Cette semaine, c’est Fabrice qui joue les rédac’ chef sur le blog. Ne vous laissez pas impressionner par la longueur de l’article : on vous raconte là quelque chose d’important ! Loin des jérémiades coutumières de la profession, les maraîchers auvergnats ont décidé de se réunir pour anticiper les problématiques liés au réchauffement climatique. Vous vous en doutez : l’EcoJardin des Grivauds se devait de participer à une telle entreprise…
Partant du constat qu’il était de plus en plus difficile de produire certains légumes et notamment l’été avec des canicules de plus en plus fortes et longues, mais aussi en raison d’aléas climatiques de plus en plus marqués, les maraîchers auvergnats ont décidé qu’il serait intéressant et nécessaire de pouvoir mettre en place des actions collectives pour repenser leur activité afin de faire face à tous ces changements. Après les deux dernières journées des maraîchers de janvier 2018 et 2019, nous avons évoqué l’idée de créer un collectif qui réfléchirait aux moyens à mettre en œuvre pour limiter notre impact sur le réchauffement et trouver des solutions techniques pour y faire face.
Un GIEE (Groupement d’Intérêt Économique et Environnemental), ce sont des agriculteurs qui s’associent pour permettre l’émergence d’une dynamique collective et locale, qui prend en compte l’aspect économique et l’aspect environnemental. Ces groupements sont encouragés par la loi d’Avenir pour l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt du 13 octobre 2014. L’idée de ces groupements est de réfléchir à ses pratiques sur l’exploitation et d’améliorer ses performances économiques, environnementales et sociales ! Ça peut être de réfléchir à ses achats d’intrants (fertilisation, bâches,…), à sa consommation en énergie (électricité, gaz et essence), dans le but de diminuer ses charges de production et par la même occasion d’être moins dépendants en énergies fossiles et plus résilients.
Aux origines du projet
C’est dans ce cadre, en juin 2020, sous l’impulsion d’Alexandre Barrier-Guillot, le technicien maraîchage de la FRAB AuRA (Fédération Régionale de l’Agriculture Biologique Auvergne-Rhône-Alpes), qu’a été déposée une demande de financement d’un an pour la création d’un GIEE émergence « Maraîchage et Climat ». Ce projet devait permettre à un collectif de maraîchers représentatifs de la diversité des fermes auvergnates de travailler ensemble sur ce sujet d’actualité qu’est l’adaptation des fermes face aux changements climatiques ; le financement permettant de couvrir les coûts de pilotage et d’accompagnement par le technicien ! Un petit groupe de 14 fermes maraîchères (3 dans l’Allier, 1 dans le Cantal, 1 en Haute-Loire et 9 dans le Puy de Dôme) se réunit pour la première fois en mai 2020 en visioconférence. Cette première rencontre avait pour objectif que chacun présente sa ferme (les particularités de son système) et fasse part aux autres de ses inquiétudes sur l’impact des changements climatiques, vécus et attendus, sur son activité maraîchère et de ce qu’il a commencé à mettre en place pour y faire face. Dans un deuxième temps, il s’agissait pour chacun de définir ses attentes et d’exprimer ses motivations pour faire partie du groupe.
En novembre de la même année, nous nous sommes réunis, toujours en visioconférence, pour le lancement officiel de ce projet, intitulé « Aménager sa ferme et améliorer ses pratiques pour s’adapter et lutter contre le réchauffement climatique ». Nous avons tout d’abord réfléchi au mode de fonctionnement du groupe (salon sur Discord, lien vers tous les documents sur Dropbox fréquence des réunions, en visioconférence ou en présentiel,…), défini les objectifs à atteindre sur la première année avec l’idée de déposer un dossier GIEE reconnaissance pour 3 ans qui permettrait de prolonger et approfondir le travail mené.
Le temps du diagnostic
Le premier travail a été de réaliser un diagnostic agro-écologique de sa ferme avec un outil mis au point par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et l’ACTA, structure nationale de coordination des Instituts Techniques Agricoles. Cet outil, composé de 5 modules, traite des pratiques, des performances, des démarches (évaluation des résultats de l’exploitation sur les dimensions économiques, environnementales, sociales et sanitaires), de la synthèse (estimation du degré d’engagement dans la démarche agro-écologique) et des pistes de progrès. En gros il s’agissait de faire une photographie de sa ferme à un instant donné ; cet état initial permettant à chacun de connaître sa situation par rapport aux critères évalués.
Dans un deuxième temps chacune des fermes a été visitée par le technicien et les membres du groupe quand c’était possible. Pour ma part, j’ai pu me rendre à 3 visites et nous avons reçu sur notre ferme une dizaine de maraîchers (photo article sur la visite) en mars 2021. Ces visites devaient permettre d’avoir des discussions autour de l’aménagement de sa ferme face aux changements climatiques, de faire émerger les questions communes auxquelles nous pourrions répondre après un travail sur 3 ans dans le but de vulgariser et diffuser nos résultats aux autres maraîchers d’Auvergne et d’ailleurs.
Pour clôturer cette première année, nous nous sommes réunis lors de la dernière visite de ferme, chez Floraine dans le Puy-de-Dôme, pour faire le bilan de ce travail, identifier les besoins et envies en formation et définir notre plan d’action pour 3 ans pour déposer le dossier GIEE reconnaissance.
Notre grand regret sur cette première année, lié à la pandémie, a été de ne pas pouvoir faire le voyage d’étude que nous avions préparé pour visiter des fermes en région PACA qui ont déjà mis en place des actions, car déjà confrontés aux aléas climatiques et notamment à la chaleur excessive et au vent.
Notre dossier GIEE reconnaissance est déposé en avril et sera validé en juillet. L’intitulé exact, qui a évolué depuis mars, est désormais « la Synergie des Maraîcher(e)s Auvergnat(e)s face aux Changements Climatiques » (SMACC), avec pour sous-tire : Repenser sa ferme maraîchère pour anticiper, s’adapter et lutter contre le réchauffement climatique.
Convergences et mise en place des objectifs
La première rencontre de démarrage a lieu en novembre 2021. C’est sur la ferme de Marian, maraicher en Haute-Loire, que cette première journée se déroule. Pour ma part je suis en visioconférence ainsi qu’un autre maraîcher ! Il faut dire que cette pandémie aura eu le mérite de développer les échanges en visioconférence – auparavant nous nous serions faits excusés pour notre absence !
Au préalable à cette réunion Alexandre nous propose de remplir un questionnaire très détaillé (diagnostic amélioré) pour nous permettre de prendre du recul sur nos pratiques et pour lui d’en faire une synthèse afin de faire ressortir les points de convergence. Après un rappel sur ce que nous avions décidé en mars lors de la clôture, il nous propose quatre actions prioritaires, avec pour chacune d’elles, les objectifs et les moyens mis en œuvre, et un calendrier sur trois ans qui fixe les échéances.
Suite aux échanges de la matinée sur les actions présentées, sur le retour des questionnaires, nous décidons de nous focaliser sur 3 grands thèmes de travail, l’aménagement de sa ferme, la consommation d’intrants et les itinéraires techniques de production. Comme nous sommes 15, les groupes thématiques seront constitués de 5 maraîchers, dont un pilotera le travail. Pour ma part, je pilote le groupe sur les aménagements de la ferme, vous comprendrez pourquoi ! Dans ce groupe il y a Maud, Maxime, Martin et Marian, je décide donc de me renommer, désormais c’est Mabrice, tout le monde est d’accord, on peut se lancer !
Le véritable travail commence ! Chacun des groupes a un peu plus d’un mois pour lister les éléments à prendre en compte sur sa ferme pour tout ce qui concerne l’aménagement, l’utilisation d’intrants, les itinéraires techniques de production, et les catégoriser. En ce qui nous concerne, nous définissons 9 catégories dont les plus importantes sont le cheminement de l’eau, les aménagements spécifiques à la biodiversité (c’est là que j’ai toute ma place !), le rôle de l’arbre et la haie, le travail du sol (diminuer la fréquence et la profondeur) et les aménagements liés à l’ergonomie. Chacun des deux autres groupes mène un travail similaire.
Nous nous sommes retrouvés le 24 janvier dernier sur la ferme de Gabriel dans le Puy de Dôme pour faire le point sur le travail réalisé. Chacun des groupes présente aux autres ses réflexions, les catégories définies ci-dessus et échange sur ce qu’il pense proposer à l’ensemble des membres. A l’issue de cette journée, nous nous sommes engagés à réaliser un travail sur les 3 années, facilement réalisable en parallèle à notre activité de maraîcher. Pour cette année 2022 chaque maraîcher devra avoir une vue aérienne de son exploitation (idéalement une photo effectuée par drone pour le détail des éléments), repérer et lister tous les éléments favorables à la biodiversité (arbres, haies, mares, murets,…), connaître sa consommation en eau, connaître la pluviométrie sur sa ferme, avoir une analyse de sol récente (chimique et biologique), évaluer sa consommation d’énergie (carburant, électricité, gaz), et avoir une idée de sa consommation de carburant par poste d’itinéraires techniques (préparation du sol, entretien des cultures, récoltes,..). Le travail à réaliser cette année n’est pas insurmontable mais il faut s’accrocher et rester motivé ; l’enjeu est grand !
Continuer à se former pour bousculer les idées reçues
Pour compléter ce temps d’échange nous prenons connaissance du calendrier des évènements prévus sur l’année (formations spécifiques, visites de ferme et bilan). La première formation se déroule du 31 janvier au 1er février sur le cycle de l’eau avec une figure incontournable pour les maraichers sur sol vivant, Hervé Coves et sa célèbre citation : « la vie est belle » ! Ces 2 journées, très riches en information, nous aident à mieux comprendre le fonctionnement du sol, le rôle des arbres et des champignons mycorhiziens dans la circulation de l’eau, dans le sol, les plantes et dans l’air. On aborde des sujets sur lesquels les scientifiques travaillent et qui apportent de nouvelles connaissances sur le fonctionnement très complexe du sol. Deux termes sont mis en avant, la trame ectomycorhizienne et la trame endomycorhizienne. Cette notion de trame de mycorhizes sera développée dans un prochain article.
Au moment où j’écris cet article, on peut lire dans le journal Le Monde que notre premier ministre annonce un développement du stockage de l’eau pour l’agriculture (quelle agriculture je vous le demande ?), notamment à travers la mise en place de « méga-bassines ». Pendant que nous petits paysans et petits consommateurs d’eau réfléchissons à optimiser et diminuer l’utilisation de cette précieuse ressource, notre gouvernement promet aux plus grandes exploitations très consommatrices (soutenues par leur puissant syndicat) de ne surtout rien changer et d’amplifier le gaspillage pour des cultures très gourmandes (dont le maïs), dont l’intérêt est plus que discutable !
Nous, petits paysans, en sommes conscients et nous engageons à être des modèles de ce qui peut être mis en place pour diminuer notre impact sur l’environnement. Mieux utiliser la ressource en eau en agissant sur le microclimat à l’échelle de sa ferme (créer une ambiance forestière), utiliser des techniques moins gourmandes en eau (paillages, irrigation localisée,…), diminuer l’utilisation des intrants en développant des techniques alternatives (engrais verts, moins de travail du sol,…). Nous sommes tous très investis et avons choisi de réfléchir et d’agir collectivement, même si ce n’est pas toujours facile de concilier notre travail de maraîcher avec ce projet. Notre certitude, c’est que cette démarche nous rend plus forts pour affronter ces changements et que, déjà, avec la prise de recul sur nos pratiques nous allons améliorer nos performances économiques et environnementales dès cette année !
Fabrice Landré
Ci-dessous, une galerie de photos pour illustrer le travail réalisé aux Grivauds cette semaine :