Dernières lumières d’automne

Broyage de la future zone des courges dans la lumière du petit matin

Après les interminables atermoiements humides d’octobre, voici le retour des jours secs. À un moment parfaitement inattendu, d’ailleurs ! La pluviométrie totale du mois de novembre s’élève péniblement à 15 mm, ce qui correspond au quart de ce qui est attendu en cette saison. En jours courts, qui dit sécheresse dit froid et, de fait, les gelées sont de retour. Le ciel est si transparent, l’air est si clair, que les étoiles brillent avec une vigueur surprenante. Des teintes fantastiques s’attardent sur l’horizon entre chien et loup et cette lumière si belle nous aide à supporter l’intense morsure du froid sur nos mains. On se motive en se rappelant qu’on travaillera sans manteau avant la fin de la matinée, même en extérieur. Charlène, qui est de retour pour la fin de semaine, exploite pleinement le potentiel artistique de ces dernières lumières d’automne et bombarde le jardin de photos. Les travaux vont bon train, malgré un certain engourdissement des corps en cette fin de saison : les céleris et les dernières carottes sont récoltés, les dernières tomates et les poivrons sont désinstallés, on se lance joyeusement dans le désherbage des fraisiers en serre et on commence à pailler les futures planches de courges (oui, avec six mois d’avance, on vous en reparlera plus tard). Pour une fois, il nous semble qu’on attaque l’hiver bien à l’heure. Ça nous laisse du temps pour nous reposer et aussi pour envisager avec sérénité nos prochains grands chantiers, comme la plantation de nos arbres fruitiers et le nivelage de la serre d’endurcissement.

Récolte des céleris raves avec Céline

On est rejoint cette semaine par Céline, une nouvelle stagiaire en BPREA, qui nous vient du Beaujolais. Issue d’une famille paysanne mélangeant élevage, grandes cultures et restaurant à la ferme, elle a le projet de créer conjointement sur la structure un atelier maraîchage et une association qui ferait le lien entre l’activité agricole et le reste du monde. Une façon d’assumer pleinement que nos métiers sont extrêmement gourmands en main d’œuvre et qu’il serait légitime que notre société hors-sol retrouve le chemin des champs et vienne prêter main forte à ceux qui nous nourrissent. L’optimisme de Céline et son amour de la vie sous toutes ses formes résistent vaillamment face à notre scepticisme parfois teinté d’amertume et c’est tant mieux. On échange énormément autour du végétal et elle apprend à une vitesse impressionnante à reconnaître nos différentes adventices d’automne. Le désherbage des fraisiers est aussi le prétexte pour parler de stratégie de reproduction et d’architecture végétales. Tout un programme…

Il était temps que Yolande parte : elle commençait à faire des bêtises au jardin. (photo de Charlène)

Cette semaine aura aussi été la dernière pour Yolande. Venue une première fois en wwoofing en septembre, elle a choisi de rester confinée dans notre ÉcoJardin pendant ces cinq dernières semaines. Si vous suivez ce blog, vous avez déjà apprécié ses articles, d’une densité et d’une précision remarquables ! Si vous achetez nos légumes à Vichy, vous avez peut-être eu le privilège d’être servie par elle ; Yolande y est venue cinq fois et y a été tout de suite à son aise. Son impressionnante connaissance des légumes et sa facilité de contact avec les clients en font une vendeuse hors-pair. Au jardin, elle nous aura accompagnés vaillamment à travers l’arrivée des jours courts et des premiers frimas. Elle venait le matin aux Grivauds et profitait de ses après-midi pour se ressourcer, pour sillonner les environs, en marchant ou en courant, pour cuisiner, pour lire toutes nos bandes dessinées… Oh oui, je vais regretter ma complice du matin et ses longues discussions, parfois paisibles, parfois plus agitées, mais toujours sensibles. Au revoir Yolande ! Ce jardin a été le tien et le restera aussi longtemps que tu le souhaiteras.

À la semaine prochaine !

Semis tardifs de carotte : un essai partiellement concluant

Tout simplement les meilleures carottes au monde. En toute modestie.

Ici, aux Grivauds, nous produisons les meilleures carottes du monde. Notez l’utilisation du présent de l’indicatif, notez la position de l’assertion en tête d’article, notez que le maraîcher qui l’écrit n’éprouve aucun remord, notez qu’en temps normal pourtant il serait plutôt du genre à la jouer modeste… D’accord, je sens à votre sourcil levé et à votre moue dubitative qu’il va falloir que je sois un peu plus convainquant que d’habitude. Pour commencer, parlons pinard. Un sujet que Fabrice et moi maîtrisons fort bien, comme chacun sait. Eh bien, figurez-vous que dans ce milieu-là, celui de la viticulture, on évoque constamment le fameux «effet terroir». Pour schématiser, un même cépage produit des fruits de saveurs différentes en fonction des conditions pédoclimatiques qui caractérisent le vignoble. La composition du sol aurait un impact fort sur la composition minérale des fruits, sur la quantité ou le type de tannins et d’arômes développés. Et pourquoi ne pas imaginer que cet effet ne pourrait pas être ressenti dans le cadre d’une culture légumière ? J’ai du mal à trouver des études qui attestent cette hypothèse mais elle ne me semble pas absurde a priori. Je me fais la réflexion, notamment, que le MSV augmente drastiquement la qualité et la quantité des mycorhizes des plantes. Je serais curieux de connaître précisément l’impact gustatif de cette bonne mycorhization (taux de sucre, arômes et autres métabolites secondaires). Au delà de cet «effet terroir» supposé sur nos carottes, elles ont surtout pour nous le goût des efforts qu’on leur consacre : des semis héroïques en plein été, un paillage demandant un certain tour de main, des arrosages réguliers, des protections permanentes (filets) contre les mouches. Et elles ont aussi un petit goût de fierté : celle que nous avons de proposer ces délicieuses racines en continu d’avril à février. Donc, il n’y a pas à discuter : ce sont les meilleures carottes du monde. CQFD. La semaine prochaine, mes petits amis, nous étudierons les ravages de la mauvaise foi en milieu maraîcher.

De mystérieuses tâches noires (alternaria radicina ?) apparaissent sur nos carottes à partir du mois d’octobre. Les dégâts sont uniquement superficiels et un petit coup d’économe suffit à régler le problème. Mais leur mauvais aspect complique la vente et nous inquiète pour leur conservation.

Si vous calculez bien, vous voyez qu’il y a quand même 2-3 mois de carence en la matière (de février à mi-avril). Pourquoi donc ? À ces dates-là, pas de carottes «nouvelles», ce sont forcément des carottes semées l’année précédente. Pour les amener à traverser l’hiver, on a le choix entre deux options : soit on les récolte et on les conserve (mais les hivers très doux ne nous permettent pas de les tenir au delà de fin-janvier de cette façon-là) ; soit on les laisse dans le champ et on les protège du gel. C’est cette dernière technique qu’on a voulu tester cette année. Deux semis de 60m ont été effectués dans cette idée : un au 14 juillet (variétés Nantaise et Rouge-sang) et un au 21 juillet (Napoli F1). Pour ces semis très tardifs, nous avons utilisé des variétés à cycle très court. Et de fait, en ce mois de novembre, on constate qu’on a obtenu des calibres relativement corrects. Mais toute idée de les conserver en terre s’est rapidement évanouie… Bon, on s’en doutait, nos petits mammifères des champs (campagnols et mulots) se réjouissent de la présence de cette nourriture offerte en abondance et nos chats peinent à limiter la pression qu’ils exercent sur nos rendements finaux. Et en plus, on constate avec dépit que certaines parties de la peau de nos carottes (notamment la pointe) se tâchent de noire sans qu’on comprenne bien pourquoi. On suspecte un champignon appelé Alternaria radicina sans pouvoir être bien sûrs. Du coup, nos carottes sont moins belles et s’abîment vite. Impossible de les laisser dans le champ tout l’hiver dans ces conditions. Moralité : nous voilà déjà en train de les vendre dans nos paniers et sur le marché de Vichy…

«Tout ça pour ça», me direz-vous. «Tout ça pour finir par nous dire que vous n’aurez toujours pas de carottes à vous entre février et avril ?» Certes… Mais réjouissez-vous, ce sujet m’offre de nouveau l’opportunité de céder la plume à Yolande, notre grande star du blog, qui avait envie de disséquer une carotte ! C’est pas une bonne nouvelle, ça ?

Dans les entrailles de la carotte

(par Yolande Belleau)

La carotte est un légume commun, tellement que quand vous la regardez vous ne vous posez pas autant de questions que face à un aliment nouveau, inconnu. Et pourtant, la connaissez-vous vraiment ? La plante dont est issue la carotte appartient à la famille des Apiacées. L’espèce la plus commune est daucus et sa famille carota. Cette plante est dite bisannuelle. Son cycle de reproduction sexuée (ensemble des étapes permettant à un individu de produire de futurs individus) dure 2 ans. La carotte est produite lors de la première année. La plante y stocke des réserves d’éléments nutritifs qui seront utilisées l’année suivante à la sortie de l’hiver afin que la plante fleurisse. La carotte est en effet un organe avec une fonction spécifique de réserves. À l’origine la carotte est la racine de la plante. L’appareil racinaire est dit pivotant et la carotte en est le pivot, la racine principale. Lors du stockage des réserves nutritives cette racine devient un tubercule. Ce phénomène est nommé tubérisation. Ainsi la racine en plus de son rôle d’ancrage et d’assimilation des substances nutritives et de l’eau acquiert celui de réserve. La tubérisation peut concerner d’autres organes des végétaux telles que la tige (pomme de terre) ou les feuilles (oignons).

La nature et la localisation des réserves varient selon les tubercules. Chez la carotte ces réserves sont de nature glucidique. Elle emmagasine de l’énergie sous forme de molécules de glucose, à l’origine du goût sucré de la carotte ! Les tissus accumulant les molécules de stockage sont les tissus qui conduisent la sève (un tissu est un ensemble de cellules ayant la même structure, fonction et origine embryologique). Observons directement cette organisation sur une carotte.

Le cambium est un méristème dit secondaire. Un méristème est une zone de division cellulaire, à l’origine d’organes et/ou de tissus végétaux. Les méristèmes primaires sont situés généralement au niveau des parties terminales des organes (racines, tiges) ou à la base (aisselle) des feuilles. Ils permettent la croissance en longueur des organes. Les méristèmes secondaires assurent eux la croissance en épaisseur et leur localisation est variable au sein de l’organe. Dans la racine, ils forment un anneau à partir duquel les cellules se divisent et se différencient (acquièrent des spécificités) ensuite en tissu. Chez la carotte le cambium génère du bois vers l’intérieur et du liber vers l’extérieur. Le bois est issu du xylème primaire, tissu conducteur de la sève brute (issue des racines à destination des autres organes, contenant principalement l’eau et les minéraux du sol). Le liber (ou liège) est issu du phloème primaire, tissu conducteur de la sève élaborée (issue des feuilles à destination des autres organes dont ceux de réserves tels les tubercules durant la phase de tubérisation) contenant principalement des sucres issus de la photosynthèse). Au moment de la récolte, les carottes ont atteint un stade où les tissus secondaires sont très développés, rendant peu visibles les tissus primaires.

Si vous mangez une carotte dont l’intérieur est dur et fibreux, cela indique que votre maraîcher l’a récoltée âgée, à un stade avancé de développement du bois. Elle est devenue difficilement consommable, car ce tissu est progressivement composé de cellules mortes à la paroi rigidifiée par une molécule nommée lignine. En fonction de sa consistance, vous saurez désormais déterminer si votre carotte est vieille ou non !…

À la semaine prochaine !

Le chant des jardins

Chant triomphal du soleil qui perce à travers le brouillard

Pardon ! Pardon, Fabrice, mais parfois je mets des oreillettes dans le jardin. Je sais bien que c’est mal, je sais bien que j’ai tort mais c’est plus fort que moi. C’est que j’ai besoin de ma dose quotidienne de musique classique et que j’aime la prendre ici, au milieu de cet environnement si beau, si inspirant. C’est comme ça qu’il m’arrive de louper un vol de grues, juste parce que je me laisse entraîner par d’autres accents, d’autres sollicitations auditives. C’est comme ça… Le jardinier, satisfait de son labeur, fier de ses salades, de ses poireaux, de ses tomates, a parfois envie de joindre son propre chant à celui de la Nature, comme pour se redonner du cœur à l’ouvrage, comme pour se prouver que sa place dans le jardin est aussi sonore. Les petites mains qui ont eu le triste privilège de me supporter ne le savent que trop bien : je parle beaucoup, je sifflote constamment, je ris et je cherche à faire rire… J’en ai bien conscience : je suis sans doute le mammifère le moins discret de notre jardin ; je suis un éléphant dans un magasin de porcelaine, un Florin sur un voile anti-insectes, un Mi-Roux dans une caisse de plants…

C’est le matin, le soleil perce enfin le brouillard. Je retire des potentilles en serre 2, en préparation d’une nouvelle planche de mâches, perdu dans mes pensées. En face de moi, de l’autre côté de la serre, une musaraigne pousse de petits cris. C’est incroyable qu’un animal si fragile se signale autant ! Comme s’il cherchait à jouer les bravaches face à notre armée de chats. La musaraigne, nous, on aime bien pourtant : avec son régime insectivore et sa tendance à s’intéresser aussi aux gastéropodes, on a plutôt tendance à la classer dans les auxiliaires de culture. Je repense avec mélancolie à l’époque où j’étais ouvrier agricole et où on m’avait appris à me méfier de tous les petits mammifères à quatre pattes (soricidae ou rongeurs), indifféremment qualifiés de «vermine». À plusieurs reprises, j’entends claquer des coups de feu. La chasse bat son plein. Car, oui, pour rien au monde, on aurait confiné de nouveau les chasseurs, dont les pratiques sont considérées «d’intérêt général» (contrairement à celles des naturalistes par exemple). Je repense à ce tract surréaliste de la Coordination Rurale que nous avons reçu deux jours plus tôt et dans lequel on trouve un article sur «le loup au portes du Bourbonnais». La CR demande, dans le plus grand des calmes, que les troupeaux d’ovins puissent bénéficier du statut de «non-protégeabilité» pour pouvoir tirer le loup plus facilement. Car, n’est-ce pas, «ce n’est pas aux éleveurs de s’adapter au loup ! C’est au loup de s’adapter aux différentes situations d’élevage.» (sic) D’agacement, un rouge-gorge se met à chanter à deux pas de ma serre. Fabrice m’a fait la remarque qu’ils sont particulièrement nombreux dans le jardin cette année. Tant mieux, leurs chants vont accompagner joyeusement nos courtes journées d’hiver. Au même moment, Fabrice repère un Pouillot sibérien près du plan d’eau. Après vérifications, il constate que cet oiseau n’a été repéré que 4 fois cette semaine en France.

La brouette, un outil silencieux

Il fait chaud et pour cause : le vent souffle du sud-est. Comme toujours dans ce cas-là, les sons de la RCEA sont portés vers notre petit havre vert. L’espace d’un instant, j’essaie d’oublier cet intarissable vomi de camions venus d’un autre siècle. Dans le lointain, j’entends une machine, une tondeuse peut-être, ou un taille-haie. Et je repense à ce texte de Gilles Clément que Charlène m’a envoyé en début de semaine. «L’idée de jardin ne paraît pas compatible avec les machines. La prolifération d’outils bruyants, malodorants et coûteux est archaïque en face de la nature. C’est à dire en face de la connaissance biologique, scientifique que l’on pourrait avoir de la nature d’aujourd’hui. Un peu comme s’il fallait un marteau de plus en plus grand pour écraser des mouches de plus en plus petites. Si l’on considère la fragilité des brins d’herbe, passer la tondeuse pour les tailler à ras, est d’un point de vue énergétique, une dépense exorbitante.» Je ne saurais dire mieux : il y a beaucoup à entendre dans un jardin, pour peu qu’on y prête l’oreille.

À la semaine prochaine !

Ces maraîchers qui ne font rien comme les autres !

Cette semaine, je cède de nouveau la plume à une «petite main» des Grivauds. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Yolande, dont vous avez déjà pu apprécier la prose en septembre dans un article mémorable (De la chaise à la terre). Car oui, Yolande est de retour aux Grivauds ! Son sens de l’observation et son esprit critique font de nouveau mouche ici, dans un article où elle cherche à montrer la singularité de notre pratique au sein de notre profession.

Avez-vous déjà vu passer sur les réseaux sociaux des illustrations composées généralement de quatre images censées représenter de manière plus ou moins humoristique et caricaturale des situations, personnes, corps de métiers, clichés ? Ces illustrations sont nommées des starter packs, littéralement « kit de démarrage ». En voici quelques exemples :

Mais… ce serait quoi le starter pack du maraîcher en agriculture biologique? 

Je ne sais pas pour vous mais voici les images qui me viennent à l’esprit :

Il y a cependant un rutabaga dans le potage… aux Grivauds, aucun de ces éléments clés n’est présent (sauf s’ils sont bien cachés ou employés de nuit). M’aurait-on menti ? Est-il possible de les considérer comme de vrais maraîchers ? J’ai décidé de mener ma petite enquête…

Procédons dans l’ordre.

En quête du calendrier lunaire : exercice du sens de l’observation

Où trouver pareil objet ? Dans un bureau, non ? 

Aux Grivauds, il y a un bureau (attention révélation, dans cet antre sombre se manigancent bien des choses tels des itinéraires techniques, des compositions de panier amap, des répartitions de récolte pour le marché), mais aucun calendrier lunaire en vue. Denis et Fabrice ne semblent pas se soucier de la lune (peut-être ne la remarquent-ils même pas, la tête attentivement penchée sur leur champ et non vers les cieux). Ils ne modifient en tout cas pas leur emploi du temps selon son état. La lune selon sa position dans le ciel exerce une force d’attraction plus ou moins forte sur la Terre participant notamment à des phénomènes telles les marées. Selon certaines théories cette force aurait des effets sur la vigueur des plantes (voire des cheveux). Les distances minimale (périgée) et maximale (apogée) mais également le nœud lunaire lorsque la lune passe entre le soleil et la terre seraient par exemple des moments où le jardinage serait perturbé. Les rythmes de la lune (croissance/décroissance ou montée/descente) correspondraient aussi à différentes périodes propices à différents gestes (semis, plantation, bouture, récolte). Denis et Fabrice ne croyant pas en ces affirmations et aucune preuve scientifique rigoureuse ne les ayant appuyées, leur pratique du maraîchage est indépendante des paramètres lunaires. Je les crois sur parole mais dans le doute, j’ai par acquit de conscience procédé à des vérifications supplémentaires avant de poursuivre mon enquête. Mais non, aucun calendrier lunaire suspendu aux murs des toilettes ni ne servant de cale à quelque meuble bancal…

À la recherche de purin d’orties : exercice de l’odorat

Ah… le fameux purin d’orties, cette mixture à la douce et agréable odeur et aux multiples propriétés selon la durée de sa fermentation. 

Même si les vertus de ce macérât s’avéraient justes, aux Grivauds les orties resteraient en terre. Elles serviraient à la limite d’ingrédients pour cuisiner un pesto mais ne seraient pas transformées en purin. Revenons sur les propriétés de ce produit miracle…

Une première propriété du purin d’ortie est sa concentration en azote et potassium qui lui confére un rôle d’engrais. Les engrais (ou fertilisants) sont un type d’intrants à destination des plantes. Ils libèrent des éléments minéraux ou organiques directement assimilables par les végétaux (compost, fumier ou engrais synthétiques). Les amendements sont l’autre grand type d’intrants. Ils sont à destination non pas directement des plantes mais du sol. Les amendements réunissent les méthodes d’enrichissement du sol par apport de matière organique (via des cultures laissées sur place : engrais verts, ou via différents mulch : paille, bois raméal fragmenté pour en citer parmi les plus célèbres…)

Aux Grivauds, les intrants sont utilisés à minima. Tous les sols sont amendés par des engrais verts ou de la paille. Ils sont ainsi enrichis et couverts, deux des principes de base du maraîchage sur sol vivant (MSV). L’engrais n’est utilisé qu’au démarrage des cultures si les sols ne fournissent pas la quantité d’azote nécessaire (sol froid, cultures exigeantes comme la pomme de terre ou sur des planches de culture aux faibles rendements).

Par ailleurs, le purin d’orties aurait des vertus insecticides. Mais une fois encore, aux Grivauds d’autres méthodes sont utilisées contre les insectes ou autres nuisibles des cultures. Par exemple faire confiance à l’immunité des végétaux. Fabrice et Denis entretiennent un sol actif et en bonne santé, favorable à la mise en place de différents mécanismes de défenses, quitte à ce que les rendements s’en trouvent affectés. La philosophie adoptée aux Grivauds peut être qualifiée de non-interventionniste. Cet état d’esprit est notamment inspiré du microbiologiste japonais Fukuoka. Sa thèse peut être résumée ainsi : la nature n’a pas besoin de l’homme pour s’épanouir. Ainsi, respecter les rythmes naturels est suffisant afin de bénéficier des conditions permettant de cultiver. Il décrit un mode de culture naturel en harmonie totale avec le vivant dans son ensemble. À l’inverse, un fonctionnement interventionniste consiste à modifier des processus naturels. Certaines pratiques peuvent ainsi contre sélectionner des agents naturels en remplissant partiellement ou totalement leur fonction dans un écosystème. Utiliser un insecticide afin de se débarrasser des pucerons par exemple supprime la pression exercée par leur présence sur la culture. Les coccinelles ne sont donc plus utiles et peuvent même disparaître.

En quête d’explication à l’absence de grelinette et de binette : exercice des méninges

C’est cette même vision consistant à laisser les écosystèmes se réguler d’eux-mêmes qui explique l’absence de grelinette aux Grivauds. Cet outil est en effet utilisé pour ameublir le sol en le perforant sans le retourner donc sans déplacer ses horizons (couches). Ces différentes couches permettent à de nombreuses fonctions biologiques d’être remplies, principalement par leurs conditions physico-chimiques et leurs structures. Ces caractéristiques conditionnent notamment la vie de la faune et de la flore du sol (vers de terre, bactéries, champignons, racines). Ainsi, même si la grelinette contrairement au motoculteur, à la bêche ou à la charrue, ne détruit pas cet équilibre biologique elle modifie la structure du sol par son rôle d’aération, de bioturbation. Or ces fonctions sont naturellement assurées par le ver de terre. Si on grelinait, il s’en trouverait tout désœuvré ! Ainsi Denis et Fabrice préfèrent lui laisser ces missions. La grelinette effectue dans tous les cas un travail du sol, ce qui est contraire aux principes du MSV.

Aux Grivauds, pas de binette non plus. La binette, c’est vraiment l’outil de désherbage qu’on trouve dans tous les jardins. Pourquoi ne le trouverait-on pas dans celui-ci ? D’abord, le paillage ou bâchage des cultures rend inutilisable la binette car elle ne peut atteindre la terre. Quand bien même on ouvrirait la paille pour l’utiliser, elle a pour inconvénient de réactiver le lit de semences. Des milliers de graines dans le sol sont en effet en latence. Elles sont comme endormies, n’attendant que les conditions optimales à leur germination soient réunies. Ces conditions (présence d’air et d’eau) leur sont offertes en déplaçant à l’aide de la binette la surface du sol. Elles vont donc germer suite au désherbage. Chaque binage est automatiquement suivi de l’apparition de nouvelles adventices, ce qui entraîne un cycle infini de binage… La binette est dans tous les cas inutile aux Grivauds car les seules plantes poussant au travers des paillages sont des vivaces, des végétaux survivant plusieurs années. Aux Grivauds, elles sont éliminées en étant coupées au collet (à la base) grâce à un sécateur. Leurs racines sont laissées dans le sol. Elles s’y décomposeront sur place sans modification de la structure du sol.

Fin de l’enquête. Je rentre bredouille. J’ai usé de tous mes sens (ou presque) mais je n’ai rien trouvé de cet attirail aux Grivauds. Pour ce qui est de répondre à la question « est-il quand même possible de les considérer comme des maraîchers? » revenons à la définition du terme. Selon le CNRTL, un maraîcher est un « jardinier qui cultive des légumes sur une grande échelle afin de les vendre ». Ainsi Fabrice et Denis, en produisant vos légumes, vous remplissez le critère essentiel permettant de définitivement vous définir comme des maraîchers (ouf). Simplement votre approche aux Grivauds oriente le fonctionnement de la nature afin de produire des légumes tout en visant la meilleure harmonie possible avec ses différents éléments. L’intervention majoritaire (outre les plantations et récoltes cela va sans dire) est l’enrichissement des sols, favorable à leur rendement et il est réalisé avec des procédés les moins artificiels possibles. Ainsi sont limités au maximum les mises sous tutelle et les modifications des processus naturels après le lancement des cultures. Je termine donc mon enquête les mains vides mais forte d’une conclusion : Fabrice et Denis sont bien des maraîchers et qui tentent de se faire collègues avec la nature en travaillant main dans la main avec le monde vivant.

Bonus de l’enquête : Mais quel est donc le starter pack de Denis et Fabrice?

Note du maître-toilier : après l’article de Charlène la semaine dernière et l’article de Yolande cette semaine, je commençais à avoir beaucoup de photos accumulées, montrant notamment l’avancement de nos planches de culture hivernales sous serre. Les voici donc rassemblées ici dans une grande galerie. Vous y ferez notamment la connaissance de Charly, un stagiaire dont nous reparlerons prochainement.