Dans la haie de mon voisin, les altheas (Hibiscus syriacus) sont en fleurs. C’est un arbuste de la famille des Malvacées (la famille des mauves), qu’on peut mener en haie ou de façon isolée au jardin. La floraison est tardive et vient égayer la fin de l’été. Jusqu’à cette année, je n’avais jamais remarqué ces grosses fleurs violettes. Pourtant c’est vraiment magistral ! En circulant en vélo à travers mon village pour aller rejoindre les Grivauds, je me suis rendu compte que j’en croisais dans une bonne dizaine de jardins, tout au long de mon chemin. Comment se fait-il que je ne m’en sois jamais rendu compte ? Ces plantes ne viennent certainement pas d’être plantées et elles ont du fleurir les années passées. Pourtant, mes yeux ne les ont pas vues et ma mémoire les a oubliées. Comment est-ce possible ? Et pourquoi ces fleurs s’imposent-elles à moi précisément cette année ? Répondons d’abord à cette dernière question. Au printemps, un peu après le confinement, on a planté quelques arbustes devant la serre 4. Ils avaient vécu en pot dans la serre à plants pendant de nombreuses années et on les a mis en terre sur un coup de tête. Il s’avère qu’il y avait 5 altheas parmi eux. Et qu’ils mettent des fleurs en ce moment. Je passe devant tous les jours en allant récolter les concombres et je vérifie d’un coup d’œil qu’ils ne souffrent pas trop de la sécheresse. Ainsi donc, c’est une plante dont je ne connais le nom que depuis quelques mois et dont je ne connais bien la floraison que depuis quelques semaines. Tant que je ne savais pas nommer ces arbustes, je ne les voyais tout simplement pas ! Ceux qui sont passés par les Grivauds savent que je suis attentif à mon environnement naturel et que je sais déjà reconnaître de nombreuses plantes, notamment grâce à Fabrice. Néanmoins, je suis comme tout le monde : lorsque je ne connais pas une plante, je suis tenté de l’ignorer… Surtout si elle ne pousse pas aux Grivauds. Les altheas s’ajoutent cette année à mon herbier mental, ce qui me permet d’apprécier enfin cette belle floraison estivale.
Cette petite anecdote vaut bien une morale, vous vous en doutez… Pour apprécier les écosystèmes qui nous entourent, il faut les connaître. Et quand je dis «apprécier», je ne parle pas seulement en termes esthétiques – même si ça compte. Je parle aussi d’en comprendre le fonctionnement, la composition, les interactions qui relient chacune de leurs parties. Depuis que je suis aux Grivauds, avec l’aide de Fabrice, j’essaie de reconnaître un maximum de plantes, d’insectes et d’oiseaux. Soyons modestes : je ne sais précisément à quoi peut bien me servir une telle quantité d’informations mais, au moins, elles me permettent de voir mieux les choses. Il y a des plantes très discrètes mais qui ont des propriétés fabuleuses, comme l’odeur glaciale de la menthe Pouillot ou l’élégance rosée de la fleur de la Gesse de Nissole. Comment distinguer quoi que ce soit dans une prairie quand on désigne tout ce qui y pousse comme étant «de l’herbe» ? Quand ça n’est pas de la «mauvaise» herbe… Avec nos wwoofeurs et nos stagiaires, nous faisons beaucoup de botanique. Nous utilisons le matériau offert par la saison et on essaie de jouer à reconnaître et classer les plantes. Quelle famille ? Vivace, annuel, bisannuel ? Intérêt gustatif et/ou médicinal ? Cultivé ou spontané ? En désherbant des carottes avec Alice cette semaine, on s’amuse à citer le nom de chaque plante qu’on coupe. Alice reconnaît désormais plusieurs espèces d’amarantes et de chénopodes et distingue sans problème le Panic Pied de Coq (Echinochloa crus-galli) de la Digitaire et du blé. Que ce soit avec Cécile les semaines passées ou avec les wwoofeurs et stagiaires qui lui ont précédé, on n’a eu de cesse de décrire et expliquer le monde végétal qui nous entoure, nous nourrit, nous émerveille et (même) nous soigne. Avec le réchauffement climatique, notre écosystème est soumis à rude épreuve et on resterait à la surface des choses si on se contentait de considérations générales. Seule une connaissance fine des plantes permet de distinguer les dynamiques à l’œuvre : assèchement des sols, appauvrissement de la biodiversité, augmentation du parasitisme et des maladies qui y sont liées : bactérioses, viroses, etc. Mais aussi, et c’est très encourageant, de constater à quel point un écosystème peut s’enrichir quand on veut bien lui f**tre la paix !
Le plaisir qu’on tire de ces études et de ces moments de partage nous aide à passer le cap de cette période quelque peu harassante, où les récoltes de haricots verts s’intensifient pile au moment où le mercure vient flirter avec les 40°C. On profite aussi réellement de l’effet d’ombre procuré par le blanchiment de nos serres. Certaines récoltes auraient même été impossibles sans cela (comme celles des poivrons et des tomates cerise à 11h30 passées vendredi matin). L’année dernière, on déplorait des pertes dans les tomates lors des coups de chaud : elles cuisaient sur pied. Cette année, ça n’arrive presque jamais. La semaine se termine sur deux fausses alertes. D’abord, notre belle station de pompage s’est mise à présenter des signes d’essoufflement. Rien de grave : la crépine était simplement envasée. Ensuite, le compresseur de notre chambre froide a cessé de fonctionner la nuit qui a précédé le marché. Là encore, rien d’important : il s’était mis en sécurité pendant le coup de chaud et un simple «reset» a remis les choses dans l’ordre. Avouez que c’est agaçant de voir des appareils neufs tomber en carafe au moment où en a le plus besoin…
À la semaine prochaine !