Denis s’en va

Cher·es ami·es, cher·es lecteur·ices,

Un légume des Grivauds, c’est de la joie faite végétale

Quand on mange un légume des Grivauds, il faudrait fermer les yeux. Il faudrait se concentrer. Il faudrait en faire un événement. Parce qu’un légume des Grivauds, c’est un petit trésor. C’est un luxe. C’est une fête.

Mais c’est surtout l’incarnation d’un projet fou. D’un projet d’une infinie patience. D’une infinie tendresse pour le végétal, pour l’animal, pour le fongique. C’est un cumul d’une multitude de petits gestes, qui ont leur vérité propre, parfois difficile à saisir. Certains de ces gestes sont de l’ordre du jardinage pointu, dictés par un mélange de science et de sagesse. D’autres sont emblématiques d’une ambition très forte pour magnifier l’écosystème des Grivauds. Leur vertu écologique se retrouve dans leur caractère très décroissant – rendez-vous compte, on taille nos haies à la main, sans moteur ! D’autres de ces gestes, enfin, traduisent une certaine forme de folie douce et innocente. Oui, tous les jours, nous enjambons des clôtures électriques…

Les gros choux des Grivauds, ça aussi ça va me manquer

Le légume des Grivauds, c’est un concept. C’est le must de ce qu’on peut faire en termes gustatifs et nutritionnels. Et aussi en termes visuels. Parce que les légumes qui débarquent sur le marché sont sacrément élégants, non ? Faut voir comment on les bichonne, comment on les gratifie de mille petits soins. Ils ont poussé dans un grand bain d’amour. On les a nourris de l’espoir qu’ils vous plaisent. Qu’ils viennent vous chatouiller agréablement le palais. Qu’ils déclenchent en vous de petits orgasmes gourmands.

J’ai tellement appris, ici. J’ai appris mon métier de maraîcher. J’ai appris à travailler beaucoup, mais aussi à m’économiser sur le terrain. J’ai appris tous les aspects de la gestion d’une ferme. C’est grâce à Fabrice tout ça. Parce qu’il m’a donné ma chance, parce qu’il m’a fait une place dans cette ferme. Oui, j’avais ma place ici. J’ai eu beaucoup de responsabilités très valorisantes. Parmi elles, et ça vous le savez très bien, je m’occupais des petites mains. Et j’ai tellement aimé ça. J’ai tellement aimé être avec vous, jardiner avec vous, vous transmettre ma passion, vous raconter mes petites histoires. Et puis, j’ai aimé vous connaître. Vous m’avez parfois un peu secoué, questionné, fait vaciller sur mes appuis. Mais au final, vous m’avez toujours rendu au centuple ce que je tentais de vous apporter. Certain·es d’entre vous ont traversé tout un bout de France pour revenir nous voir, ici, régulièrement, dans notre petite prison verte. Et ça, ça m’a toujours fait très très chaud au cœur. Et à Fabrice, aussi, j’en suis sûr.

J’ai habité 6 mois dans cette caravane, en 2018, et j’y étais comme un coq en patte, aux portes du jardin.

Il y a autre chose que Fabrice m’a apprise. C’est à reconnaître les plantes. Ah oui, ça c’est très important pour moi. Parce que, finalement, la botanique, ça a été le terreau dans lequel ma passion pour l’écologie a pu s’épanouir. J’ai du mal à réaliser qu’il y a encore 10 ans je ne connaissais pas les plantes. C’est fou ! J’ai l’impression que tout découle de ce choc, de cette révolution intime. Mon rapprochement avec le végétal a contribué à affûter ma sensibilité. À regarder plus, à sentir plus. À utiliser mieux mon goût et mon odorat. À percevoir le vivant dans une plus grande complexité. À être plus empathique.

Désormais, je vois des plantes partout. Elles m’accompagnent, où que j’aille. Elles tracent des traits d’union entre moi et le reste du monde. Et finalement, elles m’ont procuré une forme de spiritualité. Elles m’aident à me sentir appartenant à ce monde. Et à l’aimer. Et, par ricochet, me voilà plus humaniste, moins misanthrope. Plus doux. Moins cynique. De là découle sans doute ma déconstruction personnelle, mon féminisme. Mon envie de faire mieux, jour après jour.

Quand je suis arrivé aux Grivauds, j’étais un peu perdu dans ma vie. Je crois que j’ai vécu ma prise de poste comme une retraite. Comme un sacerdoce. Comme si je rentrais dans les ordres, et que tout le reste dans ma vie pouvait disparaître. J’aurais aimé vous raconter une belle histoire très généreuse où mes convictions écologiques auraient été le moteur de ma reconversion. Pas tellement. Je me suis lancé dans le maraîchage parce que je ne savais pas quoi faire de ma vie et que je n’avais plus envie de voyager. Que j’avais envie d’être de nouveau sédentaire.

Mais, au final, non seulement j’ai appris ici mon métier, non seulement je l’ai pleinement adopté, mais en plus je l’ai politisé. Et du coup, cette entrée dans le monde de l’agriculture m’a finalement paru trop timide. Parce que pour répondre à l’urgence écologique, pour répondre aux problématiques contemporaines de notre monde agricole, il va falloir être plus efficaces. Le modèle de la micro-ferme m’a paru alors trop étriqué pour ce que j’avais envie de faire. Ça, Fabrice ne l’a pas venu venir.

J’ai désormais envie de produire beaucoup, pour plus de monde. Tout en me fatiguant moins. J’ai envie d’être mieux relié à mes collègues éleveur·euses, céréaliers·ères, paysan·nes boulangers. J’ai envie de travailler dans une grande ferme. D’être agriculteur. De peser. Économiquement, socialement, politiquement.

En 2021, j’ai vécu une séparation après une longue période de vie en couple. Et, je me suis remis à rêver ma vie. Désormais, je n’ai plus envie de vivre ni seul ni en couple. J’ai envie d’entremêler ma vie à celle d’une communauté. Je veux être entouré d’ami·es et de collègues.

Ce sont les Grivauds qui m’ont permis de rencontrer Nel. Nel faisait du wwoofing pour apprendre le métier, en attendant de démarrer sa formation. Elle a débarqué aux Grivauds pour en savoir plus sur le MSV. Et le projet qu’elle portait correspondait tellement à mes nouvelles envies… C’était trop tentant. Ajoutons à ça l’incroyable complicité qui s’est installée entre nous. Alors, je me suis laissé embarqué dans son projet de ferme collective et je l’ai fait mien.

Nel et moi avons beaucoup travaillé cette semaine. Tous les soirs, après la journée de travail, nous planchions sur notre projet. Et nous avons surtout travaillé sur une question importante : où allons-nous nous installer ? Et nous sommes très très très intéressé·es par … le Puy-de-Dôme. Pourquoi ? Parce que Nel y fait sa formation[1]Mention spéciale à Pratiques Paysannes qui est vraiment une formation d’une qualité exceptionnelle ! et que ce qu’elle y voit lui plaît énormément. Parce que, finalement, j’aurais eu de la peine à quitter l’Auvergne, que je commence à peine à découvrir et que j’adore déjà.

J’ai un regret, c’est celui de laisser Fabrice seul ici. Je sais ce qui l’attend et je sais que ce sera difficile pour lui. Je lui souhaite de retrouver un nouvel équilibre et de continuer à produire des légumes d’excellence. Et si vous lisez ce blog, c’est que vous savez à quel point il est nécessaire que les producteur·ices, les client·es, les voisin·es et toute la société dans son ensemble se rassemblent dans les jardins. Surtout quand ils sont beaux, comme celui des Grivauds. Avec son écosystème si riche, avec ses chats si câlin, avec ses petites mains si passionnantes, avec son maraîcher si inspiré, parfois râleur, mais toujours généreux. J’ai été tellement fier d’avoir fait partie de tout ça.

Pierrefitte-sur-Loire va me manquer, c’est certain. J’y ai été tellement bien accueilli. J’y étais tellement bien installé. C’est inspirant d’avoir été entouré de tant de gentillesse. Je vous renvoie à ma déclaration d’amour pour mon village.

Le jardin va terriblement me manquer. J’ai hâte de remettre le plus vite possible les mains dans la terre. Et vous tous·tes, client·es, collègues, petites mains, lecteur·ices, vous aussi vous allez me manquer fort fort fort !

Ne soyez pas tristes mes ami·es. Parce que tout reste à écrire. Pour moi comme pour les Grivauds. Pour les micro-fermes comme pour les fermes collectives. Pour le monde agricole dans son ensemble. C’est pourquoi j’ai envie de simplement vous dire «au-revoir» et de crier joyeusement : «vive les Grivauds»

Denis Raffin

References

References
1 Mention spéciale à Pratiques Paysannes qui est vraiment une formation d’une qualité exceptionnelle !

Allez, on range !

Les premières gelées, la première neige… Les légumes ont mis leur croissance en pause depuis quelques jours. On ne s’attend pas à ce que les céleris ou les carottes prennent plus de volume ou de vitamines dans les semaines à venir. Dès lors, deux possibilités s’offrent à nous. Soit laisser les légumes en terre, soit les rentrer. Dans le premier cas, le légume va rester vivant tout le long de l’hiver. Les risques de pourritures ou de déshydratation sont plus faibles. Par contre, il reste exposé aux ravageurs (campagnols) ou aux pathogènes (champignons racinaires). Et aussi, s’il gèle trop fort, ça peut causer de gros dégâts dans certains légumes (comme les radis ou les navets). Dans le deuxième cas, on les stocke dans des bidons, dans notre bergerie, sans les laver. Là, il se peut que certaines zones pourrissent au cours de l’hiver. Par contre, on n’a plus à se préoccuper des gelées ou des campagnols. Bref, il y a un compromis à trouver. Ces dernières années, on a régulièrement changé de stratégie, sans qu’aucune ne donne pleinement satisfaction. Pour cet hiver, les légumes ont été rentrés : au moins, ça fera moins de travail de récolte pour Fabrice à partir de janvier.

Arrachage des carottes par Claire et Laure

On ne plante plus. Il fait trop froid pour ça. Il reste une série de mâches à mettre en terre mais on attend la fin de la vague de froid. Alors, comme on a du temps libre, on commence à ranger la ferme. On s’est d’abord attaqués aux toiles tissées, qu’on a trié par type d’utilisation : celles pour l’occultation longue d’un côté, celles qui sont trouées de l’autre – en distinguant bien les bâches à courges, à choux ou à courgettes. On s’est aussi attaqués au rangement de la serre d’endurcissement. Constat : le travail effectué l’année dernière avec Nel permet d’accélérer considérablement le rangement de cette année. Ce qui me donne envie d’inventer un nouveau proverbe : «plus on range et plus c’est rangé». Il vous plaît celui-là ?

Rangement des toiles tissées ; même dans le brouillard, on garde le sourire !

Je ne sais pas encore si j’aurais le temps d’écrire des articles dans les semaines à venir. Mais j’en écrirai un dernier au moment de la nouvelle année, c’est promis. Ce sera alors mon dernier pour ce blog. En attendant, ami·es lecteur·ices, je vous invite à mon pot de départ, qui aura lieu sur la ferme le mercredi 21 décembre à midi.

À très bientôt,

Denis

Confitures d’hiver

Mettre l'hiver en pot
Louche après louche
Pour ensuite l'étaler
Sur un pain acide et croquant
Qu'on trempera vigoureusement
Dans une tisane enflammée[1]Tiens, ce poème est dédicacé à Yolande, qui sort en ce moment son premier recueil de poésies.
Quelles mixtures audacieuses Simon est-il en train de concocter ?

On a plein de tomates vertes. Ce qui est normal à cette saison. Et c’est difficile à vendre, ce qui n’est pas très étonnant. On a plein de courges, aussi. Ce qui est normal à cette saison. Et ça aussi c’est difficile à vendre. Ce qui est incompréhensible, pour le coup. Là, ne me dîtes pas que vous ne vous sentez pas encore en hiver, hein ! On se les pèle du matin jusqu’au soir, qu’est-ce qu’il vous faut de plus pour avoir envie de faire bouillir des marmites et des marmites de soupe de potimarron ? Alors, nous, quand on n’est pas contents, on cuisine.

Vendredi, avec nos petites mains du moment – Simon, Claire et Laure – on lance un atelier confiture. Et on se bricole deux recettes de confiture : tomates vertes au citron et courge sucrine à la vanille. Rapidement, les fumets s’élèvent et se mélangent dans la tiédeur de la cuisine. On se frotte les mains au dessus des cocottes, heureux·ses de ce moment un peu hors du temps. Le marché a été préparé rapidement et on est à l’heure sur les travaux des champs, alors on en profite pour faire des choses inhabituelles.

Le lendemain, à Vichy, évidemment qu’on a tartiné nos deux préparations sucrées sur du pain de qualité (merci Serge). Et pas juste pour un petit déjeuner caché·es derrière nos panières de légumes, tatata. Non, on a offert ces mini-toasts à nos client·es en guise de dégustation. Avec un gros appel du pied : et si, vous aussi, vous faisiez la fête aux courges et aux tomates vertes ? Quelques ventes ont eu lieu grâce à ce stratagème diabolique. Mais, surtout, on a distillé de nouvelles gouttes de gourmandise légumière dans le cœur de nos client·es bien-aimé·es. Et, ça, ça méritait bien qu’on en fasse un article, non ?

À la prochaine,

Denis

References

References
1 Tiens, ce poème est dédicacé à Yolande, qui sort en ce moment son premier recueil de poésies.

Choux et courges, de nouveau au centre de votre cuisine

Au centre, une série d’aubergines en cours de désinstallation. Admettez que nos salades ont de toute façon meilleure allure.

Il y a quelques semaines encore, quand on plantait une série de salades à côté d’une planche d’aubergines, on sentait que ces dernières toisaient les frêles rosettes de leurs gros yeux noirs d’une façon particulièrement narquoise. Ces grandes plantes abritaient encore toute la vigueur d’un été chaud et lumineux. Nos tomates ont donné généreusement quelques 80 kg de fruits par semaine jusqu’à début novembre. Et, comme on vous le racontait précédemment, ces mêmes tomates sont venues concurrencer nos courges et nos brocolis sur notre propre étal, ce qui est un comble ! Mais, maintenant, il semblerait que l’été indien soit enfin terminé. Désormais, une modeste plantation de mâche, avec ses belles lignes vertes et vigoureuses, suffit à détourner notre attention des concombres, aux feuilles déjà bien marron. Et ça tombe bien, parce qu’on a accéléré le rythme de désinstallation des légumes d’été, afin d’installer les dernières séries de légumes-feuilles d’hiver : épinard, mesclun, mâche, salade, etc.

Paradoxe de cet automne : nos choux verts sont arrivés bien plus tôt que d’habitude, à un moment où personne n’en voulait. Maintenant que les aubergines désertent notre stand, la première vague de choux frisés est déjà en train de monter et la série de choux-fleurs d’automne est derrière nous. Heureusement, il y a des légumes qui vous ont attendu gentiment : nos choux blancs (particulièrement réussis cette année !), nos poireaux et nos courges. Il va donc falloir réviser nos classiques et réhabiliter au plus vite les légumes d’automne. Est-ce qu’il y a lieu de s’en attrister ? Je ne crois pas ! Pour preuve, cette semaine, chez moi, on se prépare à déguster une série de burgers au steak de potimarron. Et la semaine précédente s’est conclue sur un magnifique plat de frites de patate douce au four. Pour ce qui est du chou et des légumes-racines, si vous vous lassez d’alterner entre crudités et sautés de légumes[1]Ah non, n’allez pas me dire que vous ne mettez vos navets que dans des soupes, hein ! Sinon, je vous renvoie sur notre article sur le légume en question : «Jamais sans mes navets», sachez que la lacto-fermentation est une alternative ludique et savoureuse pour votre apéritifs et vos salades d’hiver. D’ailleurs, je sors tout juste d’une journée de formation sur la lacto-fermentation et ça me démange de vous raconter tout ce que j’y ai appris. Mais comme ça sort un peu du thème de ce blog, je n’ose pas trop m’étendre sur le sujet… À moins que vous ne me le réclamiez…

Claire et Claire (cliquer pour agrandir)

Qui a planté des épinards à nos côtés cette semaine ? Claire et Claire ! La première, c’est la fameuse wwoofeuse éleveuse de mantes religieuses. La deuxième, c’est notre stagiaire BPREA du moment. Elle est issue de la formation Pratiques paysannes, organisée par la dASA, le Crefad Auvergne et le Cfppa de l’Allier. C’est la deuxième fois qu’on reçoit des stagiaires issus de cette formation de très bonne qualité. Claire, en plus d’apprendre vite le métier, est déjà spécialiste en onomatopées. On ne sait pas encore à quoi ça va lui servir mais, comme c’est très amusant, pour le moment, on laisse faire.

À la prochaine !

Denis

References

References
1 Ah non, n’allez pas me dire que vous ne mettez vos navets que dans des soupes, hein ! Sinon, je vous renvoie sur notre article sur le légume en question : «Jamais sans mes navets»

Les corps fatigués

On récolte les tomates avec des petites caisses. Puis, on conditionne dans des caisses plus grandes pour le marché de Vichy.

On a changé d’heure. Pour nous, la journée s’arrête désormais à 17h00. Un peu comme tout le monde, finalement. L’occasion de souffler, de retrouver du temps à consacrer à ses proches, à ses loisirs. À la musique, à la lecture, au tricot. Aux papoti-papota avec les ami·es. Du coup, on devrait être moins fatigués que pendant l’été, c’est mathématique. Alors, d’où ça vient cette petite raideur au bas du dos que je sens ce matin, pendant que nous faisons quelques étirements sur le parking du marché de Vichy ? Je n’ai pas à chercher beaucoup dans ma mémoire : la veille, j’ai beaucoup porté. Des caisses et des caisses et des caisses. Pendant qu’on récolte, la caisse se remplit. Puis, il faut la porter pour la poser sur la brouette. Ensuite, il faut décharger la caisse à la station de lavage pour mouiller le légume. Puis, la replacer sur la brouette. Après ça, on la dépose soit dans le camion, soit dans la chambre froide. Souvent, il faut transvaser la caisse de récolte dans une caisse de conditionnement (nos fameuses caisses vertes pliantes, si pratiques sur le marché). Le lendemain, on sort la caisse verte du camion. Elle transite sur un charriot et se retrouve finalement déchargée sur le stand. Vous imaginez le nombre de manipulations pour une simple caisse de blettes ? On n’a jamais compté le nombre de caisses qu’on emmène à Vichy. Parce que ça fait peur…

Des choux Romanesco fraîchement récoltés. À partir de ce moment-là, un long voyage commence pour eux…

Cette semaine, il y avait un facteur de fatigue supplémentaire. Depuis quelques jours, Fabrice est de nouveau attaqué par un vilain covid, qui le cloue au lit. Alors, en plus des caisses, il faut porter toute la charge mentale. Ne rien oublier, ni aucune récolte, ni aucune commande, ni aucune caisse dans la chambre froide. Jeter un œil à chaque légume récolté. Veiller à ne pas prendre de retard sur le planning pour avoir le temps de tout cueillir avant la nuit. Les petites mains qui m’assistent demandent très peu d’encadrement et c’est une chance ! Laurence est là depuis deux semaines et a déjà participé à toutes les récoltes (ou presque). Claire est une grande habituée des fermes maraîchères (et des Grivauds en particulier). Et puis, vendredi, on a été rejoint·es par Nel. Nel, qui nous connaît par cœur et qui partage notre exigence pour le légume soigneusement pomponné.

Nel me raconte ses derniers stages. Elle me parle de transpalettes, de diables, de rails de chargement. De chambres froides si grandes qu’on peut y stocker des palettes entières. «Ne pas porter», est-ce que c’est ça le Graal du fameux «moins de gestes – plus de gestes» ? Peut-être bien. S’il n’est pas possible pour nous de couler une grande dalle de béton devant la bergerie pour imiter ce genre d’espace de stockage, on a toujours cherché à alléger nos journées. Par exemple, en adaptant les volumes des caisses à leur contenu (plus le légume est dense et moins on en met). Par exemple, en s’obligeant à plier les genoux chaque fois qu’on vient récupérer une caisse posée au sol. Par exemple, en organisant des espaces en hauteur (à main) pour y déposer les caisses de récolte, sans avoir à se baisser.

Les salades, c’est léger, alors on peut les mettre dans une grande caisse. Et si la caisse est posée en hauteur, alors il faut moins d’effort pour la récupérer. Du bon sens qui nécessite quelques piles de palettes pour pouvoir être mis en œuvre.

Les stagiaires ont l’habitude de m’entendre les reprendre sur leur posture. «Pas en extension» – «Jamais d’efforts quand on est penchés» – «Varier la position régulièrement». On se débrouille pour lancer toujours plusieurs chantiers en même temps, afin de pouvoir passer de l’un à l’autre régulièrement et varier les efforts. Et puis, on fait des pauses, où on s’assoit et où on se détend un peu[1]Alors, là, il y a eu débat cette semaine : parce que, parfois, la pause, ça démotive un peu. Ça coupe l’élan en deux et ça rend difficile la reprise du travail.. Et puis, notre rythme de travail n’est pas frénétique. On est doux avec nos corps. On pourrait l’être encore plus, mais il y a déjà une certaine philosophie de l’économie des corps aux Grivauds. Je suis persuadé qu’en étant un peu malin·es, on pourrait inventer un maraîchage qui nous mette constamment en bonne santé, et qui ne nous ferait jamais mal. Un maraîchage doudou.

Bon, ne vous inquiétez pas, il nous suffira d’un bon dimanche de repos pour redémarrer en fanfare. Dès lundi, ça va de nouveau fuser aux Grivauds !

À la prochaine !

Denis

References

References
1 Alors, là, il y a eu débat cette semaine : parce que, parfois, la pause, ça démotive un peu. Ça coupe l’élan en deux et ça rend difficile la reprise du travail.

Et pourtant, c’est déjà l’automne

Sur le stand de Vichy : vous êtes plutôt poivron-aubergine ou chou-fleur-épinard ?

Plus l’année avance, plus le paradoxe se creuse. Les jours sont à la fois de plus en plus courts et de plus en plus chauds. On se souvient de la vague de froid de fin septembre avec une sensation d’irréalité. On a l’impression d’avoir rêvé ces petits matins de gelée blanche. Depuis deux semaines, on travaille de nouveau en short et en tee-shirt. On continue d’alimenter la mare avec l’eau du puits, faute de pluies conséquentes pour la recharger. La sécheresse, d’ailleurs, on la sent quand on doit arracher les poireaux : c’est dur comme en été ! La conséquence de tout ça, c’est que les légumes d’été continuent de produire normalement : on a plein de tomates, d’aubergines et de poivrons ! Leur forte présence sur les étals freine d’ailleurs la vente des légumes de saison, comme les poireaux, les choux-fleurs ou les courges. Pour le moment, nos client·es se refont des tournées de ratatouille et de tomates-mozza. On verra plus tard pour les soupes de chou ou les poêlées de navets.

Ça fait mal au cœur : il reste plein d’aubergines à venir sur ces pieds…

Nous, aux Grivauds, ça nous pose un autre problème : même si les aubergines et les tomates sont encore en pleine forme, elles prennent la place des plantations d’hiver, qu’il est urgent d’installer. On parle de mesclun, de mâche, d’épinard, de salades en tous genres… Et même si on se résout à couper dans le vif, nos temps de récolte sont encore si longs qu’on n’arrive pas à enchaîner désinstallation-broyage-paillage-plantation avec la fluidité nécessaire. Moralité, le plant patiente en serre d’endurcissement plus qu’il ne le devrait.

Là, c’était le moment où Yolande et Flore évoquaient le fait que l’interdisciplinarité créait un décloisonnement mental qui aidait à lutter contre l’intolérance. Je ne plaisante même pas.

Heureusement, l’aide que nous apportent nos petites mains de la semaine nous permet de ne pas avoir à choisir entre récolte et plantation. Autrement, on aurait fait comme en 2019 : on aurait annulé un ou deux marchés pour pouvoir reprendre de l’avance sur nos plantations d’hiver. Au jardin, en ce moment, vous pouvez donc croiser deux revenantes : Yolande, qui peaufine ses publications poétiques et qui vient planter de l’ail ou récolter des tomates pour profiter du beau temps, et Laurence, qui crevait l’écran (du blog) en juillet. Laurence, désormais, elle est en mode studieuse, avec prise de notes et questions en rafale. Ce qui ne l’empêche pas de faire encore des blagues de temps en temps, rassurez-vous. En plus de ces deux têtes connues, il y a l’intrépide Flore, qui, après une longue carrière dans l’Éducation Nationale, cherche un nouveau souffle dans une activité agricole. Quand on voit comment elle est à l’aise, autant dans nos serres que sur le marché de Vichy, on se dit que ça n’est pas bête du tout !

À la prochaine !

PS : la galerie ci-dessous intègre aussi les photos de la semaine précédente ; cela explique pourquoi vous y retrouverez de nouveau Éric, par exemple.

Les bons dictons des Grivauds

Cette semaine, le blog fait place à William pour un article à sa façon. Mine de rien, derrière le côté potache de l’idée initiale, il y a quand même quelque chose à méditer. Et si, finalement, tous ces petits dictons n’étaient pas finalement aussi un outil didactique ? Un moyen de transmettre une valeur, un concept, une exigence ? D’offrir à la personne qui le reçoit un moyen simple de le transmettre à son tour ? Je me suis permis d’ajouter des petites remarques en notes de bas de page pour expliquer l’origine de certains de ces dictons.

On est d’accord, un bon dicton c’est celui qu’on retient avant même d’en comprendre le sens.

Il nous permet de retenir une idée simple grâce à une phrase rythmée, qu’une fois entendue on aura bien du mal à oublier, comme un refrain de Jul. Et puis c’est encore mieux quand ça rime, comme un refrain de Jul. Et aux Grivauds, les dictons, on en use et on en abuse !

En voici un florilège, décrypté.

  1. Moins j’exporte, mieux j’me porte !

Probablement le plus cité au Jardin des Grivauds, il résume presque à lui seul la philosophie de travail de Fabrice et Denis. Pour expliquer l’idée, je vais prendre un exemple concret vécu cette semaine au Jardin.

Le moment était venu de désinstaller les tomates cerises et d’installer une nouvelle série d’épinard. Les derniers fruit soigneusement récoltés, les pieds de tomates, dépouillés de leur fruits et dé-tuteurés ont été laissés sur place. Une fois les rémanents broyés par les soins de Fabrice, on a pu, dans la foulée venir planter notre série d’épinards sur une toile tissée installée sur le résidu de culture.

Les épinards sont plantés à travers un mulch de paille et de rémanents de tomate-cerise. La toile tissée permettra de maîtriser l’enherbement.

Pour résumer, la culture d’été a été désinstallée. La matière organique laissée sur place sera restituée au sol et l’épinard pourra en profiter, CQFD.

  1. Coller, c’est planter ! (Et réciproquement)

Moins philosophique, mais tout aussi efficace. Lorsque l’on plante un jeune plant en motte, il faut s’assurer que ladite motte reste bien collée. L’enjeu ici est l’enracinement de la plante.

Pour se faire, un arrosage est ainsi réalisé avant et après la plantation. Lorsque l’on plante, on appuie (sans exploser la motte on est d’accord) avec les doigts, si on essaye de la soulever (délicatement, c’est pas du chardon) et que la motte ne bouge pas, c’est planté ![1]Cette technique nous épargne d’avoir à creuser un trou dans le sol pour enterrer la motte. Cela dit, ça ne fonctionne pas avec toutes les cultures : les plants de chou, par exemple, on les … Continue reading

  1. Feuille coupée, feuille mouillée !

Qu’on se le dise, les salades des Grivauds sont les plus belles, et personne ne m’a payé pour le dire !

Mais comment font-ils pour présenter des scaroles aussi croquantes, des épinards aussi verts, un mesclun aussi vigoureux ? L’astuce est, qu’une fois récoltés, les légumes consommés pour leurs feuilles sont abondamment arrosés le plus rapidement possible. Cette douche va leur faire croire qu’ils sont toujours bien vivants. Le vice est poussé encore plus loin avec le persil et le basilic dont les tiges sont systématiquement immergées dans un sot d’eau jusqu’au moment de la vente au client. Vous avez dit maniaques ?[2]Ce dicton, je l’ai appris à l’époque où j’étais ouvrier agricole, à Coulommiers. C’est en constatant son efficacité didactique que j’ai eu envie d’en … Continue reading

  1. À force de faire n’importe quoi, on devient maraîcher

…Euh non c’est pas ça

  1. Un trou d’lumière, une digitaire !

Si comme moi, vous ne saviez pas ce qu’est une digitaire, une définition s’impose :

Les poivrons ont légèrement pris la Digitaire…

«Digitaria (les digitaires) est un genre de plantes herbacées de la famille des Poaceae, qui regroupe environ 300 espèces des régions tropicales et tempérées. Certaines espèces sont considérées comme des mauvaises herbes, en particulier dans les pelouses, les terrains de golf et dans certaines cultures.» Merci Wikipédia

Bien qu’on joue très peu au golf aux Grivauds, celle-ci pose quand même un problème, particulièrement l’été. A cette période, elle est trèèèèèèès présente sur la parcelle. L’avantage qu’on a, c’est que privée de lumière, elle ne pousse pas. Ce qui nous amène au prochain dicton.[3]Ce qui justifie qu’on cherche à faire des paillages bien occultants. Les digitaires profitent du moindre trou de lumière pour pousser. Ça explique aussi pourquoi on paille aussi nos … Continue reading

  1. Le plastique, c’est fantastique !

Ouais, j’vous l’accorde ça dénote un peu avec les précédents dictons, on dirait le slogan d’une mauvaise pub des années 60. J’ai l’impression que Greta Thunberg me fusille du regard à ce moment même. Mais c’est une réalité, dans la pratique du Maraîchage sur Sol Vivant aux Grivauds et chez leur confrères en MSV, le plastique est la clé de la gestion de l’enherbement. Aux Grivauds, on a fait le choix de se passer d’engin thermique au maximum mais l’utilisation de toile tissée intervient sur la plupart des cultures, mise à part en été, où son pouvoir réchauffant n’est pas souhaité. Il s’agit de faire des compromis comme souvent (toujours non ?) dans la vie.[4]Il existe un article sur le sujet : Plastique et MSV, une dépendance paradoxale

  1. Je plante, donc je suis

C’est un wwoofeur nommé Descartes qui avait sorti ça un jour. On n’a pas trop saisi ce qu’il voulait dire mais ça sonnait bien.

  1. Petit pied, petit fruit

Aller un dernier que je trouve très utile lorsque l’on se pose la question : Je récolte ou pas ?

Ce pied d’aubergine est vraiment plus petit que les autres. Alors, on y récolte des fruits plus petits que la norme.

L’idée c’est que si le pied est petit, sur une aubergine par exemple, et bien on récoltera les fruits plus petits sur ce pied là pour ne pas l’épuiser. Voilà simple et efficace comme un bon dicton ![5]Je complète : si on attend qu’une aubergine grossisse sur un petit pied, alors on prend le risque qu’elle se mette à faire des graines et qu’elle devienne amère. Idem pour les … Continue reading

  1. Moins de gestes, plus de gestes

Ça sonne comme un contresens, mais il faut comprendre le dicton comme tel : dans une journée au jardin, les petits chantiers se succèdent et la diversité des tâches est grande. Et chacune de ces tâches comprend son lot de petits gestes. Reprenons l’installation de la planche d’épinard par exemple. Il faut écarter la paille avec le bout du plantoir, faire un trou dans le sol, y déposer une poignée de compost, planter la motte, arroser… Et ça autant de fois qu’il y a de plants d’épinard. Ça prend du temps ! On doit donc rationaliser pour être efficace. Comment ? En isolant les gestes et en découpant chaque phase, on gagne de précieuses secondes qui, mises bout à bout, seront des minutes à la fin de la journée. Et puis on s’organise pour que les chantiers s’enchaînent avec fluidité. Ces attentions portées à nos gestes permettent aussi à nos corps d’être moins fatigués et de tenir plus longtemps physiquement. Cette fluidité, cette économie du geste font qu’à la fin de la journée on aura fait plus, en faisant moins.

BONUS : La récolte, c’est pas une science exacte

Toujours dans le registre de la récolte, cette fois-ci un dicton pour se décomplexer, parce qu’on peut parfois hésiter un peu trop et ne pas être sûr de soi devant un haricot vert. Alors dîtes-vous bien que la récolte c’est aussi très personnel ; le haricot ne vous en voudra pas. Le maraîcher peut être un peu plus.[6]Au départ, ce dicton, je l’avais inventé pour rassurer Cécile, wwoofeuse en 2020, qui était surprise que mes critères varient légèrement d’un concombre à l’autre…

Vous avez sûrement compris que je n’étais pas Denis, je suis William dit « Dubbleyou » stagiaire 2022 aux Grivauds, et Denis m’a fait l’honneur d’écrire l’article pour ma dernière semaine de stage.

Un grand merci à lui et à Fabrice qui ont été des maîtres de stages comme on en fait peu, qui font leur travail avec passion et la transmettent avec une grande bienveillance. Vous êtes au top !

References

References
1 Cette technique nous épargne d’avoir à creuser un trou dans le sol pour enterrer la motte. Cela dit, ça ne fonctionne pas avec toutes les cultures : les plants de chou, par exemple, on les rentre profondément dans le sol.
2 Ce dicton, je l’ai appris à l’époque où j’étais ouvrier agricole, à Coulommiers. C’est en constatant son efficacité didactique que j’ai eu envie d’en inventer d’autres.
3 Ce qui justifie qu’on cherche à faire des paillages bien occultants. Les digitaires profitent du moindre trou de lumière pour pousser. Ça explique aussi pourquoi on paille aussi nos passes-pieds. En réalité, ce principe n’est pas seulement vrai que pour les digitaires mais la rime était trop tentante…
4 Il existe un article sur le sujet : Plastique et MSV, une dépendance paradoxale
5 Je complète : si on attend qu’une aubergine grossisse sur un petit pied, alors on prend le risque qu’elle se mette à faire des graines et qu’elle devienne amère. Idem pour les concombres. Ce que Dubbleyou évoque, le fait de ne pas épuiser les pieds, c’est surtout vrai quand les pieds sont très jeunes et qu’on préfère qu’ils produisent des feuilles plutôt que des fruits.
6 Au départ, ce dicton, je l’avais inventé pour rassurer Cécile, wwoofeuse en 2020, qui était surprise que mes critères varient légèrement d’un concombre à l’autre…

Patate douce 2022 : plus tôt, plus fort !

Certains pieds donnent plus de 8 kg de tubercules !

On n’en revient toujours pas : on vient de récolter neuf pieds de patate douce et on a une moyenne de 7 kg par pied ! Les tubercules sont monumentaux – certains pèsent plus de 3 kg ! – et ils sont à peine grignotés par les campagnols. Ce qui fait que plus de 90% de la récolte est commercialisable. C’est un rendement énorme ! On suspecte les fortes chaleurs de cet été d’avoir été favorables pour ce légume demandant beaucoup de soleil. D’habitude on commence la récolte fin-octobre, début novembre. Là, on a un mois d’avance ! On en a déjà mis deux fois sur le marché de Vichy et une fois à l’Amap. On a planté une centaine de pieds en tout. Si tout a le même rendement, on part sur du 700 kg de patate douce pour l’hiver ! On a intérêt à faire une sacré promotion de ce légume pour écouler tout ça. Et à réussir notre conservation. On en reparlera plus loin.

Fleur et feuilles de patate douce

La patate douce, ça fait partie de la famille du liseron : c’est une convolvulacée ! D’ailleurs, la fleur ressemble à une fleur de liseron, mais en plus gros. Elle est gamopétale (toutes les pétales sont soudées entre elles) et prend une forme d’entonnoir. Sa culture est simple. On plante comme une courge, mais sous serre. On arrose abondamment (merci les gouttes-à-gouttes) et voilà. Comme toujours aux Grivauds, on prépare les planches en les nourrissant généreusement : compost, fumier et paille. En plantant à travers une toile tissée, on maîtrise l’enherbement. Nous, on considère que c’est vraiment une culture facile. Peu de ravageurs (en dehors de quelques coups de dents de campagnols), peu de maladies. Ça demande quand même de veiller à ce que les feuillages ne viennent pas s’immiscer au milieu des cultures voisines. Cela dit, les tiges sont souples et se manipulent encore plus facilement que des courges.

Feuillage des patates douces en octobre : tout est encore en pleine forme !

Jusqu’à présent, on achetait tous nos plants. Cette année, Fabrice a essayé de dédoubler certains pieds en prélevant des tiges et en les bouturant. Les plants ainsi créés semblent en forme. Pour autant, tant qu’on ne les a pas récoltés, on ne peut pas encore dire si c’est performant (et si les pieds amputés produisent autant que les autres). On fera une pesée pour vous dire, promis. Si on veut créer ses plants soi-même, le principe est le suivant. À la sortie de l’hiver, on place des tubercules dans du terreau et on attend qu’ils germent. On prélève les tiges et on les boutures dans des godets. C’est d’autant plus intéressant que les plants sont plutôt onéreux.

Bon, voilà, on a des patates douces. Mais, on en fait quoi concrètement ? Ben, un peu ce qu’on veut à vrai dire. Bon, on évitera en crudité : comme pour les pommes de terre, l’amidon cru, c’est pas tellement digeste. Alors, on fait sauter, on fait frire, on fait en vapeur ou rôtie, on la met en gratin, en soupe, en purée… Simple, non ? On a eu une stagiaire, Laurence, en 2019, qui nous avait fait un gratin de patate douce et chorizo. Fabrice en a encore des frissons de plaisir rien que d’y penser.

Il y a une dernière raison à acheter de la patate douce maintenant : certaines d’entre elles, à cause de leur aspect biscornu, sont vraiment décoratives. Oui, au même titre que les courges. Or, les patates douces apprécient la douceur humide de la maison et trouvera sa place sur une étagère de cuisine ou dans une bibliothèque. Comme pour la courge, la conservation permet de convertir une partie de l’amidon en glucose et donc d’augmenter le caractère sucré du légume.

Dans la galerie ci-dessous, vous noterez le retour de Claire. Et qui dit Claire, dit «petites bêtes». Avec elle, on s’extasie sur les insectes, les araignées, les campagnols et … les trèfles à 4 feuilles !

À dans deux semaines !

La visite et la surprise

Samedi après-midi, dans la cuisine de Fabrice, on est en train de faire les comptes du marché. On a peu de temps devant nous : il va falloir préparer la visite du jardin du lendemain. Il reste beaucoup de choses à faire en peu de temps et on est très fatigués. Et pour cause, on est levés depuis 4h40 du matin. Et là, sortis de nulle part, mes parents débarquent. J’ai toujours adoré les visites surprise, mais, là, en plus, mes parents tombent pile-poil ! Il fallait qu’ils soient là. Et alors, notre programme s’est déroulé à merveille. Même la pluie s’est fait discrète. Comble du comble, ma mère, Jacqueline, se propose de rédiger l’article de la semaine. Bon, j’avoue, j’ai un peu les meilleurs parents du monde, on ne va pas se mentir.

Et hop, grâce à mes parents (Alain et Jacqueline), on a même le temps de cueillir des tomates cerise pour vendre quelques barquettes après les visites !

Dans un précédent article du blog, nous avons lu « Ça faisait longtemps qu’on en avait envie : vous inviter tous·tes au jardin, pour une grande visite collective ! Fin septembre, il y a la semaine «Bio et local, c’est l’idéal», organisée par la Frab AuRA. L’idée est de faire la promotion de la Bio, à travers des visites de fermes. Alors, on s’est dit, «et pourquoi pas nous ?» . Et nous, les parents de Denis, nous nous sommes dit « et pourquoi n’irions-nous pas ? ». Nous avons décidé de faire la surprise à Denis de notre venue dès le samedi. Nos retrouvailles ont été pleines d’émotions et de joie !

Des panneaux qui ont eu le mérite d’exister. Et qui ont résisté à la pluie.

Denis et Fabrice étaient dans les préparatifs de la journée du lendemain : fabrication de grands panneaux indicateurs, préparation d’une planche de démonstration de plantation de mâche et aménagement d’un parcours à travers les cultures. Un pot était prévu pour les visiteurs en début et fin de visite. Bien vite, dans une bonne ambiance, nous avons participé à ces préparatifs, notamment par la cueillette de ces jolies et délicieuses tomates cerises « Datterini » pour agrémenter le pot.

Comme vous le savez, le jardin est cultivé selon la technique du Maraîchage en Sol Vivant (MSV). L’intérêt de la visite était aussi de découvrir des secrets de cette technique, de visiter un superbe jardin et d’écouter nos maraîchers préférés !

Le dimanche matin, dès 9h30 les premiers visiteurs arrivaient, sans crainte de la pluie !

Fabrice a commencé par nous montrer les pépinières. Les graines sont semées par leurs soins dans de petites mottes achetées chez un de leur confrère.

Plantes en phase d’endurcissement. Il faut 60000 mottes par an !

Dans une des serres, il y a les semis qui germent et dans l’autre, les semis en phase d’endurcissement. Dans les cageots nous voyons des petites mottes bien serrées les unes contre les autres avec des pousses de salades et du mesclun, des épinards, de la coriandre et bien sûr de la mâche.

Nous continuons la visite des autres serres dans lesquelles nous voyons ce qu’il reste des productions d’été : melon (les Amapiens ont adooooré !), des tomates cerises et pas cerises, des haricots verts, des aubergines, des poivrons, du magnifique persil au milieu des tomates. A propos des tomates, Denis nous montre les fameux pieds greffés conduits sur deux « têtes ». Une des têtes est le pied principal, celui que l’on plante tout jeune, et l’autre tête est un gourmand qu’on laisse pousser. Tous les autres gourmands sont enlevés au fur et à mesure de leur pousse. Il faut dire aussi que la tomate adore faire des gourmands, ce qui signifie que cultiver des pieds de tomate n’est pas de tout repos !

Heureusement, on ne fait pas la chasse aux gourmands sur les tomates cerises, alors ils forment d’immenses buissons colorés !

Pour plus de détails, consulter les articles « Le pari de l’année » et « Greffe des solanacées : vous reprendrez bien une deuxième dose de stress ? ».

Nous continuons la visite et nous nous intéressons aux méthodes de culture. « Maraîchage sur sol vivant » (MSV). Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il y a 3 règles à respecter :

1) On ne travaille pas le sol
2) On couvre le sol : toutes les planches sont couvertes de paille pour nourrir le sol. Aux Grivauds il en faut 12 tonnes par an ! On peut aussi bâcher par-dessus la paille afin de favoriser le réchauffement de la terre et de limiter un enherbement trop rapide.
3) On nourrit le sol : de paille, de broyat de végétaux.. et on laisse faire les vers de terre, tous les petits insectes qui vivent plus ou moins dans la terre ainsi que tous les micro-organismes qui se développent grâce à la décomposition des végétaux et de la paille.
Pour limiter leur consommation de paille, Fabrice et Denis testent la culture du sorgho fourrager. C’est facile : on sème du sorgho sur une planche qui sera cultivée en légumes l’année suivante. En hiver, le sorgho gèle et se dessèche comme la paille et ainsi nourrit la terre. Au printemps, on peut planter les mottes à travers le sorgho !

Dans une des serres, a été préparée une petite planche où vont être installés des pieds de mâche. La planche est déjà paillée. A partir d’un petit bloc de terre prélevé sur cette planche, Denis nous montre les différents éléments qui la compose ; elle s’égraine comme du couscous ! Puis, avec son plantoir spécial, il écarte la paille, secoue légèrement la terre, et enfouit les petites mottes de mâche ! Les gestes sont précis, nous sommes très impressionnés. J’ai remarqué aussi que se dégageait une bonne odeur d’humus dans la serre.

Il est beau ce sol !

La pluie qui s’était arrêtée un moment, est revenue en force, obligeant le groupe à se mettre à l’abri dans une serre. Alors Denis nous a proposé de désinstaller des pieds de haricots grimpants. Chacun s’est amusé à couper ces grandes tiges et à les séparer de leur ficelle ! Une belle occasion de travailler dans la bonne humeur.

Et puis, peut-être à cause de la pluie sont venues des questions sur l’arrosage. Nos maraîchers nous ont montré les tuyaux d’arrosage automatique placés sous les cultures. S’ajoutent à cela des asperseurs au-dessus des cultures, qui arrosent tout le sol une fois par semaine. Cet arrosage permet à la terre de rester humide et de continuer le lent travail de décomposition des végétaux : ainsi la terre continue d’être nourrie. Les racines des plantes vont également mieux se développer et aller chercher de la ressource plus loin.

La promenade s’est prolongée dans l’environnement du site. Aux trois premiers principes du MSV, on pourrait en ajouter un 4e que l’on pourrait appeler « favoriser la biodiversité ».

Tout au long de la visite, Fabrice insiste sur les éléments mis en place qui renforcent la biodiversité du site.

En étudiant son terrain, Fabrice a décidé de créer un environnement favorable à la biodiversité : creusement d’une mare, modification de la taille des haies, arrêt des tontes trop fréquentes, laisser pousser des plantes et des fleurs de toutes sortes. Ainsi, s’est créé un écosystème vertueux : les plantes aquatiques de la mare accueillent des insectes (Fabrice a recensé jusqu’à 25 espèces de libellules !), des animaux (nous avons bien entendu le coassement des grenouilles !). Des oiseaux se sont installés ou viennent faire une pause lors de leur migration. Dans les herbes hautes et grâce aux fleurs du verger situé à côté de la mare, les sauterelles, les grillons et autres insectes peuvent venir s’abriter, se nourrir et se réchauffer. Les fleurs qui sont présentes partout et en toutes saisons attirent les pollinisateurs : abeilles, bourdons, syrphes….Les haies désormais plus diversifiées et plus hautes permettent la nidification des oiseaux (plus de 25 espèces ont été dénombrées). On en voit en photo dans presque tous les articles du blog !

Dans l’article « Notre ÉcoJardin, un îlot de biodiversité, une terre d’accueil pour la vie ! » Fabrice nous donne des détails plus précis

Et puis, n’oublions pas Bob et Quenelle, les deux ânes fétiches (en plus des chats bien sûr !) qui viennent nous saluer si on prend le temps de les attendrir !

A la fin de la visite, nous nous sommes retrouvés autour d’un pot « nature » : pétillant et jus de pommes achetés à un confrère sur le marché de Vichy, bière locale et tomates cerises. Des Amapiens, des professionnels, des stagiaires, des lecteurs assidus du blog ou tout simplement des personnes curieuses de connaître le site et ses secrets, ont pu échanger et partager leur enthousiasme. Nos deux maraîchers n’étaient pas de trop pour répondre à toutes leurs questions !

Un ancien agriculteur « conventionnel » a félicité Fabrice et Denis pour leur sérieux et la qualité de leur travail et des légumes produits. Plusieurs ont affirmé qu’ils avaient raison de travailler ainsi et qu’ils représentaient l’avenir. Au cours de la visite, la question des revenus a été posée. Le montant de leur salaire au vu de leurs 50 heures de travail par semaine est accablant. J’ai senti la tristesse des visiteur·euse·s. J’attends le jour où les critères pour allouer des subventions seront basés sur la qualité sanitaire, environnementale et gustative. Là, ils gagneront peut-être une fortune ! En attendant, les deux maraîchers précisent qu’ils ne sont pas malheureux non plus. Leur métier leur offre d’autres gratifications : une forte reconnaissance sociale, la joie de travailler dehors, dans un cadre exceptionnel, le sentiment de bien-faire et de ne pas rester les bras croisés face à la crise écologique.

Mini-stand tenu par Alain et Jacqueline : des tomates, des courges, un peu de persil et des pots de sauce tomate.

Enfin, autour du petit stand de vente, nous avons parlé recettes, qualité et parfum des légumes. Nous avons parlé de nos préférences autour des courges colorées et des pots de sauce tomate fabriqués grâce aux surplus de production (300 pots de sauce tomates fabriqués par Podarno). Quelques détails ici et .

J’ai trouvé que cette visite nous faisait un bien fou. Parce que le lieu est beau, les légumes appétissants, la nature plus vraie que nature et les maraîchers passionnants. Merci à vous pour cette belle journée au cours de laquelle nous avons pu aussi saluer la pluie qui a tant manqué cette année.

Jacqueline

La galerie ci-dessous inclut des photos des activités des deux semaines écoulées. On y voit Charlène et William (dit «le Dubbleyou»), qui nous ont beaucoup aidé ces derniers temps. Merci à tous les deux !

La récolte sensible

C’est mon amie Charlène qui se charge de l’article cette semaine. En découvrant son texte, j’ai été très ému. Parce qu’elle met en mots un rapport au légume que Fabrice et moi pratiquons au quotidien sans qu’on ne lui ai jamais prêté suffisamment d’attention. Parce qu’elle nous rappelle qu’un bon jardinage réveille les sens et réciproquement. Son regard et sa sensibilité artistiques nous apportent ici un supplément de conscience qui nous faisait défaut. Peut-être que c’est ça aussi, l’amitié : faire émerger un univers tant dans les points de jonction que dans les différences. Percevoir le monde sous toutes ses coutures, s’en émerveiller et se réjouir ensemble de l’existence d’une si grande palette de possibles.

Il existe des critères visuels pour récolter des aubergines. Mais pas seulement…

«Je pourrais presque cueillir les yeux fermés» me dit Fabrice quand, au bout d’une heure de cueillette de haricot, je lui fais part de ma préférence à reconnaître les “bons” haricots au toucher. Perdu dans nos conversations, ma main est en mode automatique et je dois avouer que c’est satisfaisant de développer cette compétence. Au début d’une récolte, quand le fruit ou le légume n’a jamais été cueilli, qu’il a seulement été attrapé, sans trop avoir été tâté au marché ou en supermarché, la compétence à reconnaître un fruit ou un légume mur est visuelle (gros, coloré, etc.). Et pourtant très vite on comprend que ce n’est pas toujours la taille ni la couleur qui sont les facteurs principaux d’une récolte juste. Alors, Fabrice et Denis nous donnent certaines indications universelles, des indications visuelles : le concombre doit être régulier sur sa surface – «lisse et tendue» ajoute Claire -, l’aubergine pas trop rose, la tomate classique bien rouge.

Quand Léna revient de la récolte des concombres, elle laisse sa main caresser les hautes digitaires.

Mais, très vite, le doute s’installe. «Denis tu en penses quoi de celle-ci ?» – «Et ça Fabrice tu le prendrais ?» – «Fais-toi confiance, elle est pas trop mal ta récolte !» – Une fois que nous avons les critères universels, puis la confiance en soi souvent générée par la bienveillance des deux maraîchers au jardin, découle le troisième et dernier critère, celui du toucher. Un critère difficilement transmissible sous forme de méthode, de règle, puisqu’il est propre à chacun·e. Une fois nos sens en éveil dans le jardin des Grivauds, on développe chacun·e nos propres critères. Différentes sensations tactiles nous animent alors pour caractériser la consistance (dur, mou, moelleux) par pression, la température (chaud, froid, tiède), le stade de maturité ou la texture (piquant, lises, rugueux) par caresse. Ces sensations sont des indicateurs qui nous disent si notre présence sert à quelque chose dans l’espace. Les mains dans les orties envoient l’information au corps par la douleur qu’il n’y a rien à venir cueillir ici, ou la main qui écrase une tomate sans grande pression donnera l’information d‘un fruit trop mature et difficile à déguster.

Louise l’a bien compris : avant de croquer cette tomate cerise, il faut prendre le temps de la regarder et de la toucher.

Au jardin, j’ai les yeux qui traînent quand je ne cueille pas. Mais, surtout, j’ai les mains qui caressent les fenouils qui jaunissent, qui effleurent la Cardère qui s’impose sur mon passage, qui détachent cette mûre pour la dévorer. Les gants nous protègent, mais, dans le temps d’apprentissage sensoriel de l’écosystème que représente les Grivauds, les gants se perdent dans le jardin car un·e wwoofeur·euse les a retirés pour effectuer des gestes fins : sentir la terre, retirer la pousse de blé entre les navets, toucher la Rose de Berne ou semer des graines.

L’apprentissage sensoriel, et en particulier en termes de touché, est une manière de se confronter au monde, de l’apprivoiser, d’ajuster notre regard vers plus de douceur et de respect, que ce soit pour les légumes ou pour les humain·es qui nous entourent.

Charlème Lemasson