcours de vie sont devenus extrêmement hétérogènes. Tout aussi hétérogènes sont les pratiques et les modes de vie rencontrés au sein du petit monde des maraîchers·ères. Nos petites mains nous racontent cette diversité et Fabrice profite des visites de ferme organisées par la Frab pour ramener aux Grivauds les bonnes idées glanées ici et là. Immanquablement, je pose toujours les mêmes questions. Quel degré de mécanisation ? Quel travail du sol ? Quelle relation à la biodiversité ? Quels objectifs financiers ? Quel volume horaire ? Quel stress au travail ? Chacun se positionne par rapport à ses besoins, ses envies, ses contraintes, ses compétences. Et ça forme une mosaïque d’approches qui font qu’aucune ferme maraîchère ne ressemble aux autres. Au sortir de cette année difficile, aux Grivauds aussi on se cherche un peu. Des problématiques nouvelles ont émergées, comme la saturation en eau des sols de nos serres par temps humide ou la perte de fertilité de certaines zones du champ. Chercher, inventer, réinventer en permanence, il semblerait qu’aucun parcours réellement écologique ne permette le repos. Et c’est tant mieux. Après tout, c’est ça aussi être vivant. Se perdre sans cesse, se retrouver parfois, (se) chercher toujours.

On grignote sur le parc des ânes

Preuve qu’on est mobiles aux Grivauds, on a pris la décision de déplacer certaines des planches de culture vers l’Est, en empiétant sur le parc des ânes. Quatre nouvelles planches vont y être créées pour héberger les courges 2022. Redémarrer sur de la prairie et semer des engrais verts dans nos planches les moins performantes, c’est une de nos réponses à la baisse de performance de la partie Ouest de notre champ. De nombreuses planches seront bâchées avant l’hiver. Car, oui, nous connaissons déjà nos besoins de «planches propres» pour l’année prochaine. On a pris un petit temps devant Qrop [1]notre logiciel de planification libre et gratuit et on a préparé l’assolement pour la saison à venir. Tout est prêt pour redémarrer sur de bonnes bases. Promis, pour l’année prochaine, tout sera fait pour que notre production soit un feu d’artifice de légumes !

À la semaine prochaine !

References

References
1 notre logiciel de planification libre et gratuit