Cette semaine, je cède de nouveau la plume à une «petite main» des Grivauds. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Yolande, dont vous avez déjà pu apprécier la prose en septembre dans un article mémorable (De la chaise à la terre). Car oui, Yolande est de retour aux Grivauds ! Son sens de l’observation et son esprit critique font de nouveau mouche ici, dans un article où elle cherche à montrer la singularité de notre pratique au sein de notre profession.
Avez-vous déjà vu passer sur les réseaux sociaux des illustrations composées généralement de quatre images censées représenter de manière plus ou moins humoristique et caricaturale des situations, personnes, corps de métiers, clichés ? Ces illustrations sont nommées des starter packs, littéralement « kit de démarrage ». En voici quelques exemples :
Mais… ce serait quoi le starter pack du maraîcher en agriculture biologique?
Je ne sais pas pour vous mais voici les images qui me viennent à l’esprit :
Il y a cependant un rutabaga dans le potage… aux Grivauds, aucun de ces éléments clés n’est présent (sauf s’ils sont bien cachés ou employés de nuit). M’aurait-on menti ? Est-il possible de les considérer comme de vrais maraîchers ? J’ai décidé de mener ma petite enquête…
Procédons dans l’ordre.
En quête du calendrier lunaire : exercice du sens de l’observation
Où trouver pareil objet ? Dans un bureau, non ?
Aux Grivauds, il y a un bureau (attention révélation, dans cet antre sombre se manigancent bien des choses tels des itinéraires techniques, des compositions de panier amap, des répartitions de récolte pour le marché), mais aucun calendrier lunaire en vue. Denis et Fabrice ne semblent pas se soucier de la lune (peut-être ne la remarquent-ils même pas, la tête attentivement penchée sur leur champ et non vers les cieux). Ils ne modifient en tout cas pas leur emploi du temps selon son état. La lune selon sa position dans le ciel exerce une force d’attraction plus ou moins forte sur la Terre participant notamment à des phénomènes telles les marées. Selon certaines théories cette force aurait des effets sur la vigueur des plantes (voire des cheveux). Les distances minimale (périgée) et maximale (apogée) mais également le nœud lunaire lorsque la lune passe entre le soleil et la terre seraient par exemple des moments où le jardinage serait perturbé. Les rythmes de la lune (croissance/décroissance ou montée/descente) correspondraient aussi à différentes périodes propices à différents gestes (semis, plantation, bouture, récolte). Denis et Fabrice ne croyant pas en ces affirmations et aucune preuve scientifique rigoureuse ne les ayant appuyées, leur pratique du maraîchage est indépendante des paramètres lunaires. Je les crois sur parole mais dans le doute, j’ai par acquit de conscience procédé à des vérifications supplémentaires avant de poursuivre mon enquête. Mais non, aucun calendrier lunaire suspendu aux murs des toilettes ni ne servant de cale à quelque meuble bancal…
À la recherche de purin d’orties : exercice de l’odorat
Ah… le fameux purin d’orties, cette mixture à la douce et agréable odeur et aux multiples propriétés selon la durée de sa fermentation.
Même si les vertus de ce macérât s’avéraient justes, aux Grivauds les orties resteraient en terre. Elles serviraient à la limite d’ingrédients pour cuisiner un pesto mais ne seraient pas transformées en purin. Revenons sur les propriétés de ce produit miracle…
Une première propriété du purin d’ortie est sa concentration en azote et potassium qui lui confére un rôle d’engrais. Les engrais (ou fertilisants) sont un type d’intrants à destination des plantes. Ils libèrent des éléments minéraux ou organiques directement assimilables par les végétaux (compost, fumier ou engrais synthétiques). Les amendements sont l’autre grand type d’intrants. Ils sont à destination non pas directement des plantes mais du sol. Les amendements réunissent les méthodes d’enrichissement du sol par apport de matière organique (via des cultures laissées sur place : engrais verts, ou via différents mulch : paille, bois raméal fragmenté pour en citer parmi les plus célèbres…)
Aux Grivauds, les intrants sont utilisés à minima. Tous les sols sont amendés par des engrais verts ou de la paille. Ils sont ainsi enrichis et couverts, deux des principes de base du maraîchage sur sol vivant (MSV). L’engrais n’est utilisé qu’au démarrage des cultures si les sols ne fournissent pas la quantité d’azote nécessaire (sol froid, cultures exigeantes comme la pomme de terre ou sur des planches de culture aux faibles rendements).
Par ailleurs, le purin d’orties aurait des vertus insecticides. Mais une fois encore, aux Grivauds d’autres méthodes sont utilisées contre les insectes ou autres nuisibles des cultures. Par exemple faire confiance à l’immunité des végétaux. Fabrice et Denis entretiennent un sol actif et en bonne santé, favorable à la mise en place de différents mécanismes de défenses, quitte à ce que les rendements s’en trouvent affectés. La philosophie adoptée aux Grivauds peut être qualifiée de non-interventionniste. Cet état d’esprit est notamment inspiré du microbiologiste japonais Fukuoka. Sa thèse peut être résumée ainsi : la nature n’a pas besoin de l’homme pour s’épanouir. Ainsi, respecter les rythmes naturels est suffisant afin de bénéficier des conditions permettant de cultiver. Il décrit un mode de culture naturel en harmonie totale avec le vivant dans son ensemble. À l’inverse, un fonctionnement interventionniste consiste à modifier des processus naturels. Certaines pratiques peuvent ainsi contre sélectionner des agents naturels en remplissant partiellement ou totalement leur fonction dans un écosystème. Utiliser un insecticide afin de se débarrasser des pucerons par exemple supprime la pression exercée par leur présence sur la culture. Les coccinelles ne sont donc plus utiles et peuvent même disparaître.
En quête d’explication à l’absence de grelinette et de binette : exercice des méninges
C’est cette même vision consistant à laisser les écosystèmes se réguler d’eux-mêmes qui explique l’absence de grelinette aux Grivauds. Cet outil est en effet utilisé pour ameublir le sol en le perforant sans le retourner donc sans déplacer ses horizons (couches). Ces différentes couches permettent à de nombreuses fonctions biologiques d’être remplies, principalement par leurs conditions physico-chimiques et leurs structures. Ces caractéristiques conditionnent notamment la vie de la faune et de la flore du sol (vers de terre, bactéries, champignons, racines). Ainsi, même si la grelinette contrairement au motoculteur, à la bêche ou à la charrue, ne détruit pas cet équilibre biologique elle modifie la structure du sol par son rôle d’aération, de bioturbation. Or ces fonctions sont naturellement assurées par le ver de terre. Si on grelinait, il s’en trouverait tout désœuvré ! Ainsi Denis et Fabrice préfèrent lui laisser ces missions. La grelinette effectue dans tous les cas un travail du sol, ce qui est contraire aux principes du MSV.
Aux Grivauds, pas de binette non plus. La binette, c’est vraiment l’outil de désherbage qu’on trouve dans tous les jardins. Pourquoi ne le trouverait-on pas dans celui-ci ? D’abord, le paillage ou bâchage des cultures rend inutilisable la binette car elle ne peut atteindre la terre. Quand bien même on ouvrirait la paille pour l’utiliser, elle a pour inconvénient de réactiver le lit de semences. Des milliers de graines dans le sol sont en effet en latence. Elles sont comme endormies, n’attendant que les conditions optimales à leur germination soient réunies. Ces conditions (présence d’air et d’eau) leur sont offertes en déplaçant à l’aide de la binette la surface du sol. Elles vont donc germer suite au désherbage. Chaque binage est automatiquement suivi de l’apparition de nouvelles adventices, ce qui entraîne un cycle infini de binage… La binette est dans tous les cas inutile aux Grivauds car les seules plantes poussant au travers des paillages sont des vivaces, des végétaux survivant plusieurs années. Aux Grivauds, elles sont éliminées en étant coupées au collet (à la base) grâce à un sécateur. Leurs racines sont laissées dans le sol. Elles s’y décomposeront sur place sans modification de la structure du sol.
Fin de l’enquête. Je rentre bredouille. J’ai usé de tous mes sens (ou presque) mais je n’ai rien trouvé de cet attirail aux Grivauds. Pour ce qui est de répondre à la question « est-il quand même possible de les considérer comme des maraîchers? » revenons à la définition du terme. Selon le CNRTL, un maraîcher est un « jardinier qui cultive des légumes sur une grande échelle afin de les vendre ». Ainsi Fabrice et Denis, en produisant vos légumes, vous remplissez le critère essentiel permettant de définitivement vous définir comme des maraîchers (ouf). Simplement votre approche aux Grivauds oriente le fonctionnement de la nature afin de produire des légumes tout en visant la meilleure harmonie possible avec ses différents éléments. L’intervention majoritaire (outre les plantations et récoltes cela va sans dire) est l’enrichissement des sols, favorable à leur rendement et il est réalisé avec des procédés les moins artificiels possibles. Ainsi sont limités au maximum les mises sous tutelle et les modifications des processus naturels après le lancement des cultures. Je termine donc mon enquête les mains vides mais forte d’une conclusion : Fabrice et Denis sont bien des maraîchers et qui tentent de se faire collègues avec la nature en travaillant main dans la main avec le monde vivant.
Bonus de l’enquête : Mais quel est donc le starter pack de Denis et Fabrice?
Note du maître-toilier : après l’article de Charlène la semaine dernière et l’article de Yolande cette semaine, je commençais à avoir beaucoup de photos accumulées, montrant notamment l’avancement de nos planches de culture hivernales sous serre. Les voici donc rassemblées ici dans une grande galerie. Vous y ferez notamment la connaissance de Charly, un stagiaire dont nous reparlerons prochainement.