Les corps fatigués

On récolte les tomates avec des petites caisses. Puis, on conditionne dans des caisses plus grandes pour le marché de Vichy.

On a changé d’heure. Pour nous, la journée s’arrête désormais à 17h00. Un peu comme tout le monde, finalement. L’occasion de souffler, de retrouver du temps à consacrer à ses proches, à ses loisirs. À la musique, à la lecture, au tricot. Aux papoti-papota avec les ami·es. Du coup, on devrait être moins fatigués que pendant l’été, c’est mathématique. Alors, d’où ça vient cette petite raideur au bas du dos que je sens ce matin, pendant que nous faisons quelques étirements sur le parking du marché de Vichy ? Je n’ai pas à chercher beaucoup dans ma mémoire : la veille, j’ai beaucoup porté. Des caisses et des caisses et des caisses. Pendant qu’on récolte, la caisse se remplit. Puis, il faut la porter pour la poser sur la brouette. Ensuite, il faut décharger la caisse à la station de lavage pour mouiller le légume. Puis, la replacer sur la brouette. Après ça, on la dépose soit dans le camion, soit dans la chambre froide. Souvent, il faut transvaser la caisse de récolte dans une caisse de conditionnement (nos fameuses caisses vertes pliantes, si pratiques sur le marché). Le lendemain, on sort la caisse verte du camion. Elle transite sur un charriot et se retrouve finalement déchargée sur le stand. Vous imaginez le nombre de manipulations pour une simple caisse de blettes ? On n’a jamais compté le nombre de caisses qu’on emmène à Vichy. Parce que ça fait peur…

Des choux Romanesco fraîchement récoltés. À partir de ce moment-là, un long voyage commence pour eux…

Cette semaine, il y avait un facteur de fatigue supplémentaire. Depuis quelques jours, Fabrice est de nouveau attaqué par un vilain covid, qui le cloue au lit. Alors, en plus des caisses, il faut porter toute la charge mentale. Ne rien oublier, ni aucune récolte, ni aucune commande, ni aucune caisse dans la chambre froide. Jeter un œil à chaque légume récolté. Veiller à ne pas prendre de retard sur le planning pour avoir le temps de tout cueillir avant la nuit. Les petites mains qui m’assistent demandent très peu d’encadrement et c’est une chance ! Laurence est là depuis deux semaines et a déjà participé à toutes les récoltes (ou presque). Claire est une grande habituée des fermes maraîchères (et des Grivauds en particulier). Et puis, vendredi, on a été rejoint·es par Nel. Nel, qui nous connaît par cœur et qui partage notre exigence pour le légume soigneusement pomponné.

Nel me raconte ses derniers stages. Elle me parle de transpalettes, de diables, de rails de chargement. De chambres froides si grandes qu’on peut y stocker des palettes entières. «Ne pas porter», est-ce que c’est ça le Graal du fameux «moins de gestes – plus de gestes» ? Peut-être bien. S’il n’est pas possible pour nous de couler une grande dalle de béton devant la bergerie pour imiter ce genre d’espace de stockage, on a toujours cherché à alléger nos journées. Par exemple, en adaptant les volumes des caisses à leur contenu (plus le légume est dense et moins on en met). Par exemple, en s’obligeant à plier les genoux chaque fois qu’on vient récupérer une caisse posée au sol. Par exemple, en organisant des espaces en hauteur (à main) pour y déposer les caisses de récolte, sans avoir à se baisser.

Les salades, c’est léger, alors on peut les mettre dans une grande caisse. Et si la caisse est posée en hauteur, alors il faut moins d’effort pour la récupérer. Du bon sens qui nécessite quelques piles de palettes pour pouvoir être mis en œuvre.

Les stagiaires ont l’habitude de m’entendre les reprendre sur leur posture. «Pas en extension» – «Jamais d’efforts quand on est penchés» – «Varier la position régulièrement». On se débrouille pour lancer toujours plusieurs chantiers en même temps, afin de pouvoir passer de l’un à l’autre régulièrement et varier les efforts. Et puis, on fait des pauses, où on s’assoit et où on se détend un peu[1]Alors, là, il y a eu débat cette semaine : parce que, parfois, la pause, ça démotive un peu. Ça coupe l’élan en deux et ça rend difficile la reprise du travail.. Et puis, notre rythme de travail n’est pas frénétique. On est doux avec nos corps. On pourrait l’être encore plus, mais il y a déjà une certaine philosophie de l’économie des corps aux Grivauds. Je suis persuadé qu’en étant un peu malin·es, on pourrait inventer un maraîchage qui nous mette constamment en bonne santé, et qui ne nous ferait jamais mal. Un maraîchage doudou.

Bon, ne vous inquiétez pas, il nous suffira d’un bon dimanche de repos pour redémarrer en fanfare. Dès lundi, ça va de nouveau fuser aux Grivauds !

À la prochaine !

Denis

References

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1 Alors, là, il y a eu débat cette semaine : parce que, parfois, la pause, ça démotive un peu. Ça coupe l’élan en deux et ça rend difficile la reprise du travail.

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