C’est le propre de chaque nouvelle génération de chercher sa place dans le monde tel qu’il a été construit. De le bousculer, de le contester et de rêver de jours heureux. Mais avoir vingt ou trente ans de nos jours, ça prend un tout autre sens. C’est être plongé·e d’emblée dans un monde en crise, dans lequel tout est à reconstruire, où toutes les problématiques sont urgentes – écologiques, sociales, sociétales, sanitaires -, où on est formé·e par la génération précédente, qui n’a su régler aucun problème mais qui aimerait que ça bouge le moins possible. C’est ainsi qu’on croise aux Grivauds quantité de wwoofeur·euses et de stagiaires plus ou moins en rupture avec leurs études, des doutes plein la tête, tiraillé·es entre des injonctions de normalité (finis tes études, valorise tes diplômes, entre dans l’emploi) et l’envie de faire un pas de côté. Faire un pas de côté, ça commence par aller voir ailleurs, par voyager, par aller à la rencontre de celleux qui ont déjà les mains dans le cambouis, en train d’essayer de réparer la planète à petits coups de permaculture, de bonne volonté et de sobriété. Et tant qu’on n’a pas trouvé de réponses face à l’éternelle question «que faire ?» on continue à vadrouiller, à poser ses valises de ferme en ferme, d’éco-lieu en éco-village. Salomé, notre stagiaire-wwoofeuse de la semaine en est à ce stade-là. Des études supérieures de socio, quelques expériences professionnelles à droite à gauche, elle sent que ça ne va pas être facile de se fixer sur un projet qui lui convient. Et elle est loin d’être la première à nous confier cette impression de ne pas avoir encore trouvé de sens à ce début d’existence erratique.
Les parcours de vie sont devenus extrêmement hétérogènes. Tout aussi hétérogènes sont les pratiques et les modes de vie rencontrés au sein du petit monde des maraîchers·ères. Nos petites mains nous racontent cette diversité et Fabrice profite des visites de ferme organisées par la Frab pour ramener aux Grivauds les bonnes idées glanées ici et là. Immanquablement, je pose toujours les mêmes questions. Quel degré de mécanisation ? Quel travail du sol ? Quelle relation à la biodiversité ? Quels objectifs financiers ? Quel volume horaire ? Quel stress au travail ? Chacun se positionne par rapport à ses besoins, ses envies, ses contraintes, ses compétences. Et ça forme une mosaïque d’approches qui font qu’aucune ferme maraîchère ne ressemble aux autres. Au sortir de cette année difficile, aux Grivauds aussi on se cherche un peu. Des problématiques nouvelles ont émergées, comme la saturation en eau des sols de nos serres par temps humide ou la perte de fertilité de certaines zones du champ. Chercher, inventer, réinventer en permanence, il semblerait qu’aucun parcours réellement écologique ne permette le repos. Et c’est tant mieux. Après tout, c’est ça aussi être vivant. Se perdre sans cesse, se retrouver parfois, (se) chercher toujours.
Preuve qu’on est mobiles aux Grivauds, on a pris la décision de déplacer certaines des planches de culture vers l’Est, en empiétant sur le parc des ânes. Quatre nouvelles planches vont y être créées pour héberger les courges 2022. Redémarrer sur de la prairie et semer des engrais verts dans nos planches les moins performantes, c’est une de nos réponses à la baisse de performance de la partie Ouest de notre champ. De nombreuses planches seront bâchées avant l’hiver. Car, oui, nous connaissons déjà nos besoins de «planches propres» pour l’année prochaine. On a pris un petit temps devant Qrop [1]notre logiciel de planification libre et gratuit et on a préparé l’assolement pour la saison à venir. Tout est prêt pour redémarrer sur de bonnes bases. Promis, pour l’année prochaine, tout sera fait pour que notre production soit un feu d’artifice de légumes !
Cette semaine, je cède la plume à Hélène, une wwoofeuse que vous avez vue plusieurs fois cette année. Hélène chante mais, surtout, elle écoute. Et il semblerait qu’elle ait entendu une musique très singulière se dégager de nos travaux agricoles.
Introduction
Dans la grande famille des maraîcher·e·s, certain·e·s ont la fibre musicale. Vous n’êtes pas sans savoir que Denis et Fabrice sont eux-mêmes musiciens [1]Si vous ne vous en souveniez pas, alors on vous aide un peu : Maraîchers musiciens. Vous me connaissez peut-être en tant que petite main récidiviste des Grivauds, mais je suis aussi membre d’une troupe de chanteur·euse·s. Mes quelques passages en jungle Bourbonnaise m’ont inspiré un parallèle entre mes deux passions que sont le maraîchage et la musique.
L’histoire a déjà marié les deux domaines. D’abord parce que fût un temps, l’agriculture faisait partie intégrante du quotidien qui était ensuite mis en chansons. Mais aussi parce que la musique a longtemps accompagné les travaux besogneux, que ce soit pour se donner de l’entrain, par ritualisation, pour échapper à la monotonie, pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail, ou faire union dans la tâche fastidieuse…
Si le SPMG, le Syndicat des Petites Mains des Grivauds, aurait tout à fait pu être à l’initiative de chants revendiquant plus de glace à la pause du goûter, ou pour menacer les tyranniques Fabrice et Denis d’une grève, ce n’est pas ce genre de musique que l’on retrouve aux Grivauds. Pas de chant de labour ni de chant de moisson : les chants MSV n’ont à ce jour pas encore été composés.
Toutefois, pour le simple plaisir de jouer ensemble, on a déjà pu entendre des plantations mélodieuses et des désherbages en canon. Le cadre intimiste d’une serre et l’environnement chaleureux de la paille a déjà fait pousser des envies de chanter chez quelques petites mains passées par là…
D’une manière plus pragmatique, les chants de travail peuvent faciliter la coordination, synchroniser les mouvements d’une équipe et lui permettre de garder le rythme, mesurer le temps. Ainsi, même si le travail aux Grivauds paraît peu sonore, on peut quand même chanter en s’accompagnant rythmiquement des outils [2]Je vous conseille un excellent reportage au sujet du rythme dont je m’inspire énormément dans cet article : FOLI (there is no movement without rhythm) original version by Thomas Roebers and … Continue reading, du bruit des moteurs, des oiseaux, de la pluie sur les serres, des clic des clips à tomates, des clac du sécateur, des tchak des caisses qu’on ouvre, qu’on ferme, qu’on emboîte et qu’on empile, des brouettes qui grincent, d’une main qui plonge dans le seau de granulés de compost, des voix qui discutent, qui bourdonnent, qui rient, de la paille qui se délite…. ou du silence. Quelqu’un a dit : « il y a beaucoup à entendre dans un jardin, pour peu qu’on y prête l’oreille » [3]Eh oui, que voulez-vous, je ne fais que recycler les sujets des années précédentes : Le chant des jardins
Bon, soit, on peut jouer de la musique en maraîchant. Je ne vous apprends rien. Oui mais moi, ce dont j’ai envie de parler dans cet article, c’est du rythme.
L’activité
Qui dit rythme, dit répétition. De la répétitivité naît la pulsation. Ainsi, plier les toiles tissées en accordéon s’apparente à une sorte de danse rythmique, les plantations de mâches à une chorégraphie fiévreuse et les ballets de brouettes qui se gonflent et se dégonflent de paille ont le tempo d’une lente respiration. Il faut voire le swing de la chaîne humaine qui remplit le camion des caisses pour le marché avec fluidité… Le cutter vient inlassablement trancher la bâche de sa lame brûlante à la même fréquence. En face à face, un duo pose des arceaux avec un balancement qui semble se poser sur le tic-tac d’un métronome. Plus loin le semeur fou projette le grain à la cadence de ses pas. Et quand j’ouvre les serres, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer un système de boite à musique reliée à la manivelle qui tourne, qui tourne, qui tourne…
Normalement, les agriculteur·ice·s courent la journée durant. Ici, aux Grivauds, on trotte plus qu’on ne galope : il y a un rythme à la fois très dynamique et souple. On choisit de faire les choses bien, parfois méticuleusement, mais jamais avec mollesse. Il faut parfois apprivoiser son outil, comme on le fait pour jouer d’un instrument et les plus expérimenté.e.s sont souvent les plus véloces : Fabrice est connu pour planter une moyenne de 400 poireaux à l’heure… avec un simple plantoir conique… ça vous en bouche un coin. Ceci-dit, comme c’est aussi un lieu de formation, il est courant d’observer de grandes différences de vitesse – donc de tempo – d’une personne à une autre. La polyrythmie [4]Quoi de mieux que Piano Phase de Steve Reich pour imager la désynchronisation : https://www.youtube.com/watch?v=Jqoieg0Vqag vient alors enrichir notre production musicale collective. Quoique souvent, les un·e·s se mettent au diapason des autres.
Quand on travaille manuellement, comme c’est le cas aux Grivauds, on peut essayer de gagner du temps en ayant un rythme soutenu. Mais surtout, viser une ergonomie du geste, épurer les mouvements inutiles pour éviter de s’épuiser et avant tout : avoir une bonne organisation. On se répartit alors les tâches en se donnant des rôles, comme les membres d’un orchestre : je dispose, tu plantes, elle arrose.
La journée
Alors élancé·e·s dans le mouvement incessant, une respiration à heure fixe vient interrompre le geste des maraîcher·e·s en pleine vibration. Une pause comme soupir… silence… Sur le temps du midi, on s’autorise parfois une sieste dans la paille.
Les horaires sont importants : ce sont eux qui assurent la ritualisation des journées. Décaler une pause, c’est prendre le risque de déstructurer la journée entière. Alors on est parfois contraints de s’arrêter au milieu d’une tâche qu’on terminera plus tard.
Mais la plupart du temps, c’est simplement la fin d’une activité rondement menée qui nous pousse à passer à la tâche suivante.
Rarement, la fanfare va diminuendo, la motivation qui s’affaisse lui fait faire quelques syncopes. Transpirant sous la chaleur, le chœur a baissé d’un demi-ton. C’est signe qu’il faut passer à un autre thème. Mais aussi que le morceau est trop long et qu’on a abusé de la répétitivité : voilà une activité mal composée ! Comme toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser… Un refrain trop entêtant, c’est lassant. Ou pire : ça peut être douloureux.
Et souvent, comme un contretemps dans la pulsation, une plante ou un insecte attirent notre attention, on s’autorise à les prendre en photo, puis à caresser un chat qui passait par là.
Les tâches se succèdent et s’enchaînent, s’alternent, comme les couplets d’une chanson…
Un bon enchaînement demande un peu d’orchestration et de planification. Il y a les tâches qu’on ne peut faire qu’à un moment de la journée : on travaille en serre s’il pleut, on récolte les feuilles à la fraîche, on asperse les serres de tomates le matin des journées chaudes, il faut avoir le temps d’arroser et de voiler ce qu’on vient de planter ou de semer… Et on intercale les séances de désherbage dans tout cela. Parfois, la météo vient totalement bousculer le rythme de la journée.
Il y a des tâches quotidiennes, qui reviennent comme un refrain, et qui sont elles aussi source de répétitivité : c’est « la routine ». En langage musical, on appelle cela un ostinato ou bien un bourdon. Ainsi, en hiver, après avoir ouvert toutes les vannes par anticipation du gel, on protège les cultures sous les voiles qu’on enlèvera dès l’aube pour les reposer le soir tombant… Aux intersaisons, le théâtre d’ouverture et de fermeture des serres peut se jouer plusieurs fois par jour, comme un levé de rideaux… En été, on irrigue tous les jours et on se fait sans cesse rappeler à l’ordre par les alarmes des minuteurs qui nous permettent de suivre la cadence des irrigations… Et puis, dans le même temps, il y a les récoltes des courgettes, des concombres et des tomates (vous savez, quand « ça tombe »). Les doryphores à aller ramasser…
La récolte des légumes feuille demande une attention particulière. Les plantes elles-aussi suivent un rythme nycthémère (d’une durée de 24h) que l’on se doit de respecter. Au cours d’une journée, on peut voir s’enchaîner les phénomènes de guttation, de turgescence, de stress hydrique. Ainsi, on récolte les salades ou les épinards après le dégel, mais avant qu’il ne fasse trop chaud et qu’elles aient perdu leur vigueur.
De manière générale, l’agriculteur·ice est forcé.e d’avancer au rythme que nous imposent les plantes qu’iel regarde germer, pousser, fleurir, mûrir… Le soleil donne l’accord, mais on attend l’entrée du végétal pour introduire la danse… Parfois, on attend longtemps : «Pourquoi les haricots ne poussent toujours pas ?» – «Il fait trop froid…».
La semaine
Voilà un cycle plus lent : celui de la semaine, la marche hebdomadaire… C’est sûr, tout de suite, c’est moins percussif, mais c’est toujours rythmique, tant que les tâches sont régulières, récurrentes.
Il y a les récoltes qu’on ne fait qu’une fois par semaine, le mercredi, pour l’AMAP, ou le vendredi, la veille du marché…
Le marché, c’est un sacré événement chaque semaine. En fait, pour moi, le marché, c’est un peu comme un concert. On s’y prépare plusieurs jours à l’avance. Plus on se rapproche de l’heure du début et plus la battue s’accélère parce que l’on doit être prêts à temps. On se lève très tôt, parfois on prend le temps de sortir de beaux habits, qu’on ne porte pas dans les champs. On part en tournée avec notre véhicule chargé à bloc. J’adore arriver très tôt, bien avant les premiers rayons et les premier.e.s client.e.s : c’est le monde des coulisses… On prépare notre stand, en disposant les panières dans la meilleure des scénographies… Les premières fois, on a le trac, on n’ose pas… Puis on se lance sous les projecteurs… Et on y prend goût. Tous les gestes sont très codés, très rythmés. On court à toute vitesse dans une danse à la balance pour servir les client·e·s. On confronte notre travail au public, qui applaudira plus ou moins. C’est un moment lourd de sens : on achève là notre rôle dans le cycle de la fourche à la fourchette, on touche à la finalité de notre travail… Et on en repart chargé·e·s de fatigue mêlée d’une certaine euphorie. C’est comme ça qu’on gagne notre vie : pas beaucoup mais suffisamment pour être heureux.
Une activité hebdomadaire propre aux Grivauds, c’est d’écrire un article. Toute la semaine, on a pris des photos et on va clôturer la semaine en relevant les points forts, les particularités de ce cycle à 7 jours.
En début ou en fin de semaine, de nombreux·ses agriculteur·ice·s font un « tour du propriétaire » en parcourant toutes les planches de culture et en notant les tâches à faire urgemment. Il y a des choses que l’on sait (il faut que j’installe une planche de carottes). D’autres non… Planifier, c’est une sorte d’accord très riche : prévoir, oser les hypothèses, anticiper, parier, décider, acter. Et à la fin c’est plus ou moins juste… C’est la part jazz de l’agriculture, soit l’art de l’improvisation : une grande maîtrise des variables, une technicité solide, de la souplesse et surtout une belle intuition qui s’appuie sur une lecture fine et sensitive de son environnement.
Une activité peut être quotidienne pendant plusieurs semaines puis on passera à autre chose… La liste des choses à faire suit le crescendo du printemps : on se voit obligés de reporter à la semaine suivante… On a l’impression d’avancer au galop, de courir après le temps… A-t-on perdu la battue ? Puis des tâches quotidiennes s’espacent pour redevenir hebdomadaires…
La saison
Vous l’aurez compris, il reste à faire un dernier pas en arrière afin d’avoir un plan d’ensemble sur la rythmique agricole : il nous manque le deuxième cycle solaire [5]Quand j’évoque les cycles en musique, je pense tout de suite à la musique javanaise et notamment auGamelan, un instrument incroyable dont les partitions sont interprétées de façon … Continue reading, celui de l’année. Il se décompose en 4 grands mouvements [6]Vivaldi n’a probablement pas été le seul à s’inspirer des 4 saisons… J’en profite pour vous renvoyer à un troisième et dernier article qui évoque la symphonie pastorale … Continue reading que sont les saisons, et nous venons justement de rentrer en automne !
Dans chaque saison, il y a des temps forts assez symboliques : les premières asperges, les premières fraises et les premières tomates… Et ça a un côté assez merveilleux : rappelez-vous ce que c’est d’être en plein hiver et de devoir attendre pour goûter à nouveau au melon… La saison du petit pois est si courte qu’on ne peut pas s’empêcher de le trouver précieux. On a attendu un an pour le retrouver, rangé dans son petit coffre… Quand j’étais petite, on allait en famille à la fête de la courge qui avait lieu chaque année à la même date : la récolte de ces fruits généreux a un côté très festif et ludique, ça sent l’automne et ses citrouilles décorées…
Il y a d’autres événements que vous connaissez moins mais qui restent majeurs pour les agriculteur·ice·s. Les premières plantations dans les serres, puis en plein champs quand les sols sont suffisamment chauds (mars pour des oignons, avril pour la salade). La première gelée qui marque la fin des courgettes… Et puis, il y a tous les météores, qu’on attend ou auxquels on espère échapper : la grêle, la neige, les grands orages, les canicules, les pluies diluviennes… En MSV, on peut encore noter une autre périodicité : celle de la fertilité. C’est au printemps et à l’automne que les vers de terre sont pleinement actifs, et la minéralisation ne peut s’effectuer que par temps chaud…
Tous ces marqueurs agricoles sont synchronisés à ceux, plus discrets, de la nature environnante : l’arrivée des insectes, la floraison des vulpins sur les bords des chemins, une fumeterre qui fleurit dans une serre, les vols migrateurs annonciateurs des beaux jours, quand ce ne sont pas les grues qui présagent le froid…
On ne peut pas s’empêcher de comparer leur venue, leur durée, leur retard, leurs résultats par rapport à ceux de l’année précédente. Toutes les années se ressemblent mais chaque année est fondamentalement singulière… Comme on ne rejouerait pas une symphonie deux fois de la même manière. Même si le climat reste le même, la météo est une loterie imprévisible avec laquelle il faut savoir jongler. L’inconstance du temps, c’est comme garder la même mélodie tout en changeant l’harmonie et les nuances.
Chaque saison a son tempo, ses couleurs, ses mélodies, ses instruments qui lui sont propres… Bon, d’accord, j’avais dit que je parlerais de rythme et je me suis un peu étalée, c’est vrai mais [insérez une excuse bidon].
Les horaires, aussi ritualisant soient-ils, sont dictés par le soleil : ainsi on se lève plus tôt les jours de canicule pour travailler à la fraîche et les journées sont plus courtes en hiver qu’en été. On ne peut pas maraîcher sans soleil, c’est ainsi. Et tant mieux, parce que, tout comme la saison culturelle se joue en été, l’hiver est propice au repos et à la maturation de nouveaux projets.
Finalement, il y a mille et une façons de faire du maraîchage et autant de philosophies ou de raisons qui poussent à cultiver des légumes… Parmi les miennes, il y a la connexion à la saisonnalité, les rituels qui font converger / rassemblent l’effort collectif, le « faux-silence » des champs non motorisés… Mais bon, c’est surtout parce que j’aime bien déclipser les tomates en rythme.
J’espère que mon article vous apportera un autre son de cloche sur ce blog. Peut-être qu’il fera écho aux rythmiques qui vous entourent, tous les jours. A votre tour, ouvrez grand vos oreilles et écoutez attentivement… Vous entendez ?
Hélène André
Ci-dessous, quelques photos prises cette semaine :
Je vous conseille un excellent reportage au sujet du rythme dont je m’inspire énormément dans cet article : FOLI (there is no movement without rhythm) original version by Thomas Roebers and Floris Leeuwenberg : https://www.youtube.com/watch?v=lVPLIuBy9CY
Quand j’évoque les cycles en musique, je pense tout de suite à la musique javanaise et notamment au Gamelan, un instrument incroyable dont les partitions sont interprétées de façon circulaire… Chaque cycle commence par le gong. (Voir photo)
Vivaldi n’a probablement pas été le seul à s’inspirer des 4 saisons… J’en profite pour vous renvoyer à un troisième et dernier article qui évoque la symphonie pastorale de Beethoven : «… comme s’ouvrent les fleurs»
Ça y est, aux Grivauds, la saison 2022 a commencé ! Peut-être qu’on a besoin de s’y prendre très en avance pour avoir l’impression d’être déjà en train de tourner la page de la saison 2021, l’une des plus difficiles qu’on ait connues jusqu’à présent. Peut-être qu’on a fini par comprendre, aussi, qu’un certain nombre de choses se jouaient maintenant. Par exemple, passé le 1er octobre, c’est très difficile de semer un engrais vert. Et une toile tissée qui n’est pas mise en place avant fin-septembre a peu de chance de réussir à éliminer de la potentille avant mai. Jusqu’à présent, faute de disposer d’un plan d’ensemble suffisamment tôt, on procédait toujours un peu au jugé : «là, ça pourrait être des oignons, là des choux, là des courges, etc.». Et ensuite, au cours de l’hiver, on préparait notre assolement en tenant compte de ces décisions prises parfois entre la poire et le fromage. Cette année, on procède avec anticipation et avec méthode. Premièrement, on fait le point sur les problématiques propres à chaque planche (enherbement, état du paillage, performance agronomique, etc.). Ensuite, on fait l’inventaire de nos toiles tissées. On les rassemble et on en fait un tas à l’entrée du champ. La semaine prochaine, on préparera une ébauche de plan de culture dans Qrop pour connaître avec précision nos besoins. En particulier, il y a une zone de notre champ qu’on a envie de «rebooster» un peu : celle qui est la plus proche de la route. Au programme : un engrais vert sur tout 2022 pour remonter le taux de matière organique et retrouver une bonne fertilité. Du coup, ça signifie qu’il nous faudra sans doute ouvrir de nouvelles planches dans le parc des ânes. Combien ? C’est ce qu’il faut qu’on réussisse à estimer.
«Je ne comprends pas pourquoi la deuxième série d’épinards n’est pas semée» ai-je demandé à Fabrice. Qui m’a gentiment rappelé qu’on avait l’habitude de semer les épinards fin-septembre, pas avant. Ceux qu’on vient d’installer en serre 5, c’est une petite série précoce d’inter-saison, histoire de patienter avant le contingent hivernal. Comme cette année on est plutôt à l’heure sur les installations de légumes d’automne, je me sens déboussolé de ne planter « que » 3 caisses de salades et 2 caisses de persil cette semaine. Et j’ai l’impression qu’on devrait déjà être en train de planter des mâches et des épinards à tour de bras. Détends-toi Denis et profitons de cette avance pour planifier la prochaine saison. Et décider, par exemple, de ce qu’on va faire de nos fraisiers sous serre. Désherbage ? Déplacement ?
À la manœuvre cette semaine, deux personnalités importantes de l’année. Étienne, tout d’abord, qui enchaîne sa 4ème et dernière semaine de wwoofing aux Grivauds. Autonome sur de nombreuses tâches, on a beaucoup profité de son investissement sur la ferme et on a adoré ses expériences culinaires. Amadou, ensuite, qui s’offre une deuxième semaine de stage chez nous. Toujours aussi souriant et positif, il est partant pour tout : plantation, désherbage, récolte, etc. Et on le découvre même particulièrement habille pour ouvrir des trous au cutter chauffé dans nos toiles tissés. Du coup, c’est lui qu’on place responsable de l’ouverture des trous dans les bâches de scaroles, de salades et de persil. Le travail avance toujours aussi bien. De nouveau, on a conscience qu’on n’aurait pas pu être aussi à l’heure sur notre agenda de plantations sans nos petites mains. Une nouvelle fois, on a envie de remercier tous ceux qui sont venus filer un coup de main dans nos cultures. Et l’année n’est pas terminée…
L’été a à peine eu le temps de se mettre en place que nous voilà déjà en automne. Alors que toute notre attention est encore portée sur les récoltes de légumes d’été (haricots, melons et tomates notamment) et sur les implantations en serre des légumes d’inter-saison (blettes, salades, épinards, mesclun, chicorées, etc.), nos potimarrons nous tirent gentiment par la manche. «Eh, ne nous oubliez pas !» Et ils ont raison les bougres ! Plusieurs indices nous prouvent qu’il est temps de les récolter : leur belle couleur rouge, le début de dessèchement de leur pédoncule (la tige liégeuse qui relie les fruits aux plants) et la sénescence de leur feuillage. Cette année, la récolte est plus précoce que d’habitude : on fait le choix de récolter les fruits à leur optimum de maturation ou en légère sous-maturité (orange). On s’appuie sur les résultats d’études récentes[1]http://www.chambres-agriculture-bretagne.fr/ca1/PJ.nsf/TECHPJPARCLEF/32760/$File/Optipot%20CR%20conservation%20du%20potimarron%202018-2019.pdf?OpenElement pour essayer d’optimiser la conservation de nos courges, tout en essayant d’obtenir de bons taux de sucre. En gros, ce qu’on commence à comprendre, c’est que plus on attend et plus on obtient des fruits sucrés (ce qui présente un intérêt gustatif certain, surtout pour un légume d’hiver). Mais aussi que plus on récolte tôt et plus on augmente les chances de pouvoir conserver les potimarrons au-delà du mois de janvier. Bref, il y a un compromis à trouver. Mais il y a un autre facteur très important qui déclenche la récolte chez nous : une fenêtre météorologique favorable. Une belle journée sèche et lumineuse par exemple. Et c’est exactement le type de temps qu’on a eu en début de semaine.
Sur le marché de Vichy, on vend déjà un peu de potimarron. Mais on précise bien : «n’hésitez pas à utiliser d’abord la courge comme objet de décoration avant de la consommer». Pourquoi ? Parce que le taux de sucre augmente toujours dans les semaines qui suivent la récolte. Ça, on peut le constater empiriquement : les fruits fraîchement récoltés sont toujours légèrement fades. Il se dit aussi que le taux de béta-carotène augmente pendant la conservation. Néanmoins, en cherchant des sources scientifiques fiables à cette assertion qu’on entend couramment, je me suis un peu cassé le nez. Si certains d’entre vous connaissent des études traitant du sujet, je suis preneur. Pour le moment, nos courges patientent bien au chaud dans notre garage, le temps que les pédoncules sèchent complètement. Elles seront ensuite stockées plus à l’intérieur de nos maisons, pour leur garantir une température relativement constante tout au long de l’hiver (l’optimum se situant autour de 15°C, ce qui est difficile à trouver).
Notons en passant que cette première récolte de courges nous permet de faire rentrer environ 208 kg de fruits, ce qui est environ la moitié de ce qu’on espérait. La grêle de fin-juillet est passée par là… D’ailleurs tous les potimarrons portent des scarifications qui témoignent de cet événement traumatique.
Pour finir, deux nouvelles à vous donner. La première est joyeuse : nos semis en poquets effectués la semaine dernière lèvent ! On voit des roquettes, des épinards, des mâches et des radis qui pointent le bout de leurs cotylédons et ça fait plaisir à voir. La deuxième est beaucoup moins drôle : Willie, l’aînée des chat·tes des Grivauds, est décédée ce samedi, à l’âge respectable de 19 ans. Grande réclameuse de caresses, au caractère parfois bien trempé, ses miaulements rauques vont nous manquer. Elle est enterrée aux côtés de Crevette et de Vasco.
Il y a quelques semaines, nous avons reçu le message suivant :
«Bonjour,
Obtenez des articles grâce à l’intelligence artificielle fait pour vous. Cela veut dire : Stop à la procrastination, Stop à la page blanche, Stop à la surcharge de travail. Tout est inclus et la qualité est garantie. Soyez parmi nos membres VIP et conservez ce bon prix pendant que vous le pouvez encore. Juste une réponse de votre intérêt pour plus de temps libre, et plus de référencement pour vous souhaiter la bienvenue.
Au plaisir d’échanger,
Albert S.»
Et ça tombe bien, parce que j’ai beaucoup de choses à faire ce week-end – en particulier découper nos derniers choux d’été pour faire de la choucroute. Alors, le logiciel fonctionne très simplement : on lui donne à manger les articles des années précédentes à la même période, on y ajoute quelques mots-clés et on remue bien. Bonne lecture.
Alors qu’ici on attend la pluie désespérément, notre première série de haricots mange-tout à rames sous serre avait donné des cendres venues tout droit des incendies qui touchent la forêt amazonienne. Par contre, elle nous avait permis de nous rendre compte à quel point nos clients, que ce soit en Amap ou sur le marché, étaient demandeurs de bons haricots frais. L’eau, c’est une substance liquide qui mouille, vous voyez ? Mais ne faisons pas l’autruche, au final les bénéficiaires de cette politique nous sont aussi très proches. Et c’est en ce moment qu’on en récolte les fruits : il va pleuvoir du haricot aux Grivauds en ce début d’automne ! Il y a donc un problème global, pas seulement local. Une urgence de semis d'engrais vert.
Les légumes d’été commencent à marquer le pas dans notre grand jardin. Fabrice a réussi miraculeusement à dégager quelques heures et on marche un peu sur des œufs. On a commis deux erreurs cette année : nos poireaux d’été sont magnifiques et on s’extasie devant nos carottes. C’est quand on se sent complètement épuisés le lundi soir après plus de cinq heures de récolte de haricots verts qu’on prend de grandes résolutions. Du coup, on est contents de pouvoir compléter les paniers avec nos scaroles démesurées et nos petites mains (wwoofeurs et stagiaires) qui nous ont permis d’être efficaces et d’entretenir au mieux nos cultures. En poussant le jardin dans ses retranchements, on tergiverse moins qu’au printemps pour ne pas mouiller les oignons rouges.
À la semaine prochaine.
PS : Oui, je suis d’accord avec vous, on n’est pas sûrs de maintenir notre contrat avec Albert S., il me semble que le subterfuge est visible. Promis, la semaine prochaine, on essaiera d’utiliser de l’intelligence humaine. En attendant, on vous invite à vous régaler avec la galerie de photos.
Les tomates sont là, nombreuses, généreuses, colorées, appétissantes. Les esprits chagrins mentionneront que les taux de sucre sont bas cette année, notamment parce que les tomates mûrissent presque sans soleil. N’empêche, elles sont excellentes ! Et, non, cette fois-ci, je ne vais pas vous ressortir le couplet sur l’effet terroir en MSV. Même si ça me démange. Non, aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous une découverte. Tout part d’un constat : les petites mains des Grivauds plébiscitent régulièrement nos tomates cerise. Et notamment nos tomates jaunes (variété Green Grape). J’entends un peu de tout à propos de ces tomates, et notamment qu’elles sont très sucrées, ce avec quoi je suis partiellement d’accord. Adeline, de retour aux Grivauds pour 3 semaines de stage, m’explique son ressenti : «on a l’impression de recevoir un câlin quand on mange cette tomate». Bon. Il y a visiblement une saveur dans cette tomate qu’on ne retrouve pas ailleurs. Mais comment la décrire ? J’essaie de me souvenir du vocabulaire utilisé par les amateurs de vin ou de thé. Souvent, pour décrire une saveur, on la compare à d’autres références. Par exemples d’autres fruits. Mais là, je suis un peu à la peine. Alors, je convoque mes saveurs primaires : sucré, salé, acide, amer et umami. Sucré, certainement. Amer, non. Acide, un peu. Salé ? Tiens, je ressens bien une nuance minérale. Mais je ne dirais pas que c’est salé, non. Umami ? Ça, jusqu’à il y a peu, je connaissais mal. Heureusement, sur France Inter, cet été, il y a eu une série d’émissions, qui, sous le titre de «Saveurs savantes», explorait le goût sous toutes ses formes. Et dans l’épisode traitant de l’umami, j’ai eu la confirmation que les tomates déclenchent bien la sensation d’umami dans la bouche. De quoi s’agit-il ? Y a-t-il un rapport avec le plaisir qu’on prend à déguster une Green Grape ? Explorons cette piste ensemble.
La saveur umami, on la connaît mal en Europe. La faute à notre éducation au goût, tout simplement. Parce que d’un point de vue morphologique, nos papilles sont les mêmes que celles d’un japonais alors il n’y a pas de raison qu’on y reste indifférents. Pour faire simple, il existe sur notre langue des cellules spécialisées dans la détection de trois molécules : le glutamate (ainsi que sa forme acide, l’acide glutamique), la guanosine monophosphate (GMP) et l’inosine monophosphate (IMP). C’est cette détection qui provoque la sensation umami, sensation agréable et persistante. La saveur umami crée, qui plus est, un certain «confort de bouche», notamment en stimulant la salivation. Les tomates mûres, et notamment les tomates cerise, contiennent de l’acide glutamique et procurent donc bien une sensation umami. Je parierais gros que les Green Grape en contiennent une dose supérieure à la moyenne ! Et parmi nos autres tomates, celles qui me paraissent le plus umami sont de nouveau celles de couleur orange (de variété Earl of Edgecomb). D’autres légumes ont un goût umami mais ils sont rares : les asperges, les brocolis, les épinards, les champignons…
Umami ou non, nos tomates ont été récoltées avec compétence par nos petites mains du moment : Cécile (qui nous a quitté en début de semaine), Suzanne (qui est wwoofeuse pour une semaine et qui n’est pas vraiment débutante…), Adeline (qu’on ne présente plus) et Étienne, son compagnon (qui a un statut de wwoofeur mais qui, en plus, nous concocte des petits plats mémorables). Alors, oui, il y a un peu de télescopage, mais c’est un peu fortuit. Du coup, tout avance d’un coup très vite. On récolte, on plante (des navets, des radis et de la mâche), on désherbe, on palisse et on prépare des colis de tomates. Bref, c’est pas parce qu’on est nombreux qu’on joue aux dés ou qu’on sirote des Piña coloda, non mais !
Aux Grivauds, on assume d’avoir des melons un peu tard en saison. Pour deux raisons. D’abord, parce que les melons qui mûrissent en août ont un incroyable goût de miel. Ensuite parce que ce sont des melons qu’on peut installer après une culture de printemps (par exemple après des carottes ou des navets nouveaux). Ils sont plantés fin-mai, début-juin, à une période où on n’implante plus aucun légume d’été. Sauf… des melons. Cette semaine, on est venus avec nos premiers melons de l’année sur le marché de Vichy et on est repartis avec nos caisses vides. Tout va bien : même si ces légumes arrivent à un moment inattendus, ils sont tout de même les bienvenus.
Cette semaine, on a aussi récolté de la rhubarbe. La même rhubarbe qui a péniblement donné une première série de tiges au printemps… Cette fois-ci, on en récolte presque une dizaine de kilos et on est fiers de les présenter à nos clients. Résultat : on n’en a pas vendu du tout. Pour le coup, la rhubarbe qui ne pousse pas au printemps a peu de chance d’être vendue. Et on vient donc de le découvrir à nos dépends…
Mais finalement, ce qu’on retiendra de la semaine, ce sont surtout les 200 kilos de tomates récoltées mardi et vendredi… Ça au moins, c’est cohérent avec la saison…
C’est en août qu’on met la dernière touche à notre plein champ. Les dernières plantations, les derniers désherbages, les derniers semis. Passé le 15 août, normalement, on se concentre plutôt sur la remise en état des serres d’intersaison pour l’automne. Par contre, ça n’est pas parce que ce sont les derniers gestes maraîchers dans le champ qu’il faut les négliger. Et on ne hausse surtout pas les épaules en se disant «bon, les navets, ils attendront». Parce que les navets, eh bien, c’est bon, et, euh, ben, c’est facile à faire, alors, hein, faudrait pas s’en priver, hein. Et en plus, ben, c’est bon. En tout cas, moi, j’aime ça, alors voilà. Surtout braisés. Passons.
Cette semaine, malgré d’intenses récoltes de tomates, on a donc planté et semé des navets (et des radis d’hiver). Mais le plus remarquable, ça a surtout été la célérité de l’exécution de ces chantiers. À ce sujet, hommage soit rendu à nos petites mains de la semaine : Cécile, Elsa et Guillaume. Cécile, si vous ne la connaissez pas, c’est que vous ne lisez pas assez souvent nos articles. Et ça, c’est mal. Elsa et Guillaume, ce sont deux wwoofeurs pas vraiment débutants. Ils ont fait l’acquisition d’un terrain en Saône et Loire où ils ont le projet de faire pousser des légumes. De futurs collègues en somme. Alors, nous, on se met en mode «maîtres de stage» et eux nous font l’honneur de nous accompagner dans nos tâches toute la journée longue. Moralité, au bout de deux semaines, ils sont autonomes sur de nombreuses tâches, s’occupent presque entièrement de toute la re-fertilisation des plants de tomates et plantent des navets à la chaîne sous une chaleur terrifiante. Une dernière fois, nous aimerions les remercier du fond du cœur pour leur incroyable investissement au sein des Grivauds. Cette année encore, nous avons conscience de la chance que nous avons avec nos stagiaires et nos wwoofeurs. Sans ces «petites mains», nous serions obligés de travailler bien plus, de nous mécaniser plus, de renoncer à certains désherbages. D’évidence, on leur doit une bonne maîtrise de notre planning de travaux agricoles et une grosse réduction de notre stress quotidien. Bon, d’accord, on ne tire pas encore de salaires de notre activité, mais, au moins, on se marre tous les jours dans nos champs. Alors, hein, voilà.
On a encore envie que vous nous plaigniez un peu… Figurez-vous que notre camion bleu, celui qu’on vient d’acheter à crédit, vient de passer une semaine au garage pour une histoire de relai dans une boite liée au démarrage… Et que dans le même temps, la vessie de notre pompe a éclaté, nous laissant sans arrosage pendant plusieurs jours de suite. La série noire continue. Vous me direz, l’arrosage, en ce moment, hein, on peut s’en passer, même sous serre, vu comme le temps est sombre et les températures peu poussantes. Bon, d’accord. Mais d’ailleurs, puisque vous me parlez de météo, apprenez que, pour couronner le tout, l’humidité et le manque de lumière sont en train de nous jouer un mauvais tour.
Oui, je sais, ça fait deux articles de suite sur les tomates. Mais dîtes-vous bien que la tomate, pour des maraîchers, c’est un peu le nerf de la guerre, le beurre dans les épinards, le Graal sur la Table Ronde. Et comme elles sont arrivées très tard cette année, on les surveille comme le lait sur le feu. L’année dernière, passé le 15 septembre, la saison des tomates était pliée pour nous à cause du Corky-Root (maladie de la racine liégeuse). Alors, pour 2021, compte-tenu des moyens mis en œuvre, on aimerait bien tenir jusqu’à mi-octobre. C’est pour ça que lorsqu’on a vu le mildiou faire son entrée dans nos serres, on a froncé les sourires, on s’est exclamés «ah non, pas ça!» et on a sorti les sécateurs.
Depuis que je suis arrivé aux Grivauds, le soin des tomates a toujours consisté à se concentrer sur la prophylaxie. On fait le maximum pour que les plantes poussent dans un environnement sain et fertile. Et ensuite, on les invite à se débrouiller un peu toutes seules. Pas d’effeuillage, pas de pulvérisation d’anti-fongique. La bonne réponse immunitaire des plants de tomates est en partie due à notre pratique du MSV : nos sols fournissent tout ce qu’il faut à la plante pour qu’elle puisse se défendre. On veille à ce que nos sols restent hydratés pour que la prospection racinaire se fasse bien, ce qui signifie que, en temps normal, on pratique l’aspersion. Mais seulement le matin, par une belle journée ensoleillée, pour que les feuillages soient secs le soir. Et pour lutter contre le Corky-Root, on a greffé une grosse partie de nos plants, comme on vous l’expliquait la semaine dernière. Bref, tout est fait pour qu’on n’ait pas besoin d’intervenir lorsqu’une tâche un peu suspecte apparaît sur nos feuillages. Mais, cette année, rien ne se passe comme prévu. Le temps est sombre et l’air est constamment humide. Du coup… les champignons foliaires se développent joyeusement. Un peu trop joyeusement pour qu’on ait envie d’en sourire…
Devant la variété des bizarreries constatées sur nos pieds de tomate, on a dû passer un peu de temps sur E-Phytia. Ce qui nous a permis de distinguer 4 problèmes différents (en se limitant aux parties foliaires) : le mildiou (oomycète dont les tâches ne sont pas compartimentées), l’alternariose (oomycète, dont les tâches sont entourées d’une chlorose), le botrytis (ascomycète générant une pourriture grise) et les viroses (créant des chloroses d’aspect variable, les virus étant véhiculés par les pucerons). Pour les trois premiers problèmes, une même règle prévaut : éviter que les feuilles ne restent trop humides. On se décide à effeuiller le bas des plantes pour faire circuler plus d’air au ras du sol. On désherbe, pour éviter que les adventices ne viennent mouiller les feuilles de tomates, par évapo-transpiration ou par guttation. Du mildiou, on en a rarement, et, en général, la plante finit par éliminer toute seule les feuilles contaminées. Sauf que, samedi matin, lorsque je me suis retrouvé face à la dernière série de Previa, dans la serre 1, j’ai pris peur : en 24h, le nombre de feuilles attaquées a doublé. C’est la rançon du succès : les pieds greffés ont des feuilles si grandes que l’air y circule mal. On se dit que, l’année prochaine, ça ne serait pas une mauvaise idée de conduire ces pieds en rang unique mais sur deux brins (en Y). Mais en attendant que faire ? Eh bien, on coupe. On tranche dans le vif, on élimine les feuilles contaminées et on les sort de la serre.
Je laisse mon regard se promener sur la flore spontanée des Grivauds et je fais les constats suivants. D’abord que, cette année, nos prairies et nos bords de chemin sont restés très verts. Ensuite que nombre de plantes sont aussi atteintes d’une grande variété d’agressions fongiques (mildiou et alternariose) ou parasitaires (acariens, pucerons, chenilles et autres larves mineuses). Je vous mets quelques exemple dans la galerie.
La semaine dernière, on s’est quittés un peu sèchement je crois. C’est que nous avions besoin d’exprimer notre dépit d’avoir en si peu de temps perdu autant de légumes… Une semaine s’est écoulée, on a fait le deuil de nos salades et on a regardé nos plantes réagir à l’agression des grêlons. On a vu les feuilles de betterave se relever malgré leurs trous, les courgettes ré-émettre des fleurs, les Blue Ballets cicatriser vaillamment. Incroyable résilience végétale. Mais surtout, quelque chose a changé aux Grivauds. Quelque chose que nous attendions depuis de longues semaines : ça tombe enfin dans les tomates.
«Ça tombe», en langage maraîcher, ça veut dire que les récoltes deviennent soutenues et régulières. Ça y est nous pouvons désormais mettre des tomates dans les paniers d’Amap. Et nous avons de quoi remplir nos grandes panières rondes avec des tomates anciennes sur le marché de Vichy. Vous le savez, la météo met nos cultures à rude épreuve cette année et nos pieds de tomates ont été soumis à des stress assez extrêmes : gelées tardives, sols froids, air humide, faible ensoleillement. Du coup, les attaques fongiques sont légions et font des dégâts parfois spectaculaires : mildiou dans les tomates cerise (notamment les Black Cherry), alternaria dans les Saint-Pierre, Botrytis (notamment dans les Green Zebra et les Purple Calabash) et, probablement, Corky Root (on a des pieds aux couleurs violacées qui nous laissent songeurs). Bref, on devrait être inquiets. Mais non ! Au contraire, on est plutôt contents de nous. Pourquoi ? Parce que la grande majorité de nos pieds se défend vraiment très très bien ! Le point commun entre ces pieds en bonne santé ? Ils sont tous greffés.
Vous vous souvenez, on a pris la décision de greffer nos tomates cette année, pour lutter contre un parasite racinaire qui s’accumule au cours des années : le Corky Root (racine liégeuse). Ce parasite est commun dans les jardins où les tomates sont toujours plantées au même endroit. Il se peut même que notre pratique du MSV (et notamment le non-travail du sol) favorise l’accumulation du pathogène. Les symptômes sont très clairs : mi-juillet, les plants s’affaiblissent, la croissance se ralentit, les tiges s’affinent et les fleurs coulent. En conséquence de quoi, on se retrouve à court de tomates en septembre.
La greffe a été une opération délicate et Fabrice se souvient encore des sueurs que ça lui a causées. Devant les taux d’échec et la peur de mettre tous nos œufs dans le même panier, nous avons choisi de ne pas greffer 100 % de nos plants. Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des pieds greffés et non-greffés dans les mêmes serres. Les dernières gelées ont fait mourir quelques pieds ici et là et nous les avons remplacés au fur et à mesure. Il y a deux cas très intéressants : dans les Green Zebra non-greffées, nous avons planté un pied de Green Zebra greffé. Et dans les Roses de Berne greffées, nous avons planté un pied de Roses non-greffé. Ces deux cas d’école sont présentés dans les photos ci-contre. Et plaident pour une conclusion sans appel : nous DEVONS désormais greffer nos tomates. La question qui reste en suspens est celle du goût. J’aurais aimé pouvoir comparer sérieusement mais l’année ne s’y prête pas. Nos tomates ont mûri sans soleil et n’expriment pas leur plein potentiel gustatif. Ce qui ne nous empêche pas de nous régaler de la douceur des Earl of Edgecomb et de la suavité des Roses de Berne.
En espérant que vous partagerez ce petit enthousiasme gustatif, je vous souhaite une belle semaine.