Cette semaine, changement de rédacteur pour notre article de la semaine : c’est Yolande, de passage aux Grivauds pour deux semaines de wwoofing, qui s’y colle ! Sa formation universitaire en biologie et en écologie lui permet d’avoir un regard singulier sur notre ÉcoJardin. Alors, Yolande, explique nous pourquoi tu as eu envie de faire une pause dans tes études qui, semble-t-il, se passent plutôt bien pour toi ?
De la chaise à la terre, du bureau à la serre, des cahiers aux semis, du cartable à la cagette, de la théorie à la pratique ; les Grivauds sont pour moi synonymes du passage de l’abstrait au concret.
2 années de classe prépa bio + 1 année de L3 biologie santé + 1 année de master d’écologie = 4 années supplémentaires à étudier après le bac. De Grenoble à Cachan ou encore Orsay (sud de Paris), j’ai simplement changé de salles de classe, de professeurs, de noms religieusement donnés à des cours dispensés hors sol. Une formation riche, passionnante dans l’ensemble, mais bien loin de la vie réelle d’où sont pourtant issues toutes ces connaissances qu’on m’a transmises.
Connaissances docilement ingurgitées dans la perspective première, il faut l’avouer, d’être bêtement restituées aux examens. De ces années est progressivement né un sentiment de décalage, de manque de sens et de cohérence, une impression d’avancer sans but précis. Une année de pause s’imposait. Ainsi, poussée par une intense curiosité, une soif d’apprendre et de découvrir autre chose, j’ai décidé de consacrer un an de mes études en quête de moi même, de la vie que j’ai envie de mener, du monde dans lequel je veux vivre, de la société et du futur en lesquels j’ai espoir. Une année afin de me reconnecter à ce qui est pour moi essentiel et me fait vibrer, avancer. Une année pour prendre du recul, fonctionner différemment, aller à la recherche de l’autrement.
Une année lors de laquelle j’ai décidé de réaliser des expériences de bénévolat en écologie, principalement alpine, domaine qui, férue de montagne, me passionne. J’en profiterai pour me lancer dans mon projet de faire de la communication scientifique : médiation, sensibilisation et éducation à la nature et à l’environnement. Je réaliserai aussi des wwoofings en parallèle. Ils alimenteront ce projet avec un volet axé sur l’agriculture et ses produits. Ces wwoofings ont avant tout pour objectif d’aller à la rencontre de ceux qui cultivent le sol et que j’admire profondément et d’apprendre comment se nourrir à partir de la terre. Cette compétence si élémentaire est pourtant de nos jours réservée aux agriculteurs au sens large du terme. Je trouve cela aberrant que le système scolaire n’inclut pas un apprentissage des bases de jardinage. De manière générale, apprendre à me servir de mes dix doigts au quotidien me tient également à cœur car l’école n’apprend pas non plus à cuisiner, coudre ni à se servir de son sens pratique et manuel. Enfin, les hôtes que j’ai choisis ont fait un pas plus ou moins grand vers la décroissance, avec des modes de vie simples et proches de la nature que j’aimerais expérimenter. Mais il est facile de rêver sans jamais rien entreprendre, place à l’action!
Ainsi ai-je atterri à l‘Écojardin des Grivauds, mon premier Wwoofing. Ce lieu a été créé en 2011 par Fabrice qui vit sur place et qui m’accueille. Je suis logée dans une chouette caravane aménagée tout près des serres et des légumes (peut être une stratégie afin de maximiser les chances que je sois opérationnelle le plus tôt possible…).
Dès mon arrivée, le décalage entre la nature et les savoirs que j’ai assimilés me saute aux yeux. Le premier jour, en compagnie de Denis je me remémore tant bien que mal mes cours de botanique lors desquels j’ai appris à réaliser des dissections et présentations florales (schéma d’une dissection organisée), du vocabulaire mais aussi à reconnaître les principales familles d’angiospermes (les plantes faisant des fleurs) à l’aide de quelques caractéristiques clés. C’est cette dernière compétence que j’essaie d’appliquer dans le monde réel. Je parviens à attribuer à quelques plantes leurs familles mais mes critères sont souvent insuffisants. D’autres critères se révèlent être évidents sur le terrain mais il ne m’ont pas été appris. Ainsi les Lamiacées par exemple, (famille de la sauge, de la lavande ou encore du thym) possèdent souvent une tige carrée. Cependant des individus d’autres familles partagent ce caractère, il n’est donc pas un indicateur suffisant. Denis m’apprend alors que ces plantes possèdent souvent des organes odorants : feuilles, tiges, fleurs. Cette particularité que je connaissais pas est bien plus immédiate pour les reconnaître mais… à condition d’être au contact des plantes ! Les livres sont certes bientôt numériques mais pas encore connectés à notre sens olfactif… Denis est calé en identification florale. Il connait très bien les plantes qui l’entourent et pas que celles cultivées ou liées aux cultures. Fabrice a contribué à ce savoir notamment en lui transmettant ses connaissances de naturaliste à propos des plantes sauvages.
Avec Denis nous formons un binôme très complémentaire, il a l’expérience du terrain et j’ai les explications théoriques de certains phénomènes et le vocabulaire pour nommer et décrire les végétaux (morphologie, anatomie). J’étais ravie de pouvoir lui indiquer que les pétales qu’il remarque à l’extrémité du concombre à chaque fois qu’il en cueille un, sont un indicateur de position de l’ovaire.
Observez, les restes de pétales sont à l’extrémité la plus éloignée du plant. Cette position indique que le fruit s’est développé sous le réceptacle floral (zone portant les pétales), ainsi l’ovaire qui s’est transformé en concombre était situé sous la fleur.
La présence de ces restes de fleur indique que les concombres sont jeunes. Ils se sont développés récemment, les pétales sont tout juste fanés (fraicheur, croquant et douceur garanties lors de leur dégustation!).
Le fruit est en effet le résultat de la transformation de l’ovaire (partie du pistil, organe reproducteur femelle) après fécondation. Les graines du concombre sont elles issues des ovules, les gamètes ou cellules reproductrices femelles.
L’ovaire est dans ce cas dit infère (en dessous de). Vous l’aurez deviné, à l’inverse un ovaire supère sera situé au dessus du niveau d’implantation des pétales. C’est le cas de la tomate, de la famille des Solanacées. Remarquez en effet les restes de sépales (organes positionnés sous les pétales et verts le plus souvent) au sommet de la tomate. Cette fois les restes de fleur sont sur la partie du fruit la plus proche du plant.
D’autres récoltes peuvent aussi être agrémentées de petites touches de biologie végétale. Ainsi Denis sait maintenant que les feuilles des oignons se nomment tuniques. Connaître ce terme est purement informatif et totalement inutile dans la pratique ; n’aidant absolument pas à savoir quand planter ou ramasser l’oignon, ni quelles conditions physicochimiques ou météorologiques sont favorables à son bon développement. Il révèle l’obsession humaine de tout nommer. Il aurait été plus profitable que je sache la raison de la mauvaise productivité des plants cette année ! Cependant il est possible d’aller au delà du vocabulaire et de chercher ce qu’il désigne afin de lui donner du sens. En effet les organes qu’il décrit sont particuliers et les étudier permet de comprendre leur rôle et pourquoi cette architecture de l’oignon a été sélectionnée positivement lors de l’évolution. Les tuniques sont des feuilles transformées, adaptées au rôle d’organe de stockage de l’oignon. Elles sont desséchées à l’extérieur, leur accumulation par couches concentriques joue un rôle protecteur contre le froid notamment. Les tuniques charnues d’épaisseur croissantes en allant vers le centre, sont situées à l’intérieur. Elles contiennent des réserves pour le développement du futur individu ayant lieu à la fin de l’hiver. Cette plantule est sous forme d’embryon avant qu’elle ne germe et que vous puissiez la voir. C’est cette petite pousse verte au centre de votre oignon lorsqu’il n’est plus de première jeunesse et qu’il croit qu’il doit vite faire une pousse pour repartir au printemps!
Denis à son tour au fil des plantations attire mon attention sur des caractéristiques ou des états anormaux de plantes. Je les ignorais totalement mais en essayant de les rattacher à ce que je sais je peux retrouver l’explication au niveau cellulaire grâce à mes cours d’histologie ou même au niveau moléculaire parfois ! Je peux aussi toucher et observer en détail les maladies provoquées par différents pathogènes ou nuisibles. Je connaissais pour certaines par cœur les modes d’attaque du végétal en ayant à peine une idée des conséquences sur le feuillage, les racines, les rendements. J’étais capable de décrire les mécanismes de défense de la plante sans savoir s’ils étaient efficaces, leurs coûts pour la plante ni comment les repérer.
Ce partage de connaissances est magique. Je découvre comment se manifestent à l’échelle macroscopique (du visible) des processus étudiés et comment les détecter. Je fais des liens entre des descriptions lues et la plante sous mon nez ou encore entre les agencements cellulaires, les échanges moléculaires et leurs implications dans les champs.
Il est tellement plus facile et ludique d’apprendre en pratiquant. Je réveille l’enfant au fond de moi, toute fière de voir qu’elle connaît un peu des choses et qui a envie d’en apprendre encore bien d’autres! Et pour ça je peux compter sur Denis et Fabrice et à toute la vie qui s’épanouit sur leurs terres!
Yolande