Ami, prête l’oreille. Ne sens-tu pas quelque subtile modification de la trame du temps et de l’espace ? Quelque chose s’est produit. Une déflagration lente qui déferle par vagues dans nos petites existences maraîchères. La nouvelle se propage, d’abord doucement, comme un son qui aurait été émis par une corde trop ténue. Et soudain, tout le monde sait. Vendredi soir, alors que mon cœur bat d’un nouveau courage et que l’hiver prend subitement une dimension prospective, je reçois un message de David, notre ami-ex-stagiaire-collègue-maraîcher-du-Morvan : «est-ce que vous aussi vous savez ?». Et la réponse est oui. Car Jean, un autre ami-ex-stagiaire-futur-collègue-maraîcher, nous avait éventé la prophétie au printemps, à un moment où nous n’étions pas encore prêts à mesurer l’ampleur de la révélation. Avec Maxime, un ami-ex-saisonnier-futur-collègue-maraîcher, nous avions alors caressé délicatement l’ampleur des possibles que nous offrait ce nouvel agencement de l’univers et nos mains encore malhabiles avaient tremblé d’excitation. Ami, l’heure des hésitations n’est plus ; redresse la tête et, les pieds solidement posés sur ton sol (qu’on espère paillé, hein), laisse ton regard vagabonder sur tes planches de culture sénescentes et vois comme le futur s’y inscrit déjà, ourlant chaque contour végétal d’un fin liseré mordoré. Et ce futur porte un nom gourmand, semblant croquer la vie à pleines dents : Qrop.
C’est au sein de l’Atelier Paysan, sous la main inspirée d’un certain André Hoarau, qu’est né Qrop. Qrop, l’outil qui change tout, le logiciel qui nous manquait et qui ringardise nos schémas sur feuilles volantes, nos feuilles de calcul sur tableur ou toute autre tentative de dessiner son jardin dans le temps et dans l’espace. Faisons factuel (pour changer) et voyons ce que l’outil permet. Premièrement, on y saisit toutes les séries de légumes à mettre en place au cours de l’année. Pour chaque série, on renseigne des données temporelles (dates de semis, de plantation, de récolte) et des données spatiales (quelle surface, quelle densité). À partir de ces séries, le logiciel est capable de lister la quantité de semences nécessaires pour chaque légume. Je vous laisse imaginer le temps qu’on va gagner lors de nos commandes de graines… Ensuite, il permet de dessiner un parcellaire simplifié et d’y placer les séries de légumes sus-mentionnées. Si tout est bien renseigné, alors on peut rapidement anticiper de quelle manière les cultures peuvent se succéder sur une même planche, ce qui est intéressant notamment lorsqu’on doit planifier des implantations d’épinards derrière des cultures d’été (genre tomates). Enfin, il offre la possibilité de faire un suivi des récoltes et de calculer des rendements. Bon, nous, on n’en est pas là… Pour la première année d’utilisation, le travail est fastidieux : il faut tout renseigner. Mais ensuite, pour les années suivantes, il suffira de faire des copier-coller des séries de légumes et d’ajuster en fonction des retours du terrain. C’est presque trop beau pour être vrai. Et comme si ça ne suffisait pas, figurez-vous que Qrop est un logiciel libre, ce qui n’est pas pour déplaire au hacker qui sommeille en moi. Incidemment, ça signifie que son utilisation est gratuite – vous pouvez d’ors et déjà le télécharger sur la page idoine. Qu’on vous prévienne tout de même : Qrop est en cours de développement et il reste encore quelques menus problèmes à résoudre. À noter, il existe un chat d’entraide assez réactif, où on peut même discuter avec le concepteur du logiciel.
Il pleut. Ou il bruine. En tout cas, il fait un temps à ne pas mettre un Mi-Roux dehors. Alors, aux Grivauds, ça pantoufle dur. Fabrice dépouille méthodiquement les relevés de compte et notre cahier de caisse. Il ne sera pas dit que ses formations auprès de l’Afocg Allier auront été vaines : notre bilan comptable pourrait être prêt encore plus tôt qu’à l’époque où nous le faisions faire par le CerFrance. Et dans le bureau, c’est là que s’ourdit notre terrible plan pour conquérir le monde, ou du moins pour planifier nos cultures 2021. Céline, une stagiaire-future-collègue-maraîchère-mais-plutôt-dans-le-Beaujolais, déjà présentée sur ce blog, est solidement installée devant Qrop. Derrière elle, fiévreux de faire accoucher l’année qui vient, votre serviteur épluche frénétiquement son journal de bord : «alors, l’année dernière, on a semé les choux chinois en février mais ils n’avaient rien donné. On va les placer en mars, d’accord ?». Au final, toutes les séries de légumes à semer entre janvier et fin-mars sont saisies. Et la semaine peut se terminer sur notre première commande de graines pour 2021. Ne vous placez pas sur notre chemin, nous sommes inarrêtables désormais !
À la semaine prochaine !