L’incroyable interdiction

Aux Grivauds, en préparation de la future interdiction de tondre les pelouses, on a laissé la tondeuse au placard.

L’actualité est devenue folle, tout va trop vite, on tombe de Charybde en Scylla ! Le confinement se renforce et s’allonge, les hôpitaux saturent, les marchés sont interdits (mais pas celui de Pierrefitte, ouf!), on dézingue le code du travail à tout va sous prétexte que c’est l’état d’urgence et on nous somme d’aller rejoindre la «Grande Armée de l’Agriculture». Période propice à jeter des idées dans tous les sens, comme on sèmerait autant de graines, si bien que notre premier ministre s’exclame : «nos compatriotes occupent leur temps comme ils peuvent : certains ont déjà tondu cinq fois leur gazon et taillé quatorze fois leurs haies» (propos recueillis par Mediaporte). Rebondissant sur cette saillie humoristique, certains de nos parlementaires ont fait le lien entre nos crises actuelles (pandémies, réchauffement climatique, pollution de l’air) et la baisse inexorable de la biodiversité dans le monde (lire à ce propos l’excellent article du Monde Diplomatique qui résume bien la situation). Et voilà que le bruit court qu’on nous prépare ni plus ni moins qu’une interdiction de tondre les pelouses et de tailler les haies dans les jardins ! L’interdiction porterait sur les mois de mars à octobre (inclus) au motif que ces espaces pourraient constituer de formidables réserves de biodiversité si on voulait bien les laisser un peu tranquilles.

Premières floraisons de graminées : le vulpin des prés.

Une pelouse non tondue, ça se transforme naturellement en prairie. Les graminées fleurissent et donnent des graines. Si l’expérience est renouvelée d’année en année, la flore se diversifie : trèfle, vesce, pissenlit et rumex s’installent, accompagnés d’un certain nombre de plantes annuelles (véroniques, lamiers, gaillets, carottes sauvages, etc.). Les grosses graines d’astéracées (chardons, centaurées, pissenlits, etc.) feront la joie des oiseaux granivores, dont le magnifique Chardonneret Élégant, si beau que Jacques Séguéla aurait déclaré un jour : «Si t’as pas vu un Chardonneret avant 50 ans, t’as raté ta vie». Au fur et à mesure que la prairie prend de la hauteur, elle est colonisée par une multitude d’insectes, rampants ou ailés (dont la grand sauterelle verte, quasiment disparue de nos campagnes), qui à leur tour viendront nourrir des prédateurs insectivores (dont l’impressionnante Mante Religieuse). Les tiges hautes servent de support aux toiles d’araignées, qui piégeront les moustiques et les moucherons à votre place. L’abondance de fleurs permet aux abeilles, bourdons, syrphes et papillons de trouver une nourriture abondante, variée et de qualité. Deux autres intérêts à ne pas tondre sa pelouse. 1) On économise de l’essence – on rappelle à ce sujet que le coronavirus n’a pas abrogé le réchauffement climatique. 2) On réduit la pollution sonore et on entend mieux les oiseaux chanter. Pendant l’hiver, pour restituer la matière morte au sol (ce que Marcel B. Bouché appelle la «phoromasse»), on broie la prairie. Au printemps, tout redémarre à nouveau. Pour ce qui est des haies, le sujet est si riche qu’un petit paragraphe n’y suffirait pas. Le lecteur curieux passera commande auprès de Fabrice d’un article de fond sur ce thème pour le prochain hiver.

Concernant l’interdiction sus-mentionnée, il est permis de penser que la rumeur se fait surtout entendre aux Grivauds, certes. N’empêche, la prochaine fois que vous verrez votre gazon pousser, dites-vous qu’il suffirait de bien peu pour qu’il serve enfin à quelque chose écologiquement parlant. Il suffirait d’un peu de lâcher prise, tout simplement. C’est dit !

Semis de fèves en poquet, avec Nicolas et Sandrine

On vous détaillera plus avant en quoi le confinement nous impacte dans le prochain article. Pour l’instant, contentons-nous de donner quelques nouvelles du jardin. Les oignons sont plantés ! Bulbilles et mottes sont en terre et paillés. Demandez à Nicolas, notre wwoofeur ce qu’il a pensé de ce chantier, je suis sûr qu’il vous dira un truc du genre : «titanesque». Les échalotes restent à planter par contre… Grace à Sandrine qui est venue deux fois au jardin, les petits pois et les fèves sont semés. Côté météo, il a gelé tous les matins mais les dégâts sont limités. Vous constaterez en regardant la galerie qu’on a trouvé un deuxième usage à nos cloches à scaroles ! La fin de la semaine a été consacrée à des récoltes pour le petit marché de Pierrefitte. Ce samedi, on a passé la barre symbolique des 50 clients, ce qui est très encourageant pour une petite commune comme la nôtre ! On apprécie d’être aussi proches de la ferme : les caisses de blettes sont vides ? Hop, j’en ramène une nouvelle série toute fraîche ! Impossible de procéder ainsi à Vichy…

Le wwoofing de Nicolas se termine et il se prépare à retourner à Paris. On lui souhaite un bon retour et on espère qu’il a apprécié d’avoir passer deux semaines de confinement au grand air ! De notre côté, on sait qu’on lui doit énormément ; notamment un intense coaching de nos poules pour qu’elles donnent plus d’œufs ! En tout cas, on vous reparlera de lui : rendez-vous est pris pour qu’il repasse au jardin en juillet ! Ça nous laisse du temps pour tondre nos pelouses et tailler nos haies.

À la semaine prochaine !

Rebondir

Vichy est inaccessible ? Et si on vendait nos légumes à Pierrefitte ?

Début de semaine difficile : il pleut des mauvaises nouvelles ! On fait une croix sur notre camion : notre garagiste ne reçoit plus de nouvelles pièces. On fait aussi une croix sur nos stagiaires et nos prochains wwoofeurs. Se pose la question de l’organisation de nos dernières Amaps. À Bourbon-Lancy, ce sont les conditions sanitaires trop complexes à mettre en œuvre qui nous obligent à y renoncer. À Dompierre, on y croit jusqu’à la veille et puis finalement, ça discorde en interne et la distribution n’a pas lieu. Ces annulations nous interrogent réellement : on prive nos clients de leurs légumes, les obligeant ainsi à aller les acheter dans des grandes surfaces où le risque de contamination est bien plus fort. Absurde. Si ça n’avaient pas été les dernières distributions de la saison, on se serait battu un peu plus. Du coup, on se retrouve avec pas mal de légumes sur les bras et on n’a plus la possibilité de les emmener loin (bye bye Vichy). Que faire ? Vente à la ferme ? Malheureusement, notre réseau de vente à la ferme n’est pas suffisant pour écouler autant d’épinards, de mâches et de salades. Rapidement, la seule solution raisonnable s’impose à nous : il faut organiser un mini-marché à Pierrefitte. Quelques coups de fil au Maire de Pierrefitte et au gérant de la supérette «Épicerie du Paradis» et on arrive à un accord : nous pouvons tenir un stand devant la supérette, à condition de respecter les règles sanitaires en vigueur.

Fabrice explique à Mi-Roux qu’avec un peu de chance, on pourrait avoir des courgettes début mai.

En dehors de ces vicissitudes, nos journées ressemblent à celles d’un mois de mars comme un autre : on plante des oignons, on sème, on repique, on désherbe. La routine quoi. Encore que… pas tout à fait ! Par exemple, nous avons planté une première série de courgettes avec une bonne semaine d’avance par rapport aux années précédentes. Le début de printemps très doux nous pousse à la témérité. Bon, dans la foulée, on découvre qu’on va devoir affronter 5 jours de gel la semaine prochaine, avec un pic à -8°C mercredi. On ne s’attend clairement pas à ce que tous les plants survivent ! On notera au passage qu’encore une fois, on enregistre nos températures les plus basses de l’année au printemps, et pas en hiver. Allez comprendre.

Nicolas, wwoofeur et planteur d’oignons.

Autre originalité du moment, figurez-vous qu’on a été épaulés toute la semaine par Nicolas, un wwoofeur parisien venu du monde de la finance. Comble du pire, il a travaillé pour le Crédit Agricole. Nous, au départ, on l’avait accepté en se disant qu’on pourrait se venger sur lui de tous les maux écologiques causés par la finance, la mondialisation, les traders, les banquiers, etc. Par exemple, en l’envoyant désherber de la potentille pendant de longues heures en le fouettant avec des chardons et des orties. Mais finalement, on l’a trouvé sympa et on a eu la flemme de cueillir des orties, alors on a laissé tomber. On a bien fait de ne pas trop le maltraiter : sans lui, on n’aurait pas autant avancé dans nos oignons ! Et puis, il nous a filé un sacré coup de main dans la préparation de notre petit marché du samedi matin ! Merci Nicolas !

Consignes sanitaires strictes : 1 m de distance entre les clients, les clients ne touchent pas les produits et on se lave les mains avant chaque vente.

Parlons-en d’ailleurs de ce marché. Car il a bel et bien eu lieu, sans aucun accro. Pour nous, c’est aussi l’opportunité de participer à la limitation des déplacements, en proposant des légumes au plus près de la ferme. Coup double : non seulement, ça limite les chances de propagation du virus, mais en plus ça lutte contre le réchauffement climatique. On a effectué une communication un peu à minima : une annonce à nos clients de vente à la ferme, une annonce sur Facebook et une affiche à la supérette. Résultat : une quarantaine de clients et des caisses qui se vident très rapidement. Les gens repartent avec un sourire et de beaux légumes qui vont les aider à rester en bonne santé. Simple, non ? Du coup, on remet ça samedi prochain, même heure, même lieu. Qu’on se le dise !

À la semaine prochaine !

Gardons notre calme !

Nous, on a plus peur de cet animal que du COVID-19

Mercredi, La Montagne titre en une «Gardons notre calme !». Nous, c’est exactement ce qu’on se dit tous les jours lorsqu’on voit Mi-Roux marcher dans les caisses de plants ou s’allonger sur les oignons fraîchement repiqués. C’est ce qu’on a essayé de se dire aussi mercredi soir quand la boite de vitesse de notre vieux camion rouge a rendu l’âme… Ah mais non, dans le journal, ils font référence au Coronavirus, pardon ! Ce sont les mêmes qui appellent à garder notre sang-froid alors que ça fait des jours que toutes leurs unes font monter la mayonnaise. Marrant d’ailleurs comment on a l’inquiétude sélective. Un virus ressemblant à une méchante grippe suffit à coller tout le monde en état d’alerte et de grosses mesures de précaution sont prises. Par contre, le réchauffement climatique, ça va ! Depuis le 5 mars, la France vit à «découvert climatique», c’est-à-dire qu’elle a déjà émis plus de CO2 en 9 semaines qu’elle ne devrait le faire en un an si elle voulait respecter ses objectifs de neutralité carbone. À mon humble avis, il est bien plus probable de vivre de longues canicules/sécheresses/incendies dans les années à venir que d’attraper le Coronavirus. Mais pendant ce temps-là, les camions continuent à sillonner la France et les avions décollent (il paraît même que certains volent à vide). Cherchez pas, c’est compliqué. Comble du comble, on nous prive de nos rares sorties : le concert de la fanfare et de la chorale est annulé. Il va falloir donc arrêter de vivre pour survivre…

C’est dommage que La Montagne ait titré sur l’épidémie ce jour-là, parce qu’ils avaient tout de même du contenu intéressant en pages 2 et 3 : un bel article sur l’agriculture de conservation dans l’Allier ! Avec un carabe en photo ! Et des gens qui vous expliquent que c’est une bonne idée de «laisser le sol tranquille», que ça leur permet de diminuer leur bilan carbone et de réduire leur consommation de produits phyto. On nous explique même qu’un ravageur comme la méligèthe (parasite du colza) peut aussi être un auxiliaire pollinisateur. Bigre ! Des insectes qui seraient tantôt méchants tantôt sympas, ça existe donc ? Un peu plus et on serait capable de nous dire du bien des limaces… Bon d’accord, l’agriculture de conservation utilise aussi pas mal de glyphosate. Dans ses conférences, François Mulet (un des pionniers du MSV en France) aime bien demander à l’assistance : «qu’est-ce qui pollue le plus ? Un coup de glypho ou un coup de charrue ?» Cherchez pas, c’est compliqué (bis).

Plantation de choux-fleurs avec Cécile et Denis

Bon, nous, on a tranché : ce sera ni l’un ni l’autre. Mais des fois, ça s’enherbe un peu, même malgré la paille. Alors, on intervient, soit manuellement, soit par occultation (on met une bâche sur le sol). Impossible sur une grande culture de procéder ainsi, c’est pour cela que vous ne trouverez quasiment aucun paysan qui soit à la fois en agriculture de conservation et en bio… Ça viendra peut-être plus tard, souhaitons-le. Revenons à nos cultures. Dans notre champ, les planches occultées en 2018 sont encore plutôt propres. On en nettoie une rapidement (un peu de renoncule, un peu de carex, un peu de pissenlit), on la paille et hop ! c’est prêt pour notre première plantation de plein champ de l’année ! À la manœuvre, nos deux premiers wwoofeurs de la saison : Denis et Cécile. Tous les deux sont en démarche d’installation et se forment en attendant le grand saut. Solides jardiniers, ils ont déjà beaucoup de connaissances et on échange autour de nombreux sujets. Mine de rien, on a planté pas mal de choses ensemble : des fenouils, des brocolis, des choux-fleurs, des choux-rouges, des salades et des épinards. Ils ont goûté aux joies du paillage en plein champ, sans sourciller – on sent qu’on a affaire à des sportifs. Les pignons des serres 6 et 7 sont montés, les derniers radis sous serre sont semés, les rhubarbes sont plantées ; bref, une semaine bien productive, encore une fois !

À la semaine prochaine !

L’intersaison maraîchère, c’est quoi ?

Plants de fenouils, blettes, brocolis, choux-fleurs et choux-rouges, à installer en serre la semaine prochaine.

Dans le grand royaume des légumes, il y a des stars incontestées et ce sont en général des légumes d’été. Les tomates, par exemple. Tiens, c’est un bon exemple ça, la tomate. On les plante en avril, elles donnent de fin juin à fin octobre (en gros). Sept mois pendant lesquels un tiers de notre surface sous serre est occupé par des tomates. D’autre part, à partir de la fin mars (toujours approximativement, hein), les stocks de légumes d’hiver (navets, betteraves, carottes, céleris-raves, radis, etc.) s’épuisent et les cultures d’hiver (choux, poireaux, épinards, mâches) tirent la langue (plus précisément, elles préparent leurs floraisons). Entre ces deux évènements, de fin mars à fin-juin, il y a une période un peu maigre chez les maraîchers, qu’on appelle l’intersaison. À ce moment-là, le maraîcher vend ses derniers épinards et fait des tartes avec ses premières orties. Produire des légumes en intersaison, c’est délicat. Sous serre, la place coûte chère et c’est difficile d’enchaîner une culture de printemps (par exemple un chou pointu) avec une culture d’été (par exemple une aubergine) : il y aurait une superposition qui porterait préjudice à la précocité de la culture d’été. En plein champ, il fait encore trop froid pour espérer planter quoi que ce soit avant la fin du mois (en dehors des oignons). Aux Grivauds, on a décidé d’améliorer notre intersaison en implantant deux nouvelles serres. Il y aura désormais trois serres (les serres nº5, 6 et 7) qui seront spécialement dédiées à ce type de culture. On les a placées en plein milieu de notre grand champ pour qu’elles prennent beaucoup de lumière au printemps. Qu’y trouvera-t-on ? Des salades, évidemment. Des carottes, évidemment. Les courgettes précoces (celles qu’on espère pour la mi-mai). Des navets nouveaux, quelques choux chinois, quelques fenouils. Et surtout, on espère réussir une série de brocolis et de choux-fleurs. Dans nos autres serres, concernant spécifiquement l’intersaison, il y a déjà plusieurs cultures en place : des radis en serre 2, des oignons nouveaux (serres 1 et 4), des choux pointus et cabus (serre 5) et nos fameux petits pois (serre 4).

Derrière Florin, des petits pois en grande forme !

Alors ? Sommes-nous prêts pour attaquer sereinement ce moment délicat ? La réponse, c’est qu’on est plus à l’heure que les années précédentes mais que ce sera sans doute encore mieux les années suivantes (quand on n’aura plus besoin de monter de nouvelles serres à la sortie de l’hiver ou d’éliminer les potentilles de nos planches avant chaque plantation). N’ayons pas peur de le dire, sans nos stagiaires, on n’en serait pas là ! À tour de rôle, Lucie, Clément et Lili nous ont accompagnés en cette fin d’hiver et ont mis un coup d’accélérateur à nos différents chantiers (installation des serres, semis, plantations, désherbage, récoltes). Il y a un autre facteur qui nous aide : la douceur de l’hiver, qui permet à nos cultures de printemps de démarrer sur les chapeaux de roue !

La semaine prochaine, nos premiers wwoofeurs de la saison débarquent aux Grivauds. En attendant que les températures soient suffisamment clémentes, on leur épargne la caravane et on leur a préparé une petite chambre dans la maison. Normalement, leur venue coïncidera avec les premières grosses plantations de l’année : les oignons et les échalotes. À voir si la météo nous permettra de suivre notre planning… Sur ce suspens insoutenable, je vous dis :

À la semaine prochaine !