Ah 2020 ! Quelle année incroyable ! De mémoire de maraîcher, je n’avais encore jamais connu d’année aussi riche, aussi folle ! Quand je repense à son intensité, mon cœur se gonfle et un chant immense, tellurique, enfle dans ma poitrine. Mes bras s’écartent, mes pieds s’enracinent et tout mon corps se prépare à lancer un impétueux «Freude, schöner Götterfunker» (Joie, belle étincelle divine) à la face d’un ciel pourtant peu clément. Je sens bien que vous allez m’en faire le reproche : j’ai tort de sans cesse ressasser la saison passée et il est temps de passer à la suite des choses. Oh ! Ne vous inquiétez pas : 2021 va se mettre tranquillement en place dans notre ÉcoJardin. En témoigne le nombre d’heures que nous passons devant Qrop… N’empêche, vous ne m’empêcherez pas de battre frénétiquement la mesure au moindre rayon de soleil, comme pour rejouer encore et encore la Symphonie Eroica (Héroïque). Car, vous l’avez compris, 2020, ça restera pour moi (comme pour vous j’imagine), l’année Beethoven.
Je ne vous l’apprends pas, on a fêté l’année dernière les 250 ans de la naissance de ce démiurge allemand. Beethoven, c’est l’auteur notamment de la Symphonie Pastorale, dans laquelle l’orchestre se prend à imiter les sons de la Nature : le vent, le ruisseau, l’orage et les chants d’oiseaux. Citons Anton Schindler, qui racontait ainsi un retour de promenade avec l’ami Ludwig : «Beethoven s’arrêta plusieurs fois, promena son regard enchanté et respira l’air embaumé de cette délicieuse vallée. Puis s’asseyant près d’un ormeau, il me demanda si, parmi les chants d’oiseaux, j’entendais celui du loriot! Comme le silence absolu régnait, dans ce moment, autour de nous, il m’apprit que la scène du torrent fut écrite dans cet endroit, et que les loriots, les cailles, les rossignols, ainsi que les coucous, étaient ses collaborateurs!». Pas étonnant que Fabrice se goberge de musique romantique allemande à longueur de journée… Il faut le voir traverser le jardin en sifflotant des extraits de la Missa Solemnis. De mon côté, je me console en me disant qu’il y a tout de même de grandes choses à attendre de 2021. Et en particulier, je me réjouis du fait que cette date coïncide précisément avec … les cent ans de la mort de Camille Saint-Saëns ! Vous savez, le compositeur du Carnaval des Animaux. Ou de l’opéra Samson et Dalila, où l’héroïne séduit traîtreusement son bel amant chevelu en lui murmurant : «Mon cœur s’ouvre à ta voix, comme s’ouvrent les fleurs / Au baiser de l’aurore». Notez qu’à l’époque, on savait déjà écrire de très mauvaises paroles de chanson ; rassurant n’est-ce pas ? Tiens, et puisque vous me le demandez, voici deux petites pièces pour découvrir un échantillon du talent du grand Camille : Calme des nuits (pour chœur a cappella) et le Rondo Cappricioso (pour violon et orchestre).
Bon, et sinon, à part écouter en boucle les sonates de Beethov’ et les concertos de Saint-Saëns, on fait quoi aux Grivauds en hiver ? Plein de belles choses, on vous rassure ! Nos plans de culture avancent à grands pas : celui des serres est terminé pour la saison (toutes les plantations de printemps et d’été sont placées !) et celui du plein champ est déjà très avancé. Les oignons, les petits pois et toutes les cultures de printemps (jusqu’à juin environ) sont placées. En serre, de petits désherbages nous permettent de préparer la prochaine plantation de mâche (serre 1) et le prochain semis de radis (serre 4). L’arrivée d’une vague de froid un peu sérieuse nous oblige à vidanger notre système d’irrigation, histoire d’éviter que nos équipements ne se fendent sous l’action du gel (ça s’est déjà vu !). Et une bonne partie de la période est consacrée à l’entretien des haies et des zones longeant les serres. Par exemple, on est prêts maintenant à recevoir du compost et du BRF : on a désormais une place prévue pour ça à l’entrée du champ. Mentionnons le retour de Céline cette semaine. Ses progrès en reconnaissance de plantes sauvages sont spectaculaires ! Et notez qu’elle apprend à les reconnaître à un moment très précoce, où les fleurs ne sont pas encore visibles, ce qui est très méritoire !
Tiens, détaillons notre façon d’entretenir nos haies. Deux cas de figure. Si la haie a été taillée récemment (par exemple l’année dernière), une simple paire de cisailles permet de faire tomber les rameaux de l’année. Dans le cas contraire, il y aura un peu plus de travail. D’abord, on place une série de repères à environ deux mètres du centre de la haie pour couper tout ce qui dépasse. On est sûrs de cette manière d’avoir une haie de quatre mètres de large, ce qui commence à avoir du sens d’un point de vue écologique. Relire à ce sujet l’excellent article de Fabrice ! Ensuite, on élague toutes les grosses branches, soit à la scie, soit au sécateur coupe-branches. Et on termine à la cisaille. Que faire des résidus d’élagage ? Le premier qui répond «on les dépose à la déchetterie» a le droit à un gage. Non mais soyons sérieux deux minutes ! Si c’est très fin (ronce, branches de l’année), on pousse du pied dans la haie, ni vu ni connu. Un peu comme vous faites chez vous avec les miettes dans la cuisine (Ah bon ? Il n’y aurait donc que moi qui fasse ça ? Bande d’hypocrites !). Ou alors, on broie le tout sur place. De toute façon, en général, un passage de notre fantastique broyeur à couteaux s’impose, ne serait-ce que pour gérer les drageons de prunelliers. Si les branches sont de grosse section et si elles sont nombreuses, alors on les met en tas. Mais on fait un tas sérieux, hein ! On découpe finement les branches et on tasse bien (pas directement avec le pied : c’est une très mauvaise idée avec l’Épine noire… ; on place une planche en bois sur le tas et on monte dessus). On monte, on monte, on monte, jusqu’à avoir un bon gros tas ; genre au moins un mètre de hauteur pour deux mètres de rayon. L’idée, c’est que le tas doit pouvoir héberger de petits mammifères comme des hérissons ou des belettes et tout plein d’insectes. De maintenir tout ce petit monde à l’abri du gel. Et de les protéger de leurs prédateurs (renards, chiens, chats, etc.) ; c’est d’ailleurs pour cela que le tas doit être compact.
Le jardinier standard, à la lecture du précédent paragraphe, devrait déjà être plus ou moins en PLS. Quoi ? Vous taillez tout à la main ? Plusieurs centaines de mètres de haie sans moteur ? Oui, et en plus on en est fiers. On passera sur l’économie de pétrole engendrée. Ou sur le fait que le maraîcher brûle ainsi les graisses qu’il a accumulées pendant ses longues vacances d’hiver. Plus sérieusement, on apprécie énormément de pouvoir travailler dans le silence, de pouvoir entendre la mésange charbonnière commenter notre travail ou le rouge-gorge venir voir s’il n’y aurait pas quelques insectes à glaner sur les branchages extraits de la haie. On progresse lentement, nez-à-nez avec nos arbustes. Une façon pour nous, à nouveau, d’éviter que la matière végétale ne devienne anonyme. On s’amuse à identifier les espèces (épines noires, aubépine, chêne, fusain, charme, noisetier, etc.). On repère les maladies. On essaie de mettre en rapport la vigueur de certaines zones avec des conditions pédologiques particulières, en observant notamment la flore sauvage de la prairie qui jouxte la portion de haie en question. On repère les pucerons d’hiver sur certaines feuilles de ronce. Et on repère les nids de l’année… Tout ça rend l’exercice beaucoup moins abrutissant qu’il n’y parait, non ?
Bon, c’est pas tout, mais j’avais prévu de me réécouter tous les quatuors de Beethoven ce week-end alors je vous laisse !
À la semaine prochaine