Ami, prête l’oreille. Ne sens-tu pas quelque subtile modification de la trame du temps et de l’espace ? Quelque chose s’est produit. Une déflagration lente qui déferle par vagues dans nos petites existences maraîchères. La nouvelle se propage, d’abord doucement, comme un son qui aurait été émis par une corde trop ténue. Et soudain, tout le monde sait. Vendredi soir, alors que mon cœur bat d’un nouveau courage et que l’hiver prend subitement une dimension prospective, je reçois un message de David, notre ami-ex-stagiaire-collègue-maraîcher-du-Morvan : «est-ce que vous aussi vous savez ?». Et la réponse est oui. Car Jean, un autre ami-ex-stagiaire-futur-collègue-maraîcher, nous avait éventé la prophétie au printemps, à un moment où nous n’étions pas encore prêts à mesurer l’ampleur de la révélation. Avec Maxime, un ami-ex-saisonnier-futur-collègue-maraîcher, nous avions alors caressé délicatement l’ampleur des possibles que nous offrait ce nouvel agencement de l’univers et nos mains encore malhabiles avaient tremblé d’excitation. Ami, l’heure des hésitations n’est plus ; redresse la tête et, les pieds solidement posés sur ton sol (qu’on espère paillé, hein), laisse ton regard vagabonder sur tes planches de culture sénescentes et vois comme le futur s’y inscrit déjà, ourlant chaque contour végétal d’un fin liseré mordoré. Et ce futur porte un nom gourmand, semblant croquer la vie à pleines dents : Qrop.
C’est au sein de l’Atelier Paysan, sous la main inspirée d’un certain André Hoarau, qu’est né Qrop. Qrop, l’outil qui change tout, le logiciel qui nous manquait et qui ringardise nos schémas sur feuilles volantes, nos feuilles de calcul sur tableur ou toute autre tentative de dessiner son jardin dans le temps et dans l’espace. Faisons factuel (pour changer) et voyons ce que l’outil permet. Premièrement, on y saisit toutes les séries de légumes à mettre en place au cours de l’année. Pour chaque série, on renseigne des données temporelles (dates de semis, de plantation, de récolte) et des données spatiales (quelle surface, quelle densité). À partir de ces séries, le logiciel est capable de lister la quantité de semences nécessaires pour chaque légume. Je vous laisse imaginer le temps qu’on va gagner lors de nos commandes de graines… Ensuite, il permet de dessiner un parcellaire simplifié et d’y placer les séries de légumes sus-mentionnées. Si tout est bien renseigné, alors on peut rapidement anticiper de quelle manière les cultures peuvent se succéder sur une même planche, ce qui est intéressant notamment lorsqu’on doit planifier des implantations d’épinards derrière des cultures d’été (genre tomates). Enfin, il offre la possibilité de faire un suivi des récoltes et de calculer des rendements. Bon, nous, on n’en est pas là… Pour la première année d’utilisation, le travail est fastidieux : il faut tout renseigner. Mais ensuite, pour les années suivantes, il suffira de faire des copier-coller des séries de légumes et d’ajuster en fonction des retours du terrain. C’est presque trop beau pour être vrai. Et comme si ça ne suffisait pas, figurez-vous que Qrop est un logiciel libre, ce qui n’est pas pour déplaire au hacker qui sommeille en moi. Incidemment, ça signifie que son utilisation est gratuite – vous pouvez d’ors et déjà le télécharger sur la page idoine. Qu’on vous prévienne tout de même : Qrop est en cours de développement et il reste encore quelques menus problèmes à résoudre. À noter, il existe un chat d’entraide assez réactif, où on peut même discuter avec le concepteur du logiciel.
Il pleut. Ou il bruine. En tout cas, il fait un temps à ne pas mettre un Mi-Roux dehors. Alors, aux Grivauds, ça pantoufle dur. Fabrice dépouille méthodiquement les relevés de compte et notre cahier de caisse. Il ne sera pas dit que ses formations auprès de l’Afocg Allier auront été vaines : notre bilan comptable pourrait être prêt encore plus tôt qu’à l’époque où nous le faisions faire par le CerFrance. Et dans le bureau, c’est là que s’ourdit notre terrible plan pour conquérir le monde, ou du moins pour planifier nos cultures 2021. Céline, une stagiaire-future-collègue-maraîchère-mais-plutôt-dans-le-Beaujolais, déjà présentée sur ce blog, est solidement installée devant Qrop. Derrière elle, fiévreux de faire accoucher l’année qui vient, votre serviteur épluche frénétiquement son journal de bord : «alors, l’année dernière, on a semé les choux chinois en février mais ils n’avaient rien donné. On va les placer en mars, d’accord ?». Au final, toutes les séries de légumes à semer entre janvier et fin-mars sont saisies. Et la semaine peut se terminer sur notre première commande de graines pour 2021. Ne vous placez pas sur notre chemin, nous sommes inarrêtables désormais !
Charly est de retour. Il était déjà venu il y a quelques semaines aux Grivauds. À l’époque, il faisait encore suffisamment chaud pour travailler régulièrement en tee-shirt dans nos serres. La douceur automnale jouait les prolongations et une joie débridée remplissait les cœurs et les esprits, comme si un nouvel été était encore possible. En même temps que Charly, nous accueillions alors deux drôles d’oiseaux : Charlène et Yolande. Charlène avait beaucoup dessiné dans notre jardin et je lui avais laissé le soin de rédiger l’article de la semaine. Charly n’avait donc pas eu le droit à la traditionnelle présentation que je fais de nos petites mains à leur arrivée au jardin. Pauvre Charly, déjà qu’on t’avait noyé sans ménagement dans nos interminables discussions philosophiques, voilà qu’on t’évince en plus de notre blog. Bon, cela dit, je savais que tu reviendrais et que je pourrais donc me rattraper plus tard. Considère cet article comme la juste dédicace que tu mérites.
Charly, c’est un stagiaire en BPREA qui nous vient du CFPPA de Neuvy, celui dont étaient issus Clément et Lili l’année dernière. Recevoir des stagiaires, on sait faire ici. Du moins, on a suffisamment l’habitude pour réussir à anticiper certaines de leurs attentes, pour essayer de leur offrir un cadre d’apprentissage serein et productif. En général, on s’appuie sur le projet du stagiaire pour personnaliser les tâches et les conversations. Avec Charly, on a été dès le début obligés de sortir de nos petites routines d’enseignement. Charly ne cherche a priori pas à créer une ferme pour vendre des légumes. Non, lui, ce qui le motive, c’est d’apprendre le plus vite possible à jardiner pour se préparer à l’effondrement à venir. Faisant sienne une hypothèse collapsologique de courte échéance, il se dirige à grands pas vers une nouvelle manière d’appréhender son alimentation et celle de la communauté dans laquelle il vit : selon lui, il va falloir rapidement devenir autonome. Après un an de volontariat dans une autre ferme maraîchère de l’Allier, Charly décide de passer le pas et se lance dans une formation agricole avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir. Soyons justes, cette envie d’autonomie, elle anime tous les écologistes un tant soit peu décroissants. Retrouver la simplicité d’un semis de petits pois, d’un pain dans le four, d’un vêtement confectionné soi-même. Se débarrasser progressivement des artefacts de la techno-structure qui nous entoure pour redonner sens à nos existences déconnectées. Poser sur la nature un regard nouveau, émerveillé, humble, reconnaissant. Vous qui nous lisez, sans doute avez-vous déjà effectué une partie de ce chemin. Charly et ses amis y ajoutent simplement une urgence et une radicalité que je ne veux pas partager. Lâcheté ? Peut-être. Ou peut-être simplement que je refuse de travailler avec ce stress au dessus de ma tête. Deuxième point de surprise : Charly casse les codes que notre société nous a fait si bien intégrer. Il est par exemple capable de formuler une question de jardinage de telle sorte qu’elle sonne comme un énoncé de philosophie. Il exprime ses sentiments sans filtre aucun, et notamment sa joie d’être là, qu’il brandit comme l’étendard d’un monde nouveau. Et quand il est bien entouré, on peut même l’entendre chanter des chants indiens à plein poumons…
Le froid s’installe et il n’est pas de matins où l’onglée ne vienne mettre à mal notre détermination à mener à bien nos tâches du jour. Pourtant le travail avance. Les futures planches de courges sont intégralement paillées, les fraisiers continuent à être désherbés et on récolte une impressionnante quantité de légumes pour nos deux Amaps et pour le marché de Vichy. De son côté, Fabrice, mettant à profit ses formations de l’Afogc, poursuit son travail de comptabilité et ne désespère pas de pouvoir annoncer un jour fièrement être à jour de ses saisies. Pendant ce temps-là, les feuilles n’en finissent pas de tomber et je peux de nouveau photographier les oiseaux du jardin à travers les branchages. La semaine se termine donc héroïquement avec quelques clichés de Bruant Zizi, de linottes et de mésange bleue.
Après les interminables atermoiements humides d’octobre, voici le retour des jours secs. À un moment parfaitement inattendu, d’ailleurs ! La pluviométrie totale du mois de novembre s’élève péniblement à 15 mm, ce qui correspond au quart de ce qui est attendu en cette saison. En jours courts, qui dit sécheresse dit froid et, de fait, les gelées sont de retour. Le ciel est si transparent, l’air est si clair, que les étoiles brillent avec une vigueur surprenante. Des teintes fantastiques s’attardent sur l’horizon entre chien et loup et cette lumière si belle nous aide à supporter l’intense morsure du froid sur nos mains. On se motive en se rappelant qu’on travaillera sans manteau avant la fin de la matinée, même en extérieur. Charlène, qui est de retour pour la fin de semaine, exploite pleinement le potentiel artistique de ces dernières lumières d’automne et bombarde le jardin de photos. Les travaux vont bon train, malgré un certain engourdissement des corps en cette fin de saison : les céleris et les dernières carottes sont récoltés, les dernières tomates et les poivrons sont désinstallés, on se lance joyeusement dans le désherbage des fraisiers en serre et on commence à pailler les futures planches de courges (oui, avec six mois d’avance, on vous en reparlera plus tard). Pour une fois, il nous semble qu’on attaque l’hiver bien à l’heure. Ça nous laisse du temps pour nous reposer et aussi pour envisager avec sérénité nos prochains grands chantiers, comme la plantation de nos arbres fruitiers et le nivelage de la serre d’endurcissement.
On est rejoint cette semaine par Céline, une nouvelle stagiaire en BPREA, qui nous vient du Beaujolais. Issue d’une famille paysanne mélangeant élevage, grandes cultures et restaurant à la ferme, elle a le projet de créer conjointement sur la structure un atelier maraîchage et une association qui ferait le lien entre l’activité agricole et le reste du monde. Une façon d’assumer pleinement que nos métiers sont extrêmement gourmands en main d’œuvre et qu’il serait légitime que notre société hors-sol retrouve le chemin des champs et vienne prêter main forte à ceux qui nous nourrissent. L’optimisme de Céline et son amour de la vie sous toutes ses formes résistent vaillamment face à notre scepticisme parfois teinté d’amertume et c’est tant mieux. On échange énormément autour du végétal et elle apprend à une vitesse impressionnante à reconnaître nos différentes adventices d’automne. Le désherbage des fraisiers est aussi le prétexte pour parler de stratégie de reproduction et d’architecture végétales. Tout un programme…
Cette semaine aura aussi été la dernière pour Yolande. Venue une première fois en wwoofing en septembre, elle a choisi de rester confinée dans notre ÉcoJardin pendant ces cinq dernières semaines. Si vous suivez ce blog, vous avez déjà apprécié ses articles, d’une densité et d’une précision remarquables ! Si vous achetez nos légumes à Vichy, vous avez peut-être eu le privilège d’être servie par elle ; Yolande y est venue cinq fois et y a été tout de suite à son aise. Son impressionnante connaissance des légumes et sa facilité de contact avec les clients en font une vendeuse hors-pair. Au jardin, elle nous aura accompagnés vaillamment à travers l’arrivée des jours courts et des premiers frimas. Elle venait le matin aux Grivauds et profitait de ses après-midi pour se ressourcer, pour sillonner les environs, en marchant ou en courant, pour cuisiner, pour lire toutes nos bandes dessinées… Oh oui, je vais regretter ma complice du matin et ses longues discussions, parfois paisibles, parfois plus agitées, mais toujours sensibles. Au revoir Yolande ! Ce jardin a été le tien et le restera aussi longtemps que tu le souhaiteras.
Ici, aux Grivauds, nous produisons les meilleures carottes du monde. Notez l’utilisation du présent de l’indicatif, notez la position de l’assertion en tête d’article, notez que le maraîcher qui l’écrit n’éprouve aucun remord, notez qu’en temps normal pourtant il serait plutôt du genre à la jouer modeste… D’accord, je sens à votre sourcil levé et à votre moue dubitative qu’il va falloir que je sois un peu plus convainquant que d’habitude. Pour commencer, parlons pinard. Un sujet que Fabrice et moi maîtrisons fort bien, comme chacun sait. Eh bien, figurez-vous que dans ce milieu-là, celui de la viticulture, on évoque constamment le fameux «effet terroir». Pour schématiser, un même cépage produit des fruits de saveurs différentes en fonction des conditions pédoclimatiques qui caractérisent le vignoble. La composition du sol aurait un impact fort sur la composition minérale des fruits, sur la quantité ou le type de tannins et d’arômes développés. Et pourquoi ne pas imaginer que cet effet ne pourrait pas être ressenti dans le cadre d’une culture légumière ? J’ai du mal à trouver des études qui attestent cette hypothèse mais elle ne me semble pas absurde a priori. Je me fais la réflexion, notamment, que le MSV augmente drastiquement la qualité et la quantité des mycorhizes des plantes. Je serais curieux de connaître précisément l’impact gustatif de cette bonne mycorhization (taux de sucre, arômes et autres métabolites secondaires). Au delà de cet «effet terroir» supposé sur nos carottes, elles ont surtout pour nous le goût des efforts qu’on leur consacre : des semis héroïques en plein été, un paillage demandant un certain tour de main, des arrosages réguliers, des protections permanentes (filets) contre les mouches. Et elles ont aussi un petit goût de fierté : celle que nous avons de proposer ces délicieuses racines en continu d’avril à février. Donc, il n’y a pas à discuter : ce sont les meilleures carottes du monde. CQFD. La semaine prochaine, mes petits amis, nous étudierons les ravages de la mauvaise foi en milieu maraîcher.
Si vous calculez bien, vous voyez qu’il y a quand même 2-3 mois de carence en la matière (de février à mi-avril). Pourquoi donc ? À ces dates-là, pas de carottes «nouvelles», ce sont forcément des carottes semées l’année précédente. Pour les amener à traverser l’hiver, on a le choix entre deux options : soit on les récolte et on les conserve (mais les hivers très doux ne nous permettent pas de les tenir au delà de fin-janvier de cette façon-là) ; soit on les laisse dans le champ et on les protège du gel. C’est cette dernière technique qu’on a voulu tester cette année. Deux semis de 60m ont été effectués dans cette idée : un au 14 juillet (variétés Nantaise et Rouge-sang) et un au 21 juillet (Napoli F1). Pour ces semis très tardifs, nous avons utilisé des variétés à cycle très court. Et de fait, en ce mois de novembre, on constate qu’on a obtenu des calibres relativement corrects. Mais toute idée de les conserver en terre s’est rapidement évanouie… Bon, on s’en doutait, nos petits mammifères des champs (campagnols et mulots) se réjouissent de la présence de cette nourriture offerte en abondance et nos chats peinent à limiter la pression qu’ils exercent sur nos rendements finaux. Et en plus, on constate avec dépit que certaines parties de la peau de nos carottes (notamment la pointe) se tâchent de noire sans qu’on comprenne bien pourquoi. On suspecte un champignon appelé Alternaria radicina sans pouvoir être bien sûrs. Du coup, nos carottes sont moins belles et s’abîment vite. Impossible de les laisser dans le champ tout l’hiver dans ces conditions. Moralité : nous voilà déjà en train de les vendre dans nos paniers et sur le marché de Vichy…
«Tout ça pour ça», me direz-vous. «Tout ça pour finir par nous dire que vous n’aurez toujours pas de carottes à vous entre février et avril ?» Certes… Mais réjouissez-vous, ce sujet m’offre de nouveau l’opportunité de céder la plume à Yolande, notre grande star du blog, qui avait envie de disséquer une carotte ! C’est pas une bonne nouvelle, ça ?
Dans les entrailles de la carotte
(par Yolande Belleau)
La carotte est un légume commun, tellement que quand vous la regardez vous ne vous posez pas autant de questions que face à un aliment nouveau, inconnu. Et pourtant, la connaissez-vous vraiment ? La plante dont est issue la carotte appartient à la famille des Apiacées. L’espèce la plus commune est daucus et sa famille carota. Cette plante est dite bisannuelle. Son cycle de reproduction sexuée (ensemble des étapes permettant à un individu de produire de futurs individus) dure 2 ans. La carotte est produite lors de la première année. La plante y stocke des réserves d’éléments nutritifs qui seront utilisées l’année suivante à la sortie de l’hiver afin que la plante fleurisse. La carotte est en effet un organe avec une fonction spécifique de réserves. À l’origine la carotte est la racine de la plante. L’appareil racinaire est dit pivotant et la carotte en est le pivot, la racine principale. Lors du stockage des réserves nutritives cette racine devient un tubercule. Ce phénomène est nommé tubérisation. Ainsi la racine en plus de son rôle d’ancrage et d’assimilation des substances nutritives et de l’eau acquiert celui de réserve. La tubérisation peut concerner d’autres organes des végétaux telles que la tige (pomme de terre) ou les feuilles (oignons).
La nature et la localisation des réserves varient selon les tubercules. Chez la carotte ces réserves sont de nature glucidique. Elle emmagasine de l’énergie sous forme de molécules de glucose, à l’origine du goût sucré de la carotte ! Les tissus accumulant les molécules de stockage sont les tissus qui conduisent la sève (un tissu est un ensemble de cellules ayant la même structure, fonction et origine embryologique). Observons directement cette organisation sur une carotte.
Le cambium est un méristème dit secondaire. Un méristème est une zone de division cellulaire, à l’origine d’organes et/ou de tissus végétaux. Les méristèmes primaires sont situés généralement au niveau des parties terminales des organes (racines, tiges) ou à la base (aisselle) des feuilles. Ils permettent la croissance en longueur des organes. Les méristèmes secondaires assurent eux la croissance en épaisseur et leur localisation est variable au sein de l’organe. Dans la racine, ils forment un anneau à partir duquel les cellules se divisent et se différencient (acquièrent des spécificités) ensuite en tissu. Chez la carotte le cambium génère du bois vers l’intérieur et du liber vers l’extérieur. Le bois est issu du xylème primaire, tissu conducteur de la sève brute (issue des racines à destination des autres organes, contenant principalement l’eau et les minéraux du sol). Le liber (ou liège) est issu du phloème primaire, tissu conducteur de la sève élaborée (issue des feuilles à destination des autres organes dont ceux de réserves tels les tubercules durant la phase de tubérisation) contenant principalement des sucres issus de la photosynthèse). Au moment de la récolte, les carottes ont atteint un stade où les tissus secondaires sont très développés, rendant peu visibles les tissus primaires.
Si vous mangez une carotte dont l’intérieur est dur et fibreux, cela indique que votre maraîcher l’a récoltée âgée, à un stade avancé de développement du bois. Elle est devenue difficilement consommable, car ce tissu est progressivement composé de cellules mortes à la paroi rigidifiée par une molécule nommée lignine. En fonction de sa consistance, vous saurez désormais déterminer si votre carotte est vieille ou non !…
Pardon ! Pardon, Fabrice, mais parfois je mets des oreillettes dans le jardin. Je sais bien que c’est mal, je sais bien que j’ai tort mais c’est plus fort que moi. C’est que j’ai besoin de ma dose quotidienne de musique classique et que j’aime la prendre ici, au milieu de cet environnement si beau, si inspirant. C’est comme ça qu’il m’arrive de louper un vol de grues, juste parce que je me laisse entraîner par d’autres accents, d’autres sollicitations auditives. C’est comme ça… Le jardinier, satisfait de son labeur, fier de ses salades, de ses poireaux, de ses tomates, a parfois envie de joindre son propre chant à celui de la Nature, comme pour se redonner du cœur à l’ouvrage, comme pour se prouver que sa place dans le jardin est aussi sonore. Les petites mains qui ont eu le triste privilège de me supporter ne le savent que trop bien : je parle beaucoup, je sifflote constamment, je ris et je cherche à faire rire… J’en ai bien conscience : je suis sans doute le mammifère le moins discret de notre jardin ; je suis un éléphant dans un magasin de porcelaine, un Florin sur un voile anti-insectes, un Mi-Roux dans une caisse de plants…
C’est le matin, le soleil perce enfin le brouillard. Je retire des potentilles en serre 2, en préparation d’une nouvelle planche de mâches, perdu dans mes pensées. En face de moi, de l’autre côté de la serre, une musaraigne pousse de petits cris. C’est incroyable qu’un animal si fragile se signale autant ! Comme s’il cherchait à jouer les bravaches face à notre armée de chats. La musaraigne, nous, on aime bien pourtant : avec son régime insectivore et sa tendance à s’intéresser aussi aux gastéropodes, on a plutôt tendance à la classer dans les auxiliaires de culture. Je repense avec mélancolie à l’époque où j’étais ouvrier agricole et où on m’avait appris à me méfier de tous les petits mammifères à quatre pattes (soricidae ou rongeurs), indifféremment qualifiés de «vermine». À plusieurs reprises, j’entends claquer des coups de feu. La chasse bat son plein. Car, oui, pour rien au monde, on aurait confiné de nouveau les chasseurs, dont les pratiques sont considérées «d’intérêt général» (contrairement à celles des naturalistes par exemple). Je repense à ce tract surréaliste de la Coordination Rurale que nous avons reçu deux jours plus tôt et dans lequel on trouve un article sur «le loup au portes du Bourbonnais». La CR demande, dans le plus grand des calmes, que les troupeaux d’ovins puissent bénéficier du statut de «non-protégeabilité» pour pouvoir tirer le loup plus facilement. Car, n’est-ce pas, «ce n’est pas aux éleveurs de s’adapter au loup ! C’est au loup de s’adapter aux différentes situations d’élevage.» (sic) D’agacement, un rouge-gorge se met à chanter à deux pas de ma serre. Fabrice m’a fait la remarque qu’ils sont particulièrement nombreux dans le jardin cette année. Tant mieux, leurs chants vont accompagner joyeusement nos courtes journées d’hiver. Au même moment, Fabrice repère un Pouillot sibérien près du plan d’eau. Après vérifications, il constate que cet oiseau n’a été repéré que 4 fois cette semaine en France.
Il fait chaud et pour cause : le vent souffle du sud-est. Comme toujours dans ce cas-là, les sons de la RCEA sont portés vers notre petit havre vert. L’espace d’un instant, j’essaie d’oublier cet intarissable vomi de camions venus d’un autre siècle. Dans le lointain, j’entends une machine, une tondeuse peut-être, ou un taille-haie. Et je repense à ce texte de Gilles Clément que Charlène m’a envoyé en début de semaine. «L’idée de jardin ne paraît pas compatible avec les machines. La prolifération d’outils bruyants, malodorants et coûteux est archaïque en face de la nature. C’est à dire en face de la connaissance biologique, scientifique que l’on pourrait avoir de la nature d’aujourd’hui. Un peu comme s’il fallait un marteau de plus en plus grand pour écraser des mouches de plus en plus petites. Si l’on considère la fragilité des brins d’herbe, passer la tondeuse pour les tailler à ras, est d’un point de vue énergétique, une dépense exorbitante.» Je ne saurais dire mieux : il y a beaucoup à entendre dans un jardin, pour peu qu’on y prête l’oreille.
Cette semaine, je cède de nouveau la plume à une «petite main» des Grivauds. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Yolande, dont vous avez déjà pu apprécier la prose en septembre dans un article mémorable (De la chaise à la terre). Car oui, Yolande est de retour aux Grivauds ! Son sens de l’observation et son esprit critique font de nouveau mouche ici, dans un article où elle cherche à montrer la singularité de notre pratique au sein de notre profession.
Avez-vous déjà vu passer sur les réseaux sociaux des illustrations composées généralement de quatre images censées représenter de manière plus ou moins humoristique et caricaturale des situations, personnes, corps de métiers, clichés ? Ces illustrations sont nommées des starter packs, littéralement « kit de démarrage ». En voici quelques exemples :
Mais… ce serait quoi le starter pack du maraîcher en agriculture biologique?
Je ne sais pas pour vous mais voici les images qui me viennent à l’esprit :
Il y a cependant un rutabaga dans le potage… aux Grivauds, aucun de ces éléments clés n’est présent (sauf s’ils sont bien cachés ou employés de nuit). M’aurait-on menti ? Est-il possible de les considérer comme de vrais maraîchers ? J’ai décidé de mener ma petite enquête…
Procédons dans l’ordre.
En quête du calendrier lunaire : exercice du sens de l’observation
Où trouver pareil objet ? Dans un bureau, non ?
Aux Grivauds, il y a un bureau (attention révélation, dans cet antre sombre se manigancent bien des choses tels des itinéraires techniques, des compositions de panier amap, des répartitions de récolte pour le marché), mais aucun calendrier lunaire en vue. Denis et Fabrice ne semblent pas se soucier de la lune (peut-être ne la remarquent-ils même pas, la tête attentivement penchée sur leur champ et non vers les cieux). Ils ne modifient en tout cas pas leur emploi du temps selon son état. La lune selon sa position dans le ciel exerce une force d’attraction plus ou moins forte sur la Terre participant notamment à des phénomènes telles les marées. Selon certaines théories cette force aurait des effets sur la vigueur des plantes (voire des cheveux). Les distances minimale (périgée) et maximale (apogée) mais également le nœud lunaire lorsque la lune passe entre le soleil et la terre seraient par exemple des moments où le jardinage serait perturbé. Les rythmes de la lune (croissance/décroissance ou montée/descente) correspondraient aussi à différentes périodes propices à différents gestes (semis, plantation, bouture, récolte). Denis et Fabrice ne croyant pas en ces affirmations et aucune preuve scientifique rigoureuse ne les ayant appuyées, leur pratique du maraîchage est indépendante des paramètres lunaires. Je les crois sur parole mais dans le doute, j’ai par acquit de conscience procédé à des vérifications supplémentaires avant de poursuivre mon enquête. Mais non, aucun calendrier lunaire suspendu aux murs des toilettes ni ne servant de cale à quelque meuble bancal…
À la recherche de purin d’orties : exercice de l’odorat
Ah… le fameux purin d’orties, cette mixture à la douce et agréable odeur et aux multiples propriétés selon la durée de sa fermentation.
Même si les vertus de ce macérât s’avéraient justes, aux Grivauds les orties resteraient en terre. Elles serviraient à la limite d’ingrédients pour cuisiner un pesto mais ne seraient pas transformées en purin. Revenons sur les propriétés de ce produit miracle…
Une première propriété du purin d’ortie est sa concentration en azote et potassium qui lui confére un rôle d’engrais. Les engrais (ou fertilisants) sont un type d’intrants à destination des plantes. Ils libèrent des éléments minéraux ou organiques directement assimilables par les végétaux (compost, fumier ou engrais synthétiques). Les amendements sont l’autre grand type d’intrants. Ils sont à destination non pas directement des plantes mais du sol. Les amendements réunissent les méthodes d’enrichissement du sol par apport de matière organique (via des cultures laissées sur place : engrais verts, ou via différents mulch : paille, bois raméal fragmenté pour en citer parmi les plus célèbres…)
Aux Grivauds, les intrants sont utilisés à minima. Tous les sols sont amendés par des engrais verts ou de la paille. Ils sont ainsi enrichis et couverts, deux des principes de base du maraîchage sur sol vivant (MSV). L’engrais n’est utilisé qu’au démarrage des cultures si les sols ne fournissent pas la quantité d’azote nécessaire (sol froid, cultures exigeantes comme la pomme de terre ou sur des planches de culture aux faibles rendements).
Par ailleurs, le purin d’orties aurait des vertus insecticides. Mais une fois encore, aux Grivauds d’autres méthodes sont utilisées contre les insectes ou autres nuisibles des cultures. Par exemple faire confiance à l’immunité des végétaux. Fabrice et Denis entretiennent un sol actif et en bonne santé, favorable à la mise en place de différents mécanismes de défenses, quitte à ce que les rendements s’en trouvent affectés. La philosophie adoptée aux Grivauds peut être qualifiée de non-interventionniste. Cet état d’esprit est notamment inspiré du microbiologiste japonais Fukuoka. Sa thèse peut être résumée ainsi : la nature n’a pas besoin de l’homme pour s’épanouir. Ainsi, respecter les rythmes naturels est suffisant afin de bénéficier des conditions permettant de cultiver. Il décrit un mode de culture naturel en harmonie totale avec le vivant dans son ensemble. À l’inverse, un fonctionnement interventionniste consiste à modifier des processus naturels. Certaines pratiques peuvent ainsi contre sélectionner des agents naturels en remplissant partiellement ou totalement leur fonction dans un écosystème. Utiliser un insecticide afin de se débarrasser des pucerons par exemple supprime la pression exercée par leur présence sur la culture. Les coccinelles ne sont donc plus utiles et peuvent même disparaître.
En quête d’explication à l’absence de grelinette et de binette : exercice des méninges
C’est cette même vision consistant à laisser les écosystèmes se réguler d’eux-mêmes qui explique l’absence de grelinette aux Grivauds. Cet outil est en effet utilisé pour ameublir le sol en le perforant sans le retourner donc sans déplacer ses horizons (couches). Ces différentes couches permettent à de nombreuses fonctions biologiques d’être remplies, principalement par leurs conditions physico-chimiques et leurs structures. Ces caractéristiques conditionnent notamment la vie de la faune et de la flore du sol (vers de terre, bactéries, champignons, racines). Ainsi, même si la grelinette contrairement au motoculteur, à la bêche ou à la charrue, ne détruit pas cet équilibre biologique elle modifie la structure du sol par son rôle d’aération, de bioturbation. Or ces fonctions sont naturellement assurées par le ver de terre. Si on grelinait, il s’en trouverait tout désœuvré ! Ainsi Denis et Fabrice préfèrent lui laisser ces missions. La grelinette effectue dans tous les cas un travail du sol, ce qui est contraire aux principes du MSV.
Aux Grivauds, pas de binette non plus. La binette, c’est vraiment l’outil de désherbage qu’on trouve dans tous les jardins. Pourquoi ne le trouverait-on pas dans celui-ci ? D’abord, le paillage ou bâchage des cultures rend inutilisable la binette car elle ne peut atteindre la terre. Quand bien même on ouvrirait la paille pour l’utiliser, elle a pour inconvénient de réactiver le lit de semences. Des milliers de graines dans le sol sont en effet en latence. Elles sont comme endormies, n’attendant que les conditions optimales à leur germination soient réunies. Ces conditions (présence d’air et d’eau) leur sont offertes en déplaçant à l’aide de la binette la surface du sol. Elles vont donc germer suite au désherbage. Chaque binage est automatiquement suivi de l’apparition de nouvelles adventices, ce qui entraîne un cycle infini de binage… La binette est dans tous les cas inutile aux Grivauds car les seules plantes poussant au travers des paillages sont des vivaces, des végétaux survivant plusieurs années. Aux Grivauds, elles sont éliminées en étant coupées au collet (à la base) grâce à un sécateur. Leurs racines sont laissées dans le sol. Elles s’y décomposeront sur place sans modification de la structure du sol.
Fin de l’enquête. Je rentre bredouille. J’ai usé de tous mes sens (ou presque) mais je n’ai rien trouvé de cet attirail aux Grivauds. Pour ce qui est de répondre à la question « est-il quand même possible de les considérer comme des maraîchers? » revenons à la définition du terme. Selon le CNRTL, un maraîcher est un « jardinier qui cultive des légumes sur une grande échelle afin de les vendre ». Ainsi Fabrice et Denis, en produisant vos légumes, vous remplissez le critère essentiel permettant de définitivement vous définir comme des maraîchers (ouf). Simplement votre approche aux Grivauds oriente le fonctionnement de la nature afin de produire des légumes tout en visant la meilleure harmonie possible avec ses différents éléments. L’intervention majoritaire (outre les plantations et récoltes cela va sans dire) est l’enrichissement des sols, favorable à leur rendement et il est réalisé avec des procédés les moins artificiels possibles. Ainsi sont limités au maximum les mises sous tutelle et les modifications des processus naturels après le lancement des cultures. Je termine donc mon enquête les mains vides mais forte d’une conclusion : Fabrice et Denis sont bien des maraîchers et qui tentent de se faire collègues avec la nature en travaillant main dans la main avec le monde vivant.
Bonus de l’enquête : Mais quel est donc le starter pack de Denis et Fabrice?
Note du maître-toilier :après l’article de Charlène la semaine dernière et l’article de Yolande cette semaine, je commençais à avoir beaucoup de photos accumulées, montrant notamment l’avancement de nos planches de culture hivernales sous serre. Les voici donc rassemblées ici dans une grande galerie. Vous y ferez notamment la connaissance de Charly, un stagiaire dont nous reparlerons prochainement.
Cette semaine, c’est Charlène qui prend le contrôle du blog des Grivauds. Charlène est wwoofeuse chez nous pour une dizaine de jours. Ses talents de dessin et son regard émerveillé nous permettent de profiter d’un aperçu singulier et sensible de notre petit monde.
Demain, dès huit heure, à l’heure d’hiver, Je partirai. Vois-tu, même si l’on ne m’y attend pas. J’irai par la route, j’irai à deux roues. Je ne puis demeurer loin des sols vivants plus longtemps.
Je chanterai le cœur ouvert dans la serre trois, En oubliant le dehors, les yeux rivés sur le paillage, Ensemble, le dos courbé, les mains enterrées, l’automne sera chaud au-dedans de moi.
Je ne goûterai plus un légume sans y penser, Ni les feuilles d’épinard, ni les feuilles de blette, Et quand je rentrerai, je déposerai dans un vase, Un bouquet de persil frisé et de bourraches fleuries.
« Le MSV attire des gens qui aiment la vie sous toutes ses formes, des personnes qui sont attirées par la beauté de la biodiversité. Un beau jardin ça agrège pas mal de belles personnes. » Sandrine
« La beauté [dans le cadre du jardin], la contemplation, la spiritualité sont des énergies que je ne sais pas expliquer avec mon bagage scientifique.» Yolande
« Dans le jardin il y a la poésie et la biologie qui se tiennent la main.» Denis
« Mais tout autour de nous la nature nous offre des exemples de structures assez primitives, qui n’ont jamais été correctement observées, exploitées ou utilisées par les designers ; elle nous montre des schémas biologiques qui valent la peine d’être étudiés et sont accessibles à tous ceux qui profitent d’un dimanche après-midi pour partir en promenade.» Victor Papanek
« Je suis content quand j’entends des éclats de rire dans le jardin. » Fabrice
Fabrice et moi, on adore le céleris rave. On le prépare en gros bâtonnets crus qu’on trempe ensuite dans une sauce à la crème ou dans de la mayonnaise. Le goût est soutenu mais plus léger que si le légume est cuit. On y distingue même de légères nuances anisées. La consistance peut dérouter ; c’est croquant, mais pas autant qu’une carotte, et ça n’est pas juteux du tout, contrairement à un radis. On pourrait faire un long inventaire des légumes qu’on gagnerait à manger plus souvent cru, tant la mise en œuvre est simplissime : navet, chou-rave, chou blanc, chou-fleur, betterave, fenouil, etc. Préparer quelques bols de crudités, histoire de mettre un peu de couleurs, de saveur et de vitamines sur la table, c’est vraiment un geste quotidien pour nous. Le temps qu’on y consacre est minimum. À ce stade, je devine, cher lecteur, que vous avez le sourcil froncé. «Mais où veut-il en venir ?» Patience.
Le chou blanc, c’est aussi délicieux cru !
Combien de fois avons-nous entendu, sur le marché, à l’Amap, dans nos propres cercles intimes : «mais ça, je ne sais pas comment ça se prépare» ? Et de nous demander une recette. Personnellement, face à un nouveau légume (oui, ça m’arrive encore), je ne commencerais pas par aller feuilleter frénétiquement mes livres de recettes ou me ruer sur internet. Je le sens, je le découpe, je le rappe et ensuite seulement j’essaie de le cuire. Et la plupart du temps, pour un premier contact, l’histoire se termine dans le panier vapeur de ma cocotte. Ces étapes sont importantes : ça me permet de mieux cerner la personnalité du légume et d’en exploiter plus tard le potentiel gustatif. C’est comme ça que j’intégre dans mon propre répertoire culinaire des légumes comme le cerfeuil tubéreux, le rutabaga ou une nouvelle courge. Attendez ! Quoi ? Même la courge se mange crue ? Oui. Et je me souviens de Pierre-Yves, le collègue de la ferme de Joca, qui me fait goûter une fine tranche crue de Galeuse d’Eysine en me lançant «alors ? ça a un goût de pomme, non ?». Ma cocotte, c’est vraiment une arme redoutable pour s’approcher de la vérité toute nue du légume. Je découpe de gros quartiers (pommes de terre, carottes, courges, panais, navet, etc.) et je fais cuire une dizaine de minutes à la vapeur. Au moment du service, on peut faire très simple : un filet d’huile d’olive, un tour de poivre du moulin, une noix de fromage à pâte persillée qui viendra fondre langoureusement au contact du légume tout chaud. Je ne cesserai de vous le répéter : si le légume est bon, foutez-lui la paix !
C’est fini les aubergines ! Normalement, sur cette planche, la semaine prochaine, on y trouvera des épinards.
«Bon, mais à part discuter cuisine, vous faites quoi aux Grivauds ?» Bon, d’abord, je vous signale qu’on a toute une saison dans les pattes, alors, on a le droit d’aborder de temps en temps des sujets plus légers, et toc ! Et donc aux Grivauds, cette semaine, on a fait avancer plusieurs chantiers, comme le débâchage des courges ou comme la désinstallation des aubergines. Mais l’essentiel n’est pas là ! Non, l’essentiel c’est que je me suis offert deux jours de congés ! Et que lundi, Fabrice a passé la matinée les yeux en l’air pour compter les passages de pigeons en migration. Ça y est, après sept mois d’une rare intensité, on commence enfin à relâcher un peu le rythme…
Ne comptez pas sur nous pour opposer les micro-fermes et les grosses structures. Nous savons bien que ça n’est pas avec du petit maraîchage hyper-qualitatif que nous réussirons à amener des légumes bio sur toutes les tables. La filière s’enrichit de ces différentes échelles qui se complètent, s’émulent, s’entraident. Dans notre secteur, la plus grosse ferme maraîchère, c’est les Sabots d’Argile, à Marigny. 14 hectares de légumes de pleine terre, 2.3 hectares de serres froides et 3 hectares de prairies pour la faune et la flore auxiliaires. Le tout labellisé bio et Demeter. Et cette ferme vient de déposer le bilan.
De jolis plateaux de 112 mottes, c’est ça qu’on allait chercher un mardi sur deux à Marigny…
C’était devenu un rituel pour Fabrice : toutes les deux semaines, le mardi, il allait leur rendre visite et revenait avec une trentaine de plateaux de mottes fraîchement pressées. L’occasion de discuter avec Alain Regnault, le patron de la ferme ou avec l’un ou l’autre des encadrants du personnel (une vingtaine de salariés tout de même !). Il prenait l’air du temps, parlait boutique ou météo, prenait le pouls d’une filière dont nous ne sommes qu’un tout petit rouage. En plus des plateaux de mottes, les Sabots d’Argile vendait aussi du plan pour les maraîchers et faisait aussi de la revente en demi-gros, histoire d’aider les collègues à compléter leur stand en enrichissant leur gamme. Leur disparation est une mauvaise nouvelle pour l’ensemble des acteurs de la bio en Allier. Nous avons évidemment une pensée affectueuse pour tous ceux qui faisaient vivre cette grosse ferme, les Regnault, les encadrants et tout le personnel. Nous avions apprécié tout particulièrement le témoignage de Clément, un de nos stagiaires de l’année passée, qui y avait travaillé plusieurs mois et qui faisait partager un peu de cet esprit de ruche qui y régnait. En ce qui nous concerne, c’est surtout la question de la production des mottes qu’il va falloir se poser. Acheter une motteuse ? Seuls ou à plusieurs ? Acheter et stocker du terreau ? Où et comment ? Bref, passé l’effarement causé par la mauvaise nouvelle, c’est un nouveau défi qui s’offre à nous et que nous allons devoir relever pendant l’hiver.
Nina et Florian, vaillants wwoofers qui traversent une semaine de grisaille avec le sourire.
En attendant, on ne se laisse pas abattre et on continue de faire vivre nos Grivauds bien-aimés avec une ardeur redoublée. Des plantations, des récoltes, des bâchages pour l’hiver ; de nouveau, ce sont de nombreux chantiers qui ont avancé cette semaine. À la manœuvre, on note la présence de deux nouveaux wwoofeurs : Nina et Florian. Ces deux-là sont kinés et profitent de quelques mois de césure pour filer un coup de main dans les champs. On n’est pas vraiment les premiers à les recevoir et ça se sent : ils sont rapidement à l’aise, connaissent bien leurs légumes et ont déjà plein d’anecdotes jardinières dans leur musette. Comme il fait désormais trop froid pour recevoir dans la caravane, c’est à notre tour (à Sandrine et moi) de recevoir nos précieuses petites mains. Ne le répéter pas à Fabrice, mais on a tiré de nouveau des wwoofeurs qui cuisinent comme ils respirent… Je ne vous décris pas nos repas, ce serait indécent. Bon, Nina est amoureuse de Mi-Roux, ce qui est proprement inconcevable pour nous et Florian place trois citations de Kaamelott par phrase, ce qui donne l’impression de travailler constamment avec Guetenoch et Roparzh. Mais vu comment ils nous ont vaillamment aidés sur le marché de Vichy ce matin, on leur pardonne tout.
D’abord, on désinstalle le palissage. Au premier plan : Samuel, le mari de Fabienne, en wwoofing chez nous.
Ça fait un certain temps qu’on réfléchit avec Fabrice à ajouter un volet «formation ésotérique» à notre activité. Les légumes, en soi, c’est quand même vachement terre-à-terre (surtout les carottes). Admettez : même si vous regardez une pomme de terre droit dans les yeux pendant de longues heures, ça n’est pas comme ça que vous apprendrez quoi que ce soit des secrets de l’univers. Et puis, le maraîchage, c’est pas super rentable. Fabrice rêvait d’un petit coupé-cabriolet un peu nerveux et moi je me verrai bien m’offrir une montre hors de prix ostentatoire (pour pouvoir râler quand Cécile n’est pas à l’heure dans le champ après la pause méridienne). Bref, on s’oriente vers de la formation alternative à prix modique (on pensait commencer par demander 500€ par personne et par jour et augmenter si ça prend bien). En plus, on a un atout de choc pour attirer de nouveaux publics : Fabrice a plus ou moins des faux airs de Pierre Rabhi (en plus jeune). Toutes les chances sont donc de notre côté. Reste à définir l’orientation générale. Biodynamie, électroculture, soin des plantes par la musique, tout ça, c’est déjà pris. Nous, on veut frapper très fort : on va faire de l’alchimie ! Et comme on est sympas, on vous offre gratuitement notre première leçon : comment transformer des tomates en épinards ?
Après broyage, on écarte le mulch et on élimine les vivaces.
Tout commence à partir d’une plantation de tomates un peu fatiguée par de longs mois d’été torrides. Important : la plantation doit avoir été convenablement paillée au printemps. D’abord, on récupère les fruits qui pourraient encore mûrir et on retire le palissage. Ça, vous voyez, on l’a fait la semaine dernière sur deux fois 40 mètres de culture en serre. Ensuite, on broie tous les rémanents (les pieds de tomates, la paille et toutes les adventices). On obtient un joli mulch qui sent encore la feuille de tomate. Et là, attention, suivez bien, ça devient technique. On ramène tout le mulch sur les bords de nos planches de telle sorte à bien voir le sol. Maintenant, il s’agit de repérer toutes les racines qui n’ont rien à faire là (pissenlits, potentilles, renoncules, etc.) et de les retirer. On peut éventuellement s’aider d’un sécateur si le sol est trop dur. Chez nous, le sol est devenu tellement souple (à force de manger de la paille) qu’il suffit d’élever la voix un peu fort pour que la potentille sorte toute seule du sol en s’excusant, ce qui constitue un gain de temps précieux. On profite que le sol est à nu pour le réhydrater généreusement par aspersion. Ensuite, on réinstalle la paille sur la planche. La dernière opération consiste à bêtement planter des épinards à travers la paille. Attendez quelques semaines et hop ! vous avez des épinards.
Cécile : «Est-ce qu’il faut aussi planter le gros épinard roux et poilu ?»
«Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est que cette arnaque ? Y a rien de magique là-dedans ! Avec la pierre philosophale, au moins, on transforme du plomb en or !» Alors, déjà, arrêtez de crier, vous couvrez le chant des oiseaux et Fabrice risque de louper un vol de pigeons à cause de vous. Et ensuite, c’est bien gentil votre pierre philosophale mais personne ne sait où elle a été rangée, alors on se rabat sur ce qu’on peut. Et en l’occurrence, un petit itinéraire technique pour plantation d’automne sous serre, c’est ce qu’on a de plus magique en stock : c’est simple, c’est terriblement efficace et ça produit de délicieux épinards, plein de calcium. Bon, il faut admettre que la vitesse d’exécution de ces différentes tâches a été très largement démultipliée cette semaine, grâce à notre joyeuse équipe de petites mains : Cécile, notre saisonnière, Fabienne, notre stagiaire et Samuel, son mari, qui s’offre une petite semaine de wwoofing chez nous en guise de vacances…
Oui, on a même eu le temps de récolter nos betteraves de garde !
En fait, si vous passez cette semaine visiter la ferme et que vous l’avez connue en été, vous constaterez plusieurs petites révolutions. Vous l’avez compris, la serre 2 contient désormais deux planches d’épinards. Mais en plus, presque toute la serre 4 a été nettoyée et les plantations d’automne y vont déjà bon train : salades et mâches. Les dernières courges sont récoltées et on a fait rentrer nos betteraves de garde. Et en plus, on se paie le luxe de faire quelques allers-retours à la déchetterie pour virer ces affreux tas de déchets qui nous encombraient depuis le printemps. Là, à ce stade, vous devriez hausser un sourcil de scepticisme. Auraient-ils trouvé le secret de la semaine de 10 jours pour pouvoir y faire entrer autant de travail ? Non pas, notre secret est bien plus prosaïque : nous ne sommes pas allés à Vichy. Pourquoi ? Eh bien, justement pour pouvoir mettre un coup de fouet à tous ces chantiers d’implantation sous serre. On en avait marre de n’avoir le temps de rien et de systématiquement planter nos plants avec plus d’une semaine de retard. Voilà, maintenant, on est à jour et on est prêts à retourner à Vichy, le stress en moins, la joie d’avoir bien travaillé en plus ! Merci Fabienne, merci Samuel et merci Cécile !
À la semaine prochaine !
Verger de la Brouette Bleue : des buttes paillées, des essences mélangées, des haies bocagères. C’est vraiment très prometteur !
PS de dernière minute : Aujourd’hui (samedi), je suis allé faire un tour aux portes ouvertes des Jardins de la Brouette Bleue. Mais si, on vous en a déjà parlé, c’est un magnifique verger planté par Aurélie Cleenwercke à Saint-Aubin-sur-Loire. Cette année, elle a récolté ses premières pommes. Les choses vont aller en s’accélérant avec la maturité des arbres. On a hâte de pouvoir goûter leurs fruits !