Charly est de retour. Il était déjà venu il y a quelques semaines aux Grivauds. À l’époque, il faisait encore suffisamment chaud pour travailler régulièrement en tee-shirt dans nos serres. La douceur automnale jouait les prolongations et une joie débridée remplissait les cœurs et les esprits, comme si un nouvel été était encore possible. En même temps que Charly, nous accueillions alors deux drôles d’oiseaux : Charlène et Yolande. Charlène avait beaucoup dessiné dans notre jardin et je lui avais laissé le soin de rédiger l’article de la semaine. Charly n’avait donc pas eu le droit à la traditionnelle présentation que je fais de nos petites mains à leur arrivée au jardin. Pauvre Charly, déjà qu’on t’avait noyé sans ménagement dans nos interminables discussions philosophiques, voilà qu’on t’évince en plus de notre blog. Bon, cela dit, je savais que tu reviendrais et que je pourrais donc me rattraper plus tard. Considère cet article comme la juste dédicace que tu mérites.
Charly, c’est un stagiaire en BPREA qui nous vient du CFPPA de Neuvy, celui dont étaient issus Clément et Lili l’année dernière. Recevoir des stagiaires, on sait faire ici. Du moins, on a suffisamment l’habitude pour réussir à anticiper certaines de leurs attentes, pour essayer de leur offrir un cadre d’apprentissage serein et productif. En général, on s’appuie sur le projet du stagiaire pour personnaliser les tâches et les conversations. Avec Charly, on a été dès le début obligés de sortir de nos petites routines d’enseignement. Charly ne cherche a priori pas à créer une ferme pour vendre des légumes. Non, lui, ce qui le motive, c’est d’apprendre le plus vite possible à jardiner pour se préparer à l’effondrement à venir. Faisant sienne une hypothèse collapsologique de courte échéance, il se dirige à grands pas vers une nouvelle manière d’appréhender son alimentation et celle de la communauté dans laquelle il vit : selon lui, il va falloir rapidement devenir autonome. Après un an de volontariat dans une autre ferme maraîchère de l’Allier, Charly décide de passer le pas et se lance dans une formation agricole avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir. Soyons justes, cette envie d’autonomie, elle anime tous les écologistes un tant soit peu décroissants. Retrouver la simplicité d’un semis de petits pois, d’un pain dans le four, d’un vêtement confectionné soi-même. Se débarrasser progressivement des artefacts de la techno-structure qui nous entoure pour redonner sens à nos existences déconnectées. Poser sur la nature un regard nouveau, émerveillé, humble, reconnaissant. Vous qui nous lisez, sans doute avez-vous déjà effectué une partie de ce chemin. Charly et ses amis y ajoutent simplement une urgence et une radicalité que je ne veux pas partager. Lâcheté ? Peut-être. Ou peut-être simplement que je refuse de travailler avec ce stress au dessus de ma tête. Deuxième point de surprise : Charly casse les codes que notre société nous a fait si bien intégrer. Il est par exemple capable de formuler une question de jardinage de telle sorte qu’elle sonne comme un énoncé de philosophie. Il exprime ses sentiments sans filtre aucun, et notamment sa joie d’être là, qu’il brandit comme l’étendard d’un monde nouveau. Et quand il est bien entouré, on peut même l’entendre chanter des chants indiens à plein poumons…
Le froid s’installe et il n’est pas de matins où l’onglée ne vienne mettre à mal notre détermination à mener à bien nos tâches du jour. Pourtant le travail avance. Les futures planches de courges sont intégralement paillées, les fraisiers continuent à être désherbés et on récolte une impressionnante quantité de légumes pour nos deux Amaps et pour le marché de Vichy. De son côté, Fabrice, mettant à profit ses formations de l’Afogc, poursuit son travail de comptabilité et ne désespère pas de pouvoir annoncer un jour fièrement être à jour de ses saisies. Pendant ce temps-là, les feuilles n’en finissent pas de tomber et je peux de nouveau photographier les oiseaux du jardin à travers les branchages. La semaine se termine donc héroïquement avec quelques clichés de Bruant Zizi, de linottes et de mésange bleue.
À la semaine prochaine !