Les jardins les plus beaux

Fabrice récolte les haricots même malade et sous la pluie ! Si ça n’est pas de l’abnégation, ça !

Attendez ! Laissez-moi un instant retrouver mes esprits. Je me sens pris d’un léger vertige, je ne reconnais plus mes Grivauds. Où suis-je ? Les éléments se déchaînent, tout me semble soudainement chaotique. Il y a encore quelques jours, notre jardin n’était-il pas écrasé de soleil, désespérément assoiffé, pris dans une routine infernale de récoltes ? Que s’est-il passé ? Nous voilà en bottes, pataugeant sans cesse, mouillés jusqu’aux tréfonds de l’âme. Fabrice récolte les haricots sous la pluie avec une tête de lapin myxomateux, des mouchoirs plein les poches, en répétant à qui veut l’entendre «mais non, je n’ai pas de fièvre». Pas de panique, c’est juste un rhume, mais comme c’est très rare, c’est tout de suite impressionnant. Mais ce qui change le plus, c’est qu’on entend sans cesse rire. Et pour cause : Fabienne est de retour et sa bonne humeur n’a pas changé d’un iota depuis son dernier passage aux Grivauds. Cécile n’est pas en reste, elle répond désormais à nos vannes du tac-au-tac et tente d’enrôler Fabienne dans le SPMG (Syndicat des Petites Mains des Grivauds). Finalement, ce qui surprend le plus, quand on fait le point, c’est que ce joyeux chaos ait été autant productif au final ! Les pommes de terre et les courges sont récoltées, le mesclun et la mâche sont plantés, deux buttes complètes de tomates (serre 2) ont déjà été désinstallées. On avance à grands pas !

A priori, les stagiaires n’ont pas l’air trop en souffrance chez nous. C’est déjà ça.

Fabienne, wwoofeuse en 2018, est désormais stagiaire chez nous et entre deux fous rires, elle nous bombarde de questions. «C’est quoi votre outillage ? Comment le sol est-il préparé ?» On peut comprendre pour elle que la période soit frustrante : tout est déjà planté (ou presque) et les paillages sont terminés. On récolte toujours beaucoup même si le manque de soleil et la baisse des températures ont quasiment mis fin aux légumes d’été (les haricots verts et les courgettes ne donnent presque plus). C’est un peu comme si on lui racontait notre histoire en commençant par la fin. Bon, heureusement, on réussit à lui faire manipuler un peu nos merveilleux petits plantoirs. L’occasion pour Cécile et moi de rester bouches bées devant la célérité de l’exécution… De son côté, Fabienne s’étonne de la simplicité des itinéraires techniques. «Ce sont vraiment les vers de terre qui travaillent le sol de vos carottes ? Et vous ne taillez ni vos concombres ni vos melons ?» On bombe un peu le torse quand elle s’étonne qu’on ait eu le temps de faire autant de choses pendant la saison : 500 pieds de courge ? 750 pieds de tomates ? 10 000 poireaux ? Des plants d’aromates ? Des fleurs ? Mais comment c’est possible ? Bon, ça n’est un secret pour personne : nous ne sommes jamais seuls. Et si notre ÉcoJardin est si productif, c’est qu’il est le fruit d’un travail partagé. Il y a les wwoofeurs, les stagiaires et nos saisonniers (Maxime puis Cécile). Chacun a apporté sa pierre à l’édifice et le jardin s’en est trouvé grandi, embelli. On nous demande régulièrement : comment faites-vous pour vous souvenir de tout le monde ? Regardez autour de vous, regardez nos cultures, partout s’inscrit le souvenir des efforts partagés, des discussions interminables et des éclats de rires. En emmenant nos légumes à l’Amap ou au marché, on vous emmène toutes et tous dans notre camion et la bonne mine de notre stand est le reflet de vos coups de main, de votre soutien, de vos encouragements. On n’oublie évidemment pas que notre situation actuelle doit beaucoup à cette formidable solidarité qui vous a animée ce printemps, lorsque nous étions si bas financièrement.

Des courges qui ont été plantées collectivement et récoltées collectivement.

Et tant pis si tout est continuellement à recommencer. Un nouveau wwoofeur, un nouveau stagiaire et il faut tout ré-expliquer : comment fonctionne le MSV, comment on plante, comment on récolte. On repointe le même doigt vers la même fleur, vers le même papillon en disant : «tu as vu ? tu connais ? c’est beau, hein ?». Nous serons toujours émus de voir leurs yeux s’ouvrir d’étonnement ou d’émerveillement devant notre petit monde végétal, animal, fongique. Sans cesse devons-nous resemer nos salades, sans cesse ressemons-nous ces petites graines écologiques que vous emporterez avec vous et que vous disséminerez peut-être. (À ce stade, je me rends compte que je viens de comparer nos wwoofers à des salades et que le syndicat de Cécile risque de connaître un gros afflux d’inscriptions.) Vous auriez bon ton de me rétorquer que c’est tout de même un drôle de modèle économique que le nôtre, qui compte autant sur de la main d’œuvre bénévole. N’importe, notre modèle intègre surtout beaucoup de joie et de partage, il flirte gentiment avec la décroissance et il sent bien plus les fleurs sauvages que le pétrole. De semis en semis, de plantations et plantations, il accueille le défilé des saisons en même temps que le joyeux ballet des petites mains. L’automne peut bien venir envelopper notre jardin de son grand manteau de grisaille, rien ne nous fera douter de notre aphorisme : les jardins les plus beaux sont toujours des œuvres collectives.

À la semaine prochaine !

Allier Bio : se rassembler, s’organiser, peser

Quel est le point commun entre nos collègues de Layat (à Trézelle), des Mangetouts (à Saligny-sur-Roudon) et nous (ÉcoJardin des Grivauds) ? «Vous sentez tous la sueur à la fin de la journée ?» Non non, vous n’y êtes pas ! Sachez que nos trois fermes sont adhérentes à Allier Bio ! De même qu’une quarantaine d’autres fermes dans l’Allier. Avec nos journées de travail à rallonge, il est compréhensible qu’on manque d’énergie et de temps pour se structurer en réseau. Et pourtant… Notre agriculture, héritière d’un demi-siècle d’intensification à base de pétrochimie, n’en est qu’au tout début de sa révolution écologique. Si la société civile a une part à jouer dans la mutation de notre production agricole, ceux qui sont concrètement engagés dans des pratiques plus vertueuses sont aux premières loges pour défendre un nouveau modèle. Échanger, se former, confronter les techniques, voilà déjà un premier intérêt à se réunir. Et puis, il y a la promotion de la filière, sa structuration à un échelon local, encourager les conversions, aider les nouvelles installations. Et surtout, défendre les intérêts des agriculteurs bio.

Allier Bio a été créée en 1992. Je vous épargne un certain nombre de vicissitudes mais toujours est-il qu’en 2018, il n’y avait plus qu’une douzaine d’adhérents et l’association était moribonde. Sous l’impulsion d’un petit groupe motivé, l’association a alors commencé à retrouver le chemin de la lumière. Se réunir régulièrement de nouveau, constater le besoin d’une organisation départementale des producteurs bio, faire émerger des pistes de réflexion, tout ça prend du temps. Ceux qui sont passés aux Grivauds ces derniers mois ont pu voir Fabrice s’éclipser fréquemment, que ce soit pour des visio-conférences ou des déplacements. Un tel engagement de sa part aurait-il été possible à l’époque où il était seul à faire tourner la boutique ? Sans doute que non. C’est pour cela que vous ne m’entendrez pas râler en récoltant les haricots en son absence. Car, même si j’avoue avoir du mal encore à sortir du jardin, je soutiens pleinement la cause. Retournons à nos moutons. Allier Bio a reçu l’aide d’une des animatrices de Bio 63, l’association jumelle de la nôtre du côté Puy-de-Dôme. Sous son impulsion, une campagne d’adhésion est relancée et un processus de recrutement pour un(e) salarié(e) est mis sur les rails. Une assemblée générale a été tenue lundi et elle a réuni une trentaine de participants (producteurs, distributeurs, consommateurs, membres de la Chambre d’Agriculture, etc.). La nouvelle salariée (Julie Bourry), tout fraîchement recrutée, est aussi présente. Fabrice en ressort très enthousiaste : «il y a une vraie dynamique et chacun a pris conscience de la nécessité de se réunir de nouveau sur le département.» Les adhésions se poursuivent et il y a encore de la marge ; l’Allier compte tout de même 350 producteurs bio ! Rapidement, l’association doit être en mesure de proposer des formations, des visites, des colloques, de la documentation, etc. Il y a donc du pain sur la planche !

Cécile, ex-wwoofeuse, désormais ouvrière agricole aux Grivauds. Qu’on vienne pas nous dire que l’ascenseur social est en panne ! Notez que pour lui souhaiter la bienvenue, on essaie de l’amadouer avec de gros légumes. Car oui, c’est bien une betterave de 2,4 kg que Cécile vient de récolter ! Notez aussi que si ça continue comme ça, on aura bientôt des légendes de photo plus longues que l’article lui-même. Vraiment n’importe quoi !

Et maintenant, la réponse à la question que tout le monde se pose depuis la semaine dernière : mais qui donc ont-ils employé(e) pour les aider pour les semaines à venir ? Résumons les épisodes précédents. Nous récoltons beaucoup (et en particulier des haricots) et nous faisons de gros marchés en ce moment. Nos wwoofeurs ne nous suffisent plus et nous devons passer à la vitesse supérieure en terme de main d’œuvre. Ajoutons à ça que le wwoofeur qui devait venir cette semaine et qui avait réservé sa place en mai… ne vient tout simplement pas et ne répond plus à ses messages. Bref, cette semaine, si on avait pas pris les mesures qui s’imposent, on aurait été tous seuls et on aurait sans doute passé l’intégralité de la semaine à récolter/préparer les Amaps/préparer le marché de Vichy. Et pendant ce temps-là, les plants traînent dans les caisses et poussent de petits cris lamentables à chaque fois qu’on passe devant : «plantez-nous ! plantez-nous !». L’horreur ! Alors ? Eh bien, on a appelé à l’aide celle qui a gagné le prix de la wwoofeuse la plus déjantée des Grivauds : Cécile ! Elle est déjà venue deux fois nous voir, elle connaît nos cultures par cœur, elle récolte les courgettes comme personne et elle nous fait très souvent rire ! Le CV parfait. On a évidemment une pensée pour Maxime, notre génial saisonnier de printemps, qui débute actuellement sa formation pour devenir maraîcher à son tour et qui est donc indisponible, de fait.

Avons-nous rattrapé notre retard cette semaine ? Non, malheureusement. Nous avons bien réussi à nettoyer deux planches en serre 5 mais nous n’avons planté que 4 caisses de mâches. Et le plant de mesclun est tellement haut que nous allons devoir le tailler avant de le planter… Mais ne désespérons pas : la semaine prochaine, nous serons 4 dans le champ. Car, nous recevrons pour deux semaines une stagiaire qui est déjà passée aux Grivauds en tant que wwoofeuse… Saurez-vous deviner qui ?

À la semaine prochaine !

«Ah non mais c’est pas vrai, ils nous refont le coup du suspens comme la semaine dernière ? Mais quel manque d’imagination !» Oui, bon, écrivez un article par semaine pendant 3 ans et ensuite vous viendrez me donner des leçons d’originalité.

Il était temps !

Plantation de salades, avec Yolande

On nous annonce de l’eau pour la semaine prochaine ! Enfin ! De l’eau ! L’eau, c’est une substance liquide qui mouille, vous voyez ? Nous, on a un peu oublié à quoi ça ressemble alors on est un peu fébriles. Bon, ne nous mentons pas, même sans pluie, on arrivait quand même à faire pousser nos légumes. Et même plutôt mieux que l’année dernière : plus de goutte-à-goutte, une aspersion plus efficace et plus rien ne semble vraiment en souffrance. Mieux encore : nos haricots donnent à plein, nos poireaux d’été sont magnifiques, on s’extasie devant nos carottes. Bref, on n’est pas vraiment à plaindre. Mais, par ricochet, on est aussi débordés par les récoltes et par la préparation de nos ventes (paniers d’Amap et marché de Vichy). Moralité : on peine à garder le rythme pour les implantations sous serre. Certes, on a réussi à planter un peu cette semaine : de la mâche, de la salade, une première série d’épinards et du persil. Mais ça ira moins vite pour la suite : on n’a plus de planches propres pour accueillir notre prochaine série de mesclun et notre prochaine série de mâche. Fabrice a réussi miraculeusement à dégager quelques heures entre deux récoltes pour commencer le nettoyage de la serre 5 et pour lancer un semis d’engrais vert pour les futures planches de choux mais on sent qu’on marche un peu sur des œufs. Heureusement qu’il y a Yolande, notre wwoofeuse-rédactrice d’articles qui impulse dans notre aventure l’énergie qui nous fait parfois défaut en cette fin de saison…

Oh mais c’est qu’il reste encore pas mal de poivrons à venir !!! Si ça pouvait faire oublier le fait qu’on n’ait plus de tomates…

C’est quand on se sent complètement épuisés le lundi soir après plus de cinq heures de récolte de haricots verts qu’on prend de grandes résolutions : il va falloir lever le pied plus tôt que prévu. Mais comment faire pour concilier ce besoin de modération avec un jardin qui est toujours autant exigeant ? La réponse est simple : il faut embaucher. Et cette fois-ci, on tergiverse moins qu’au printemps : nos finances sont de nouveau saines et les perspectives de vente pour l’hiver sont bonnes. Alors, oui, c’est reparti pour un emploi saisonnier ! Saurez-vous deviner vers qui nous nous tournons cette fois-ci pour venir nous épauler ?… Le suspens est intenable, n’est-ce pas ?

Réponse la semaine prochaine !

De la chaise à la terre

Cette semaine, changement de rédacteur pour notre article de la semaine : c’est Yolande, de passage aux Grivauds pour deux semaines de wwoofing, qui s’y colle ! Sa formation universitaire en biologie et en écologie lui permet d’avoir un regard singulier sur notre ÉcoJardin. Alors, Yolande, explique nous pourquoi tu as eu envie de faire une pause dans tes études qui, semble-t-il, se passent plutôt bien pour toi ?

De la chaise à la terre, du bureau à la serre, des cahiers aux semis, du cartable à la cagette, de la théorie à la pratique ; les Grivauds sont pour moi synonymes du passage de l’abstrait au concret.

2 années de classe prépa bio + 1 année de L3 biologie santé + 1 année de master d’écologie = 4 années supplémentaires à étudier après le bac. De Grenoble à Cachan ou encore Orsay (sud de Paris), j’ai simplement changé de salles de classe, de professeurs, de noms religieusement donnés à des cours dispensés hors sol. Une formation riche, passionnante dans l’ensemble, mais bien loin de la vie réelle d’où sont pourtant issues toutes ces connaissances qu’on m’a transmises.

Connaissances docilement ingurgitées dans la perspective première, il faut l’avouer, d’être bêtement restituées aux examens. De ces années est progressivement né un sentiment de décalage, de manque de sens et de cohérence, une impression d’avancer sans but précis. Une année de pause s’imposait. Ainsi, poussée par une intense curiosité, une soif d’apprendre et de découvrir autre chose, j’ai décidé de consacrer un an de mes études en quête de moi même, de la vie que j’ai envie de mener, du monde dans lequel je veux vivre, de la société et du futur en lesquels j’ai espoir. Une année afin de me reconnecter à ce qui est pour moi essentiel et me fait vibrer, avancer. Une année pour prendre du recul, fonctionner différemment, aller à la recherche de l’autrement.

Une année lors de laquelle j’ai décidé de réaliser des expériences de bénévolat en écologie, principalement alpine, domaine qui, férue de montagne, me passionne. J’en profiterai pour me lancer dans mon projet de faire de la communication scientifique : médiation, sensibilisation et éducation à la nature et à l’environnement. Je réaliserai aussi des wwoofings en parallèle. Ils alimenteront ce projet avec un volet axé sur l’agriculture et ses produits. Ces wwoofings ont avant tout pour objectif d’aller à la rencontre de ceux qui cultivent le sol et que j’admire profondément et d’apprendre comment se nourrir à partir de la terre. Cette compétence si élémentaire est pourtant de nos jours réservée aux agriculteurs au sens large du terme. Je trouve cela aberrant que le système scolaire n’inclut pas un apprentissage des bases de jardinage. De manière générale, apprendre à me servir de mes dix doigts au quotidien me tient également à cœur car l’école n’apprend pas non plus à cuisiner, coudre ni à se servir de son sens pratique et manuel. Enfin, les hôtes que j’ai choisis ont fait un pas plus ou moins grand vers la décroissance, avec des modes de vie simples et proches de la nature que j’aimerais expérimenter. Mais il est facile de rêver sans jamais rien entreprendre, place à l’action!

Ainsi ai-je atterri à l‘Écojardin des Grivauds, mon premier Wwoofing. Ce lieu a été créé en 2011 par Fabrice qui vit sur place et qui m’accueille. Je suis logée dans une chouette caravane aménagée tout près des serres et des légumes (peut être une stratégie afin de maximiser les chances que je sois opérationnelle le plus tôt possible…).

Dès mon arrivée, le décalage entre la nature et les savoirs que j’ai assimilés me saute aux yeux. Le premier jour, en compagnie de Denis je me remémore tant bien que mal mes cours de botanique lors desquels j’ai appris à réaliser des dissections et présentations florales (schéma d’une dissection organisée), du vocabulaire mais aussi à reconnaître les principales familles d’angiospermes (les plantes faisant des fleurs) à l’aide de quelques caractéristiques clés. C’est cette dernière compétence que j’essaie d’appliquer dans le monde réel. Je parviens à attribuer à quelques plantes leurs familles mais mes critères sont souvent insuffisants. D’autres critères se révèlent être évidents sur le terrain mais il ne m’ont pas été appris. Ainsi les Lamiacées par exemple, (famille de la sauge, de la lavande ou encore du thym) possèdent souvent une tige carrée. Cependant des individus d’autres familles partagent ce caractère, il n’est donc pas un indicateur suffisant. Denis m’apprend alors que ces plantes possèdent souvent des organes odorants : feuilles, tiges, fleurs. Cette particularité que je connaissais pas est bien plus immédiate pour les reconnaître mais… à condition d’être au contact des plantes ! Les livres sont certes bientôt numériques mais pas encore connectés à notre sens olfactif… Denis est calé en identification florale. Il connait très bien les plantes qui l’entourent et pas que celles cultivées ou liées aux cultures. Fabrice a contribué à ce savoir notamment en lui transmettant ses connaissances de naturaliste à propos des plantes sauvages.

Avec Denis nous formons un binôme très complémentaire, il a l’expérience du terrain et j’ai les explications théoriques de certains phénomènes et le vocabulaire pour nommer et décrire les végétaux (morphologie, anatomie). J’étais ravie de pouvoir lui indiquer que les pétales qu’il remarque à l’extrémité du concombre à chaque fois qu’il en cueille un, sont un indicateur de position de l’ovaire.

Concombre portant à son extrémité libre des restes de pétales

Observez, les restes de pétales sont à l’extrémité la plus éloignée du plant. Cette position indique que le fruit s’est développé sous le réceptacle floral (zone portant les pétales), ainsi l’ovaire qui s’est transformé en concombre était situé sous la fleur.

Récolte de concombre du 11 septembre.

La présence de ces restes de fleur indique que les concombres sont jeunes. Ils se sont développés récemment, les pétales sont tout juste fanés (fraicheur, croquant et douceur garanties lors de leur dégustation!).

Le fruit est en effet le résultat de la transformation de l’ovaire (partie du pistil, organe reproducteur femelle) après fécondation. Les graines du concombre sont elles issues des ovules, les gamètes ou cellules reproductrices femelles.

L’ovaire est dans ce cas dit infère (en dessous de). Vous l’aurez deviné, à l’inverse un ovaire supère sera situé au dessus du niveau d’implantation des pétales. C’est le cas de la tomate, de la famille des Solanacées. Remarquez en effet les restes de sépales (organes positionnés sous les pétales et verts le plus souvent) au sommet de la tomate. Cette fois les restes de fleur sont sur la partie du fruit la plus proche du plant.

Fruits d’un plant de tomates indigo, une variété ancienne.

D’autres récoltes peuvent aussi être agrémentées de petites touches de biologie végétale. Ainsi Denis sait maintenant que les feuilles des oignons se nomment tuniques. Connaître ce terme est purement informatif et totalement inutile dans la pratique ; n’aidant absolument pas à savoir quand planter ou ramasser l’oignon, ni quelles conditions physicochimiques ou météorologiques sont favorables à son bon développement. Il révèle l’obsession humaine de tout nommer. Il aurait été plus profitable que je sache la raison de la mauvaise productivité des plants cette année ! Cependant il est possible d’aller au delà du vocabulaire et de chercher ce qu’il désigne afin de lui donner du sens. En effet les organes qu’il décrit sont particuliers et les étudier permet de comprendre leur rôle et pourquoi cette architecture de l’oignon a été sélectionnée positivement lors de l’évolution. Les tuniques sont des feuilles transformées, adaptées au rôle d’organe de stockage de l’oignon. Elles sont desséchées à l’extérieur, leur accumulation par couches concentriques joue un rôle protecteur contre le froid notamment. Les tuniques charnues d’épaisseur croissantes en allant vers le centre, sont situées à l’intérieur. Elles contiennent des réserves pour le développement du futur individu ayant lieu à la fin de l’hiver. Cette plantule est sous forme d’embryon avant qu’elle ne germe et que vous puissiez la voir. C’est cette petite pousse verte au centre de votre oignon lorsqu’il n’est plus de première jeunesse et qu’il croit qu’il doit vite faire une pousse pour repartir au printemps!

Denis à son tour au fil des plantations attire mon attention sur des caractéristiques ou des états anormaux de plantes. Je les ignorais totalement mais en essayant de les rattacher à ce que je sais je peux retrouver l’explication au niveau cellulaire grâce à mes cours d’histologie ou même au niveau moléculaire parfois ! Je peux aussi toucher et observer en détail les maladies provoquées par différents pathogènes ou nuisibles. Je connaissais pour certaines par cœur les modes d’attaque du végétal en ayant à peine une idée des conséquences sur le feuillage, les racines, les rendements. J’étais capable de décrire les mécanismes de défense de la plante sans savoir s’ils étaient efficaces, leurs coûts pour la plante ni comment les repérer.

Ce partage de connaissances est magique. Je découvre comment se manifestent à l’échelle macroscopique (du visible) des processus étudiés et comment les détecter. Je fais des liens entre des descriptions lues et la plante sous mon nez ou encore entre les agencements cellulaires, les échanges moléculaires et leurs implications dans les champs.

Il est tellement plus facile et ludique d’apprendre en pratiquant. Je réveille l’enfant au fond de moi, toute fière de voir qu’elle connaît un peu des choses et qui a envie d’en apprendre encore bien d’autres! Et pour ça je peux compter sur Denis et Fabrice et à toute la vie qui s’épanouit sur leurs terres!

Une Graphosoma italicum alias punaise arlequin en pleine exploration d’une Apiacée (famille anciennement nommée Ombellifères) du jardin.

Yolande

Ô mon beau plantoir

Traverser la paille, travailler la terre sur une minuscule surface, creuser des trous coniques, couper des racines, cet outil sait faire tout ça !

Régulièrement, on nous pose la question de la mécanisation en MSV (Maraîchage sur Sol Vivant) et on nous demande s’il n’existe vraiment aucun outil intermédiaire entre nos plantoirs tout-pourris et les gros tracteurs qui puent. Alors, qu’on se le dise une fois pour toute : oui, aux Grivauds, on est sans doute sous-équipés. Mais on est devenus tellement performants avec nos outils qu’on hésite à investir dans les fameuses «cannes à planter». Dans nos champs, il y a deux outils qu’on utilise quotidiennement : le sécateur et le plantoir. On ne parlera pas aujourd’hui de nos sécateurs (je vous réserve un petit article sur l’enherbement pour l’hiver, bande de veinards) mais je voudrais m’attarder une seconde sur nos plantoirs. D’ailleurs, quand on dit «plantoir», c’est un peu inexact. Certes, le plantoir conique nous sert de temps en temps (notamment pour les poireaux) et d’autres collègues en MSV n’utilisent que ça. Mais ce sont surtout des transplantoirs que nous utilisons. Les gros, en forme de pelle, nous servent pour planter les grosses mottes (tomates, courgettes, haricots, etc.). Si vous jardinez un minimum, vous en avez forcément un comme ça chez vous. Par contre, nous disposons ici d’un mini-transplantoir, adapté à la plantation des mini-mottes de 3,5×3,5 cm. Cet outil a été conçu pour extraire une carotte de sol en vue de déposer la motte dans le sol. Et de fait, c’est de cette façon que nous procédons pour les choux. Par contre, pour tout le reste, on utilise une autre propriété de ce plantoir : sa pointe est très dure et elle nous permet d’effectuer un petit travail du sol très localisé, juste à l’endroit où la motte doit être plantée. Ensuite, on vient appuyer la motte sur cette terre meuble et ça doit coller. Lorsque j’étais ouvrier agricole, on m’a appris que «coller, c’est planter». À l’époque, je plantais sur sol travaillé mais avec notre plantoir, on retrouve les mêmes sensations. Il y a deux choses supplémentaires à signaler. Premièrement, nous plantons généralement après paillage de la planche, ce qui signifie que l’outil puis la motte doivent traverser la paille, mais sans trop l’écarter si possible. Avec notre petit plantoir, on peut atteindre le sol simplement en secouant rapidement (vibrant) la pointe dans la paille. À ce moment-là, on tapote le sol deux ou trois fois et on ressort du paillage. Le cône ainsi formé a juste la taille de la motte et il n’y a plus qu’à planter. Quand l’opération est bien réalisée, il n’y a que le terreau de la motte qui voit la lumière, le sol reste caché sous la paille, ce qui évite plus tard que des graines d’annuelles (genre mouron ou chénopode) ne germent autour du plant. Dernier détail, l’outil est si solide que je peux attaquer une racine de vivace avec, si elle me gène : pas besoin de changer d’outil si je tombe sur un pissenlit ou un rumex. Et si vous persistiez à trouver ça rudimentaire, sachez que de nombreux jardiniers sur Sol Vivant plantent … à la fourchette. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé lorsque j’ai découvert le MSV. J’étais wwoofeur à l’époque. Mais c’est une autre histoire.

Oh ! Un clone de notre merveilleux plantoir !

Mais cet outil magique, me direz-vous, où peut-on le trouver ? Bonne question, d’autant plus qu’on a un certain nombre de stagiaires qui se sont posés la même question ; on leur apprend à utiliser notre mini-transplantoir, alors autant qu’ils en disposent à leur tour lorsqu’ils seront installés. Malheureusement, notre plantoir adoré est … un outil artisanal ! Impossible à trouver dans les catalogues professionnels ou dans les magasins de jardinage. Qui plus est, depuis quelques mois, après deux grosses années de bons et loyaux services, notre outil a commencé à présenter des signes de faiblesse : le bois s’est élargi autour de l’axe et le rivet supérieur s’est cassé. Moralité : il me blesse la main et il m’oblige à une plus grande dépense d’énergie. Sans parler de l’angoisse profonde qui nous saisit à chaque fois qu’on l’égare. On s’imagine alors planter des séries de 1344 mottes de mâche à la fourchette… Il était temps qu’on prenne des mesures ! Et on n’y a pas été par quatre chemins : on a cherché un ferronnier autour de chez nous pour lui refiler le bébé. Coup de chance, il y en a un à Beaulon (M. Fontverne, Artemis Métal) et il a accepté immédiatement de relever le défi. Finalement, on se retrouve avec 5 nouveaux plantoirs et l’ancien se fera prochainement réparer. On va désormais pouvoir planter à plusieurs, laisser des plantoirs à différents endroits stratégiques du jardin, en refiler aux collègues (ou futurs collègues). Bref, tout est permis et l’avenir s’éclaircit subitement ! On va pouvoir de nouveau planter comme des fous à une cadence frénétique ! À nous les grosses planches de mâches, à nous les interminables séries de navets ou de betteraves ! À nous le succès, à nous le bonheur. Si avec ça on ne devient pas maîtres du monde, ah ah ah ah ah ah.

Cécile et Sandra mettent en terre la dernière caisse de plants destinés au plein champ ! En l’occurrence, il s’agit d’une série de mâches.

Pardon, je m’égare. L’enthousiasme, vous comprenez. Alors quoi de neuf cette semaine ? Eh bien, justement, on a joliment planté ! Des radis et des mâches en plein champ, d’abord. Ce qui, d’ailleurs, constitue notre dernière plantation de plein champ pour cette année (si on exclut l’ail). Et puis, on a commencé à remplir nos serres d’intersaison avec des scaroles, des frisées, des laitues et du mesclun. À nos côtés, on retrouve Sandra qui termine cette semaine son stage inaugural de BPRAPH (la même chose qu’un BPREA mais pour l’horticulture) et … le grand retour de Cécile, la wwoofeuse bretonne joyeusement délurée qu’on avait reçue en juillet, en même temps qu’Alice, avec qui elle formait un binôme mémorable. Bref, Cécile a un millier d’histoires à nous raconter après ses deux précédents wwoofings (dont un à Terre et Humanisme) et son séjour a un goût de trop court. Et aussi un bon goût de glace bio…

À la semaine prochaine !

Nous aussi, on veut une rentrée !

Profiter d’un blog maraîcher pour faire de la pub pour la chorale de Pierrefitte, c’est scandaleux ! Venez vous plaindre nombreux le lundi 7 septembre à 20h00.

Bon, c’est vrai qu’à tout choisir, c’est surtout de vacances dont on aurait besoin mais chaque chose vient en son temps… En attendant, il y a un moment que nous attendons avec impatience pour sortir un peu la tête du jardin : la rentrée de la Fanfare de Diou ! Ça fait depuis mars qu’on a du abandonner nos activités musicales, à cause d’un certain virus… Pour Fabrice, il s’agissait de cours de hautbois. Ceux qui ont été hébergés aux Grivauds cette année ont pu quelques fois l’entendre taquiner la double hanche, histoire de ne pas perdre la main (et la lèvre). Ces cours d’instrument et de solfège, on les doit à la Fanfare de Diou et à Lydie Curtil, qui s’est débrouillée tant bien que mal pour garder le contact avec ses élèves via Skype pendant le confinement. En ce qui me concerne, ce qui m’a manqué pendant la période, c’est la petite chorale qui s’est mise en place cette année à Pierrefitte, toujours sous la tutelle de la Fanfare. Cette chorale, constituée d’une douzaine de chanteurs, commençait tout juste à donner ses premiers concerts. L’arrêt brutal de ses activités nous obligera sans doute à reprendre un peu les choses au début : le souffle, la posture, le placement vocal, la justesse… Sans oublier les mélodies et les paroles. Les cours d’instruments reprennent cette semaine et la chorale la semaine prochaine. Bien entendu, il y aura un protocole sanitaire à respecter mais ça nous fera du bien de nous retrouver, c’est certain ! En fait, c’est même plus que ça : pour nous, ce décloisonnement est capital ! Il nous permet de nous souvenir d’une chose qu’on aurait tendance à oublier : il existe une vie en dehors de notre ÉcoJardin. Et ça fera baisser le stress accumulé en cette fin de saison.

Ça c’est juste la récolte des tomates cerise ! À gauche, Sandra, en stage chez nous pour 10 jours ; à droite, Mathilde venue en renfort pour faire tomber de la Datterini !

«Stressés ? Vous ? Avec votre cadre idyllique, vos papillons et vos chats ?» Eh bien oui, un peu comme tout le monde, j’imagine, lorsqu’une activité tient trop à cœur. On est devenus très exigeants et on a envie de tout réussir. Et en ce moment, aucun relâchement n’est permis ! Les récoltes vont bon train, notamment dans les haricots. Si bien que le marché de Vichy nous prend quasiment une journée et demie à préparer. Vendredi, malgré la pluie matinale, on est quand même dehors pour récupérer les haricots, les courgettes, les carottes, les poireaux, les salades, les blettes, les choux, les céleris branches, le maïs, etc. Le samedi, le réveil sonne de plus en plus tôt (4h45 pour ma part) tellement le stand est devenu long à monter. On ajoute à ça les Amaps de Bourbon-Lancy (qui ont eu le droit à des poireaux cette semaine) et de Dompierre (qui ont profité de nos haricots verts et de nos carottes) et on voit que la semaine est déjà très remplie. Or, les installations de légumes ne sont pas terminées ! Dans le champ, il nous reste des radis d’hiver à planter ainsi qu’une série de mâches. Et dans les serres, c’est toute l’intersaison qui doit être mise en place : blettes, persil, laitues, chicorées, mesclun. À voir la taille de nos plants, on sent qu’on a déjà une grosse semaine de retard et ça ne risque pas de s’arranger ! Il y aurait une nouvelle tournée de désherbage à effectuer dans les carottes, le liseron dans les poireaux d’hiver, les bords de serre à tondre, les oignons qu’on n’a toujours pas fini de récolter… Bref, on est de nouveau à la bourre !

Bon, allez, je vous laisse, j’ai des partitions à préparer pour la rentrée de la chorale.

À la semaine prochaine !

Une décision qui donne la jaunisse

Chez nous, les betteraves n’ont pas la jaunisse (nananère). Pour voir à quoi ressemble cette maladie, faîtes vous-même une recherche, non mais !

C’est l’été ; les journaux font la météo des plages, ou se plaignent que les guêpes, trop nombreuses cette année, viennent pirater le melon de l’honnête touriste venu se la couler douce sur son lieu de villégiature privilégié. On aurait tort de gâcher la fête. Surtout pour vous parler de néonicotinoïdes. D’abord, parce que ce mot – néonicotinoïde – est imprononçable, avouez-le. Ensuite parce que lorsque vous en entendez parler, c’est toujours en rapport avec une histoire de «Jaunisse de la betterave», un virus qui affecte les plantations de betteraves sucrières. Et que un virus par an, c’est déjà bien suffisant. Bon, passons à autre chose. Qui reprend des merguez ? Tututut ! Pas si vite ! En fait, on va quand même vous gâcher l’apéro avec un machin polémique et on va même monter un peu le ton. Et pas seulement pour se plaindre de la météo (ça, on l’a déjà fait la semaine dernière). Non, on va se plaindre du retour en France d’un des pires pesticides qu’on ait jamais inventés. Pire que le glyphosate ? Oui.

Sur ce chénopode, on distingue une syrphe et une coccinelle (cliquez pour agrandir), qui sont deux auxiliaires qui mangent des pucerons. Si vous empoisonnez les pucerons avec des néonicotinoïdes, est-ce que vous pensez sérieusement que leurs prédateurs s’en sortiront indemnes ?

Les betteraves se sont choppé la jaunisse à cause des pucerons. En agriculture, le puceron, c’est une valeur sûre : tout est toujours plus ou moins de sa faute. Il faut dire qu’ils pullulent cette année… Notamment à cause du réchauffement climatique. Le réchauffement climatique, le gouvernement n’y peut rien ; la priorité du moment, c’est de relancer la croissance. Commencez pas à faire les fines bouches avec vos histoires de CO2, on vient tout juste de survivre à une pandémie planétaire, alors c’est l’heure de faire la fête, de consommer massivement et de retourner au boulot (non mais). Alors, on fait comme la FNSEA le demande : on autorise de nouveau les insecticides néonicotinoïdes. Le genre de truc tellement efficace qu’il dégomme aussi au passage tout plein d’autres insectes, comme les abeilles et les bourdons. Bon d’accord, c’est extrêmement persistant, on en retrouve partout (y compris dans les sols et les nappes phréatiques) et ça porte atteinte à des espèces vivantes qui n’étaient pas ciblées : insectes (abeilles, papillons…), prédateurs d’insectes (oiseaux, souris, taupes, mulots, chauve-souris), vers de terre, êtres humains. Êtres humains ? Oui, accessoirement, il semblerait que ces charmantes molécules agissent sur le développement de notre cerveau. Et pas dans le bon sens visiblement… Notez le paradoxe du cas français : les néonicotinoïdes ont été interdits en 2016 grâce à … Mme Pompili, alors Secrétaire d’État à la Biodiversité. Et ils sont de nouveau autorisés en 2020 grâce à … Mme Pompili, devenue Ministre de la Transition Écologique. Et, histoire d’en rajouter une couche, ajoutons qu’on autorise ces poisons pour sauver la filière de la betterave, c’est-à-dire pour sauver une industrie qui nous file des caries et qui nous colle du diabète. Joie. Bon, d’accord, me direz-vous, mais qu’est-ce qu’on y peut ? Si c’est pour se faire des nœuds au cerveau, autant aller se resservir un pastis.

Aux Grivauds, les mantes religieuses font partie des auxiliaires qui contrôlent les insectes. Ici, Mme Mante mange une syrphe pendant que Monsieur fait son affaire…

Mais nous, aux Grivauds, on aime bien se faire des nœuds au cerveau. Le gouvernement et la FNSEA font le choix de simplifier le problème : un parasite -> un produit phyto. Nous, on préfère le complexifier. On prend le temps d’étudier le parasite (ici le puceron) sous tous les angles : que mange-t-il ? Comment se reproduit-il ? Comment se déplace-t-il ? Et surtout… par qui est-il mangé ? Et là, on découvre qu’il y a une myriade d’acteurs qui peuvent contrôler le puceron : les larves de syrphes, les coccinelles, les chrysopes, les cécidomyies et même certaines guêpes et certaines punaises. Et le puceron n’est qu’un exemple parmi d’autres. De manière générale, l’agriculture conventionnelle paie le prix d’un manque flagrant de biodiversité. La monoculture, les grandes parcelles, la destruction des haies, tout ça agit de façon préjudiciable sur les auxiliaires de culture et force les agriculteurs à dépendre toujours plus de la chimie. Et à empoisonner ce qui reste de biodiversité au passage. Un vrai cercle vicieux dont il est temps de sortir.

Camille et Sergio, nos nouveaux wwoofeurs. Faute de fleurs, ils s’offrent des bouquets de persil ; c’est ça le nouveau romantisme !

Quant on ne râle pas, aux Grivauds, on fait un peu avancer le boulot dans les champs : désherbages des carottes, des panais, des poireaux, etc. On prépare la future planche de mâche et la prochaine plantation de navets. Et surtout, on récolte ! Le marché nous prend quasiment deux jours à préparer et nos clients vichyssois y ont découvert pas mal de nouveaux légumes : du céleris-branche, du maïs doux, des piments et … des melons ! Le mardi, on note un certain chasser-croiser dans notre ÉcoJardin : le matin, on dit au revoir à Gwen et Claire, nos deux bretons sur tandem ; l’après-midi, on accueille la relève : Camille et Sergio. Ces deux-là sont d’authentiques urbains venus de la grande ville, mais ne vous y méprenez pas : ils s’y connaissent déjà en légumes. Ils ont déjà effectué un wwoofing avant d’arriver ici et Camille a même eu d’autres expériences maraîchères, dont un stage sur des toits albertivillariens pour y faire pousser des légumes. Avec son expérience dans la pharmacie, Camille a déjà une certaine connaissance des plantes et sa reconversion est déjà bien engagée. On profite des origines espagnoles de Sergio pour faire des allers-retours entre nos deux cultures. Un dépaysement qui nous fait du bien et qui nous aide à supporter les derniers coups de chaud de l’été…

À la semaine prochaine !

Quand les arbres perdent leurs feuilles avant le 15 août…

On voit à travers la haie de charmes/noisetiers… pas bon signe !

… c’est jamais bon signe ! On aimerait bien vous parler d’autre chose. Mais force est de constater qu’on n’en a pas fini avec les sécheresses… Et chaque année, on creuse un peu plus le déficit hydrique du sol. 2019 avait été terrible pour nos cultures et pour nos arbres, notamment à cause de la succession d’épisodes caniculaires de forte intensité. Plusieurs arbres y avaient perdu des branches, voire n’y avaient pas survécu. Cette année, les coups de chaud sont plus rares mais les pluies sont quasiment absentes. Curieusement, la végétation se comportait pas trop mal jusqu’à présent, sans doute à la faveur d’un mois de juin très arrosé, qui avait rechargé le sol en eau. Mais depuis quelques semaines, il y a des signes qui ne trompent pas : les pommes tombent, les mûres changent de couleur avec plusieurs semaines d’avance, les feuilles jaunissent et tombent… Notre haie de charmes et noisetiers, le long de la serre 4, est particulièrement touchée et on a des impressions automnales quand on la longe.

Planter des navets tout en enjambant une caisse de plants, nos wwoofeurs sont parfois très créatifs pour inventer des positions inconfortables…

Côté cultures, la situation est moins mauvaise que l’année dernière. Notre station de pompage toute neuve y est pour quelque chose ! Comme on peut lancer les lignes d’aspersion 2 par 2, on peut arroser chaque planche jusqu’à deux fois par semaine, ce qui est capital pour les carottes ou les haricots par exemple. Les trois petits millimètres d’eau tombés cette semaine sont venus mouiller une plantation de navets toute fraîche avec beaucoup d’à-propos ! Ce qui est d’autant plus intéressant que les altises sont de retour au jardin et qu’elles nous avaient beaucoup embêtés l’année dernière. Désormais, on s’en méfie comme de la peste : on arrose la plantation pour les chasser et on place immédiatement un filet anti-insectes. Résultats : les altises reviennent par dessus le filet et se contentent des feuilles les plus hautes, ce qui préserve les feuilles de cœur. Comme on le dit souvent : on essaie de ne pas faire tout le temps les mêmes bêtises…

Pierre-Yves (Ferme Joca), grand maître de la canne à planter

Dimanche dernier, on a profité d’une petite sortie pic-nic (et baignade) près de la Loire pour aller rendre visite à Pierre-Yves (Ferme Joca), un confrère installé en maraîchage depuis l’année dernière entre Pierrefitte et Diou. Premier constat positif : le jardin est encore bien vert ! C’est que, comme chez David (Jardins de Mirloup), toutes les planches sont irriguées en goutte-à-goutte. Chez nous, les goutte-à-goutte sont plutôt réservés aux serres et aux planches bâchées (courges, courgettes et choux). Ce type d’irrigation permet d’économiser beaucoup d’eau et d’être très efficace pour satisfaire les besoins hydriques des plantes. Par contre, rien de vaut une bonne aspersion (ou mieux encore : une bonne pluie d’orage) pour mouiller l’ensemble du sol, y maintenir la vie microbienne et encourager la plante à effectuer une plus vaste prospection racinaire. Chez Pierre-Yves, on est impressionnés par la quantité de cultures mises en place ! Les techniques utilisées sont plus variées que chez nous : travail du sol, occultation, paillage de foin et de BRF, cultures sur compost, etc. Bref, un jardin prometteur, qui vient s’ajouter au petit réseau de maraîchers du coin (Mangetouts, Joca et Grivauds).

À la semaine prochaine !

Tomates : les raisons d’une prodigalité éphémère

Des fruits sur les premières grappes mais pas après.

Une ombre plane au dessus de nos tomates. Une vague malédiction semble vouloir systématiquement nous priver de grosses récoltes après le 15 août. Le front plissé, nous consultons les livres sacrés de notre profession (Itab, La Note Maraîchage Bio, E-phytia, etc.). L’apocalypse y prend des noms barbares, cladosporiose, alternariose, mildiou, et ça nous épouvante encore plus. «Mais qu’est-ce qui vous inquiète précisément ?» seriez-vous en droit de me demander. Eh bien, c’est un ensemble de symptômes : flétrissement, décoloration générale, feuilles abîmées, croissance ralentie, mauvaise nouaison à partir de la 4ème grappe (parfois dès la deuxième grappe pour certains pieds). Bref, maintenant qu’on a récolté les premiers fruits de chaque pied, on sent que la suite va être beaucoup moins marrante…

Histoire de mieux suivre l’évolution de nos rendements, on a décidé de peser systématiquement chaque récolte. Les résultats (provisoires) apparaissent dans le graphique ci-contre. Pour l’instant, on voit surtout qu’on fait un bon début de saison, le meilleur depuis longtemps. Curieusement, les pieds plantés les plus tard sont ceux qui restent les plus vigoureux. Et comme on a planté en trois vagues successives, la production est plus lissée que l’année dernière. La première planche donne ses derniers fruits – les premiers pieds de Saint-Pierre sont complètement vides, par exemple – alors que la troisième série entre en ce moment en pleine production. À partir de la semaine prochaine, le gros de nos récoltes viendra de ces pieds-là. Alors qu’on peine à vendre le surplus de cette semaine (les jardiniers commencent à en avoir aussi), on s’attend déjà à des semaines où il faudra choisir entre les Amaps et le marché. Heureusement, on va bientôt commencer à récolter nos premiers poireaux d’été, on devrait se faire pardonner comme ça…

Racine liégeuse (Corky root)

Nos tomates ont toujours été un peu malades mais pas à ce point. L’alternariose, par exemple, nous accompagne depuis un certain temps. Et comme les spores sont aussi présents dans les graines et qu’on fait nos graines sur des plants atteints, on sait qu’il va falloir «faire avec». Pour expliquer le mauvais état sanitaire de nos cultures, on a d’abord soupçonné les pucerons d’avoir contribué à accélérer les contaminations. Dans le doute, toujours accuser les pucerons, c’est un principe maraîcher. Et puis, finalement, Fabrice a lâché le mot qui tue : «Corky root», la racine liégeuse. En déracinant un plant très atteint, on constate que certaines racines sont effectivement abîmées. Il s’agit d’une maladie cryptogamique qui peut survivre plusieurs années dans le sol. C’est pour cela que les rotations sont recommandées pour les tomates. Il faut bien admettre que chez les petits maraîchers et chez les jardiniers, ce sont des cultures qui ne changent pas beaucoup d’emplacement… Tant que ça se passe bien, on ne touche à rien. Un jardinier ne va pas se mettre à déplacer sa serre à tomates tous les ans, soyons pragmatiques ! Et puis, nous, on est contents de cet emplacement parce que ça permet de limiter les convoyages des tomates vers la bergerie, et ça, ça compte ! Dès lors, que faire ? Il y a une piste à envisager pour l’année prochaine : le greffage des plants. À condition, bien entendu, de choisir un porte-greffe résistant au Corky Root. Si certains d’entre vous pratiquent déjà, merci de nous raconter comment ça se passe et si vous en êtes contents.

Claire et Gwenegan à la récolte des aubergines

«Bon, mais à part se lamenter sur vos tomates, qu’avez-vous fait de la semaine ?» Eh bien, d’abord, on a beaucoup récolté ! Les tomates, les aubergines, les haricots, les courgettes, tout ça prend beaucoup de temps. On plante un peu de salades, de choux chinois, on sème des radis et des navets, on désherbe nos carottes… Cette semaine, on est accompagnés de deux wwoofeurs atypiques : ils sont venus de Bretagne en … tandem ! Après avoir sillonné leur région, Claire et Gwenegan ont suivi la Loire pour arriver jusqu’à nous. Quel honneur ! Dans le jardin, on sent bien qu’ils ne sont pas vraiment débutants et qu’ils ont déjà quelques heures de jardinage et de wwoofing derrière eux ! Cerise sur le gâteau, ils sont aussi naturalistes et Fabrice peut enfin se faire pleinement comprendre quand il s’extasie sur un passage de cigognes ou de guêpiers…

À la semaine prochaine !

Ces plantes qui n’existaient pas

Les altheas qu’on a plantés au printemps fleurissent.

Dans la haie de mon voisin, les altheas (Hibiscus syriacus) sont en fleurs. C’est un arbuste de la famille des Malvacées (la famille des mauves), qu’on peut mener en haie ou de façon isolée au jardin. La floraison est tardive et vient égayer la fin de l’été. Jusqu’à cette année, je n’avais jamais remarqué ces grosses fleurs violettes. Pourtant c’est vraiment magistral ! En circulant en vélo à travers mon village pour aller rejoindre les Grivauds, je me suis rendu compte que j’en croisais dans une bonne dizaine de jardins, tout au long de mon chemin. Comment se fait-il que je ne m’en sois jamais rendu compte ? Ces plantes ne viennent certainement pas d’être plantées et elles ont du fleurir les années passées. Pourtant, mes yeux ne les ont pas vues et ma mémoire les a oubliées. Comment est-ce possible ? Et pourquoi ces fleurs s’imposent-elles à moi précisément cette année ? Répondons d’abord à cette dernière question. Au printemps, un peu après le confinement, on a planté quelques arbustes devant la serre 4. Ils avaient vécu en pot dans la serre à plants pendant de nombreuses années et on les a mis en terre sur un coup de tête. Il s’avère qu’il y avait 5 altheas parmi eux. Et qu’ils mettent des fleurs en ce moment. Je passe devant tous les jours en allant récolter les concombres et je vérifie d’un coup d’œil qu’ils ne souffrent pas trop de la sécheresse. Ainsi donc, c’est une plante dont je ne connais le nom que depuis quelques mois et dont je ne connais bien la floraison que depuis quelques semaines. Tant que je ne savais pas nommer ces arbustes, je ne les voyais tout simplement pas ! Ceux qui sont passés par les Grivauds savent que je suis attentif à mon environnement naturel et que je sais déjà reconnaître de nombreuses plantes, notamment grâce à Fabrice. Néanmoins, je suis comme tout le monde : lorsque je ne connais pas une plante, je suis tenté de l’ignorer… Surtout si elle ne pousse pas aux Grivauds. Les altheas s’ajoutent cette année à mon herbier mental, ce qui me permet d’apprécier enfin cette belle floraison estivale.

Double intérêt de ne pas tondre en été : permettre aux carottes de fleurir et laisser des tiges hautes pour accueillir des insectes (ou des araignées) prédateurs.

Cette petite anecdote vaut bien une morale, vous vous en doutez… Pour apprécier les écosystèmes qui nous entourent, il faut les connaître. Et quand je dis «apprécier», je ne parle pas seulement en termes esthétiques – même si ça compte. Je parle aussi d’en comprendre le fonctionnement, la composition, les interactions qui relient chacune de leurs parties. Depuis que je suis aux Grivauds, avec l’aide de Fabrice, j’essaie de reconnaître un maximum de plantes, d’insectes et d’oiseaux. Soyons modestes : je ne sais précisément à quoi peut bien me servir une telle quantité d’informations mais, au moins, elles me permettent de voir mieux les choses. Il y a des plantes très discrètes mais qui ont des propriétés fabuleuses, comme l’odeur glaciale de la menthe Pouillot ou l’élégance rosée de la fleur de la Gesse de Nissole. Comment distinguer quoi que ce soit dans une prairie quand on désigne tout ce qui y pousse comme étant «de l’herbe» ? Quand ça n’est pas de la «mauvaise» herbe… Avec nos wwoofeurs et nos stagiaires, nous faisons beaucoup de botanique. Nous utilisons le matériau offert par la saison et on essaie de jouer à reconnaître et classer les plantes. Quelle famille ? Vivace, annuel, bisannuel ? Intérêt gustatif et/ou médicinal ? Cultivé ou spontané ? En désherbant des carottes avec Alice cette semaine, on s’amuse à citer le nom de chaque plante qu’on coupe. Alice reconnaît désormais plusieurs espèces d’amarantes et de chénopodes et distingue sans problème le Panic Pied de Coq (Echinochloa crus-galli) de la Digitaire et du blé. Que ce soit avec Cécile les semaines passées ou avec les wwoofeurs et stagiaires qui lui ont précédé, on n’a eu de cesse de décrire et expliquer le monde végétal qui nous entoure, nous nourrit, nous émerveille et (même) nous soigne. Avec le réchauffement climatique, notre écosystème est soumis à rude épreuve et on resterait à la surface des choses si on se contentait de considérations générales. Seule une connaissance fine des plantes permet de distinguer les dynamiques à l’œuvre : assèchement des sols, appauvrissement de la biodiversité, augmentation du parasitisme et des maladies qui y sont liées : bactérioses, viroses, etc. Mais aussi, et c’est très encourageant, de constater à quel point un écosystème peut s’enrichir quand on veut bien lui f**tre la paix !

Sauvetage de crépine… Rassurez-vous, j’ai pris une douche juste après ma baignade.

Le plaisir qu’on tire de ces études et de ces moments de partage nous aide à passer le cap de cette période quelque peu harassante, où les récoltes de haricots verts s’intensifient pile au moment où le mercure vient flirter avec les 40°C. On profite aussi réellement de l’effet d’ombre procuré par le blanchiment de nos serres. Certaines récoltes auraient même été impossibles sans cela (comme celles des poivrons et des tomates cerise à 11h30 passées vendredi matin). L’année dernière, on déplorait des pertes dans les tomates lors des coups de chaud : elles cuisaient sur pied. Cette année, ça n’arrive presque jamais. La semaine se termine sur deux fausses alertes. D’abord, notre belle station de pompage s’est mise à présenter des signes d’essoufflement. Rien de grave : la crépine était simplement envasée. Ensuite, le compresseur de notre chambre froide a cessé de fonctionner la nuit qui a précédé le marché. Là encore, rien d’important : il s’était mis en sécurité pendant le coup de chaud et un simple «reset» a remis les choses dans l’ordre. Avouez que c’est agaçant de voir des appareils neufs tomber en carafe au moment où en a le plus besoin…

À la semaine prochaine !